Le Growth Hacking suppose-t-il une stratégie ?

Le Growth Hacking est affaire d’expérimentations, de tâtonnements, d’itérations, de création, d’imprévu. Comment intégrer cette démarche à l’idée de stratégie ? Le Growth Hacking, qui suppose une méthode agile, a-t-il besoin d’une stratégie, d’objectifs chiffrés, de plan de bataille ?

On a trop tendance à réduire le growth hacking au tâtonnement, à une suite d’expérimentations visant à  générer de la croissance, et le growth hacker à un petit génie qui bidouille en utilisant toutes sortes de moyens plus ou moins hétérodoxes.

Selon cette image du growth hacking, l’idée de stratégie peut sembler incongrue. Construire une stratégie, c’est se fixer des objectifs, planifier, répartir des ressources, anticiper. La stratégie est synonyme de rigueur et de discipline. Bref, le contraire a priori de l’esprit libre et créatif du growth hacking.

Tout l’objet de cet article va être de montrer que le growth hacking est un process qui repose sur une stratégie claire et précise.

La matrice AARRR

Pour pouvoir élaborer une stratégie de growth hacking, il faut d’abord bien maîtriser la matrice AARRR. Cette matrice définit les différentes étapes du tunnel de conversion (funnel en anglais) :

  • L’Acquisition d’utilisateurs. C’est le haut du tunnel. Pas de croissance sans utilisateurs. L’enjeu initial consiste à faire grandir la base d’utilisateurs.
  • L’Activation des utilisateurs. On peut être inscrit sur une plateforme sans l’utiliser pour autant. Le growth hacker cherche à augmenter la proportion d’utilisateurs actifs.
  • La Rétention des utilisateurs actifs. L’objectif, à ce niveau, est de conserver les utilisateurs actifs le plus longtemps possible. Ne pas travailler sur la rétention, c’est s’exposer à un syndrome bien connu - celui du panier percé.
  • Le Referral, qui consiste à trouver les moyens pour que les utilisateurs actifs se transforment en ambassadeurs et fassent venir de nouveaux utilisateurs sur la plateforme.
  • Les Revenus. A la fin des fins, l’objectif est de transformer les utilisateurs actifs en chiffre d’affaires, c’est-à-dire de monétiser.

Ce tunnel de conversion est bien connu de tous les growth hackers. Il faut en avoir une vision claire pour construire une stratégie viable.

En quoi consiste la stratégie dans le growth hacking ?

Une équipe de growth hackers a généralement peu de moyens – tant humains que financiers. On ne va pas refaire l’histoire du growth hacking, mais il faut quand même se rappeler que le GH est né dans les start-up, c’est-à-dire dans des petites structures qui n’avaient pas les moyens de dépenser des sommes colossales en marketing. Le growth hacking, c’est le marketing du pauvre. En tous cas c’est comme ça que tout a commencé.

Le rôle de la stratégie dans le growth hacking consiste avant tout à ne pas se disperser, à savoir économiser ses moyens, à fixer des priorités. C’est là qu’interviennent la matrice AARRR et les différentes étapes du tunnel. Lorsqu’on parle de « priorités » dans le growth hacking, on fait référence aux différentes étapes du tunnel. Il existe cinq priorités qui correspondent aux cinq étapes de la matrice : l’acquisition, l’activation, la rétention, le referral et le revenue.

Une erreur fréquente consiste à vouloir s’attaquer à toutes les étapes en même temps, c’est-à-dire à essayer d’améliorer à la fois l’acquisition, l’activation, la rétention, le referral et les revenus.

Une autre erreur consiste d’ailleurs  à ne pas suffisamment analyser le tunnel et à penser que des revenus faibles sont forcément la conséquence d’une base d’utilisateurs trop étroites. En l’occurrence, c’est oublier l’activation et la rétention.

Rigueur des objectifs / liberté des moyens

Le growth hacking cumule deux caractéristiques paradoxales :

  • Une grande liberté de moyens. C’est le fameux esprit « expérimentateur » et Géo Trouvetout. Le côté « hacker » du métier justement.
  • Une rigueur inflexible sur les objectifs. La stratégie est quasiment à comprendre dans son sens militaire. Elle suppose l’adhésion de toute l’équipe. Réciproquement, la trajectoire que fournit la stratégie permet de souder l’équipe. Et on sait que la cohésion de l’équipe est fondamentale dans la réussite du growth hacking.

Plus la stratégie est solide, plus la méthode de travail gagne en agilité. C’est tout le paradoxe. On est beaucoup moins créatif lorsque l’on fait plusieurs choses à la fois. Tout le monde l’a surement déjà remarqué.

Chiffrer les objectifs

Pour que chaque membre de l’équipe puisse aller dans le même sens, il est très important de mettre la stratégie par écrit. Une page ou deux suffisent en général – ou quelques slides pour les aficionados de PowerPoint.

La feuille de route doit :

  • Décrire clairement les objectifs. Par exemple : travailler pendant deux mois sur la rétention, qui est le problème principal qui a été identifié.
  • Chiffrer les objectifs. Une fois les objectifs atteints, vous pourrez vous attaquer à une autre étape du tunnel.

C’est seulement une fois que la stratégie sera très clairement fixée par écrit et dans la tête de tous les collaborateurs que le travail « créatif » pourra commencer.

Comment identifier les priorités stratégiques ?

Pour connaître la stratégie à adopter, pour fixer un cap, vous devez faire un point sur votre produit et sur ses utilisateurs. Cela nécessite une double approche :

  • Une approche qualitative : interrogez vos utilisateurs sur leur expérience et soyez attentif à tous leurs feedbacks.
  • Une approche quantitative : analysez dans le détail toutes vos métriques afin d’identifier l’étape du tunnel de conversion qui pose le plus problème.

Construisez un tableau en listant les forces et les faiblesses à chaque étape du tunnel.

Vous pouvez élaborer un tableau de ce type :
Prenez le temps nécessaire pour cette analyse. C’est elle qui mettra en évidence le principal goulot d’étranglement.

Vous pouvez par exemple avoir un problème au niveau de la rétention. Dans ces cas-là, vous devez focaliser vos énergies sur ce problème de rétention pendant une certaine période avant de changer d’objectif.

Si 90% de vos utilisateurs actifs recommandent votre application auprès de leur réseau, mais que seulement 10% des utilisateurs sont actifs, vous savez que le gros problème se situe au niveau de l’activation.

Suivre l’impact des itérations

Une stratégie n’a pas d’intérêt si elle ne s’accompagne pas d’un suivi des actions menées et des résultats obtenus. Un reporting précis est la clé de la réussite. Ce qui suppose de fixer des indicateurs clés de performance (KPI) dès la phase d’élaboration de la stratégie.

Vous devrez sans cesse avoir un œil sur les métriques et évaluer l’impact de vos itérations de semaine en semaine. Ce reporting régulier vous permettra d’adapter votre stratégie à l’évolution des indicateurs.

Voici le type de tableau que vous pourriez utiliser (vous devez utiliser beaucoup plus de métriques) :
Finalement

Le Growth Hacking suppose de la rigueur et de la méthodologie, ce qui va clairement à l’encontre de l’imagerie un peu romantique que l’on peut parfois se faire du Growth Hacking (le côté aventurier). Le Growth Hacker multiplie les expérimentations, bidouille, sait faire preuve d’inventivité, mais n’avance jamais à l’aveugle. Les power-points, les rapports Excel et Google Analytics constituent son pain quotidien !

Mes recommandations pour réussir votre Growth Hacking :
  • Ne courez jamais plusieurs lièvres à la fois. Ne cherchez pas à la fois à augmenter votre base utilisateurs, votre rétention et la monétisation. Chaque chose en son temps. Vous devez d’abord vous focaliser sur les étapes du tunnel de conversion qui posent le plus de problèmes.
  • Vous devez acquérir une compréhension très fine de la matrice AARRR. C’est la seule manière d’identifier rapidement vos forces et vos faiblesses, de repérer les points de blocage et de fixer les priorités. Si 2% de vos utilisateurs deviennent actifs, votre problème n’est pas (encore) un problème de monétisation !
  • Prenez le temps d’établir et de mettre régulièrement à jour vos différents supports stratégiques (feuille de route, tableaux, reporting). Une itération n’a de valeur que si elle fait l’objet d’un reporting.
  • Le succès d’une stratégie de Growth Hacking repose en grande partie sur la qualité du travail en équipe. Construisez à l’intérieur de votre équipe une atmosphère à la fois studieuse, agréable et propice aux interactions. Vous devez construire une intelligence collective, fixer des objectifs chiffrés pour challenger l’équipe et impliquer tous les collaborateurs.