Comment le start-up studio eFounders fait éclore sa tribu
Stratégie, business model, résultats... Comment fonctionne eFounders, le start-up studio fondé il y a quatre ans par Thibaud Elzière et Quentin Nickmans, ovni dans l'écosystème français ?
Qu'est-ce qu'un start-up studio ? D'abord, une entreprise qui lance d'autres entreprises en faisant éclore des idées en interne. Ensuite, le start-up studio n'est pas un simple gestionnaire de portfolio : il sous-tend la mise en place d'un actif. Il possède une plateforme, un ensemble de personnes, d'outils et de process communs à toutes ses entreprises, qui ne cesse de s'améliorer avec le temps et l'expérience de sorte que la création d'entreprise devient de plus en plus facile.
On connaît bien sûr Rocket Internet, le fameux start-up studio allemand à l'origine de Zalando, Citydeam, eDarling, Helpling... En France, le meilleur exemple est celui d'eFounders, bâti en 2011 sous l'impulsion de Thibaud Elzière, fondateur de Fotolia, et de son associé Quentin Nickmans. "Après la vente de Fotolia, raconte Thibaud Elzière, je suis devenu business angel. Mais je ne voulais pas en faire mon métier. J'étais démangé par l'entrepreneuriat, je voulais lancer plusieurs entreprises en même temps. Le start-up studio me permet de le faire."
Cinq start-up lancées depuis 2011
S'il présente des similitudes avec Rocket Internet, eFounders "ne lance pas de copycats", précise le CEO. "Nos idées naissent en interne, et nous sommes spécialisés dans le software et non l'e-commerce, contrairement à notre homologue allemand". De fait, en misant sur l'e-commerce, avec des marges faibles et de la logistique à prendre en compte, Rocket Internet compte sur sa capacité à scaler pour faire la différence. eFounders, de son côté, mise sur l'innovation en elle-même pour réussir.
Depuis 2011, quatre entreprises ont été lancées : Front, Textmaster, Mention et Aircall. Deux autres sont en cours de formation, parmi lesquelles Illustrio, une place de marché d'éléments customisables, et Office X (le nom n'est pas encore officiel) qui veut réinventer l'intranet. Ils seront lancés fin 2015 ou début 2016.
Une core team et un processus de création minuté
La "core team" d'eFounders est composée de 16 personnes issues de divers secteurs d'expertise (marketing, produit, communication...). C'est d'eux que viennent les idées des nouvelles start-up. "Lorsqu'une idée est émise, on prend deux mois pour sortir de la passion initiale et pour en valider l'idée, en faire un pilote, déterminer si la valeur ajoutée est assez importante pour que les clients soient prêts à changer leur solution actuelle pour la nôtre", raconte le CEO. Si les voyants sont au vert –une idée sur 10 environ passe cette étape- alors l'équipe se met en quête de deux cofondateurs, aux profils technique et business.
Un seul projet avorté
Pendant les neuf premiers mois, l'équipe eFounders reste très opérationnelle auprès des deux cofondateurs. Ce n'est qu'à l'issue de cette période qu'est créée la société en propre si la validité de l'idée semble toujours se confirmer. Commence alors, pendant neuf autres mois, le recrutement d'une équipe. Depuis quatre ans, seul un projet a été avorté au bout des neuf premiers mois : "On vient d'y mettre fin parce que l'on n'a pas trouvé le 'product marketing' [les 7 "P" du marketing : product, pricing, place, promotion, physical environment, process et people, ndlr]", reconnaît Thibaud Elzière.
50% de capital pour les cofondateurs
Si, chez Rocket Internet, le modèle est intégré (le studio lève des fonds pour les injecter dans les entreprises qu'il fonde), chez eFounders, au contraire, les entreprises bouclent leurs levées auprès de sociétés de capital-risque. "Les start-up ont vocation à devenir indépendantes au bout de 18 mois, explique Thibaud Elzière. C'est pourquoi les cofondateurs détiennent 50% du capital, contre environ 2% pour les dirigeants des start-up issues de Rocket Internet : les VC veulent d'une jeune pousse indépendante. Et puis c'est un bon moyen de recruter les meilleurs et de les intéresser au projet."
Avant le premier tour de table, c'est donc eFounders qui investit en propre. Coût de lancement d'une start-up : entre 300 et 600 000 euros. Aucune société lancée par eFounders n'a encore réalisé de sortie. "C'est encore trop tôt, mais toutes les sociétés marchent très bien. Mailjet prépare une levée de fonds en série B, Front a levé aux Etats-Unis...", assure Thibaud Elzière. Avant de dévoiler : "On fera certainement bientôt entrer un investisseur au capital d'eFounders et on annoncera la création d'un fonds externe qui nous permettra d'investir de manière systématique dans les sociétés. On ne lui donnera pas plus de 15%." Ce fonds abondé par des souscripteurs externes permettra aux dirigeants d'eFounders de prendre moins de risques personnels.
La force du start-up studio : équipe, process et outils
Une communauté de 200 personnes sur Slack
Au-delà de cette "core team" qui fait la force du start-up studio, deux éléments. D'abord, l'apprentissage des process, qui reste gravé dans la mémoire du studio. "Tout ce que l'on fait, du recrutement aux réunions produits en passant par la manière d'utiliser tel ou tel logiciel, est documenté dans une base de données", raconte Thibaud Elzière. " Nous avons aussi un système d'entraide entre nos start-up, avec une communauté de 200 personnes sur Slack." Enfin, le start-up studio dispose d'outils en commun : "Ce qu'on appelle 'The Network', notre plateforme technique, regroupe un système de briques, d'outils d'acquisitions de lead, de partage des leads entrants des clients."
Se pose cependant la question de la fragilité d'une équipe recrutée pour l'occasion sur une idée qui ne vient pas d'elle. L'appropriation de l'idée peut-elle se faire naturellement ? "Dans une start-up traditionnelle, l'idée vient bien souvent d'un seul des fondateurs, et les autres y adhèrent", relativise Thibaud Elzière. Le matchmaking et la relation entre l'équipe incorporée et les digireants d'eFounders ne fonctionnent pas toujours : la plupart des start-up ont vu leur CEO changer en cours de route. "On n'a aucun intérêt à changer de CEO et à mettre la start-up en péril, se défend Thibaud Elzière Mais parfois, le board décide que ce n'est pas la bonne personne, quand cela ne marche pas. Le rôle de CEO n'est de toute façon pas inamovible. Le cofondateur garde cependant ses parts, conformément au pacte d'actionnaires."