Un silence stratégique : pourquoi les start-up ne révèlent pas leur valorisation

Un silence stratégique : pourquoi les start-up ne révèlent pas leur valorisation Mimétisme, contrôle de la communication, argument pour lever des fonds… Autant de raisons qui expliquent pourquoi les fondateurs de start-up gardent le silence sur leur valorisation.

Communiqué de presse envoyé tous azimuts, relance par mail puis par téléphone et en dernier recours proposition d'exclusivité. Quand il s'agit d'annoncer une levée de fonds, les start-up se démènent pour obtenir la couverture médiatique la plus large possible. Par contre, elles se gardent bien de communiquer leur nouvelle valorisation, qui pourtant découle de cette levée de fonds. Celles qui acceptent sont rares, très rares. "Toutes les entreprises dans lesquelles on a investi préfèrent ne pas en parler", confirme Renaud Guillerm, CEO de SideAngels et managing partner de Side Capital, un fonds d'investissement qui compte à son portfolio une quarantaine de start-up. "La décision appartient aux fondateurs. Nous ne leur donnons aucune consigne".

Quelles sont alors les raisons de cette auto-censure par les fondateurs ? "Naturellement, je me suis dit que je n'avais pas envie de communiquer sur la valorisation de mon entreprise mais je ne savais pas vraiment pourquoi je n'avais pas envie", confie le dirigeant d'une start-up du retail, qui préfère rester anonyme, preuve de la sensibilité du sujet. Si les autres ne communiquent pas sur la valorisation de leur start-up, pourquoi lui le ferait ? "Il y a clairement un effet de mimétisme", confirme Renaud Guillerm. Après réflexion, notre interlocuteur anonyme a pu dégager une première raison : "Je n'ai pas envie que les gens sachent de combien la boite a été diluée et qu'ils fassent une déduction de ma fortune personnelle".

"Moins on donne, mieux c'est"

Outre un effet de mimétisme et un certain tabou, il s'agit avant tout d'une volonté de "contrôler sa communication financière, surtout pour les boites non cotées qui sont plus libres de dévoiler ou de ne pas dévoiler les données de leur choix" selon Renaud Guillerm. "On veut maîtriser notre communication pour donner l'information à qui on veut et quand on veut", confirme le fondateur d'une fintech, qui a également souhaité rester anonyme. "Si on communique sur une donnée financière à l'instant T et que quelques années plus tard on rentre en contact avec des potentiels clients ou partenaires, ils vont se référer à cette donnée qui pourrait ne plus être d'actualité".

Cette volonté de contrôler sa communication financière est aussi justifiée par l'environnement concurrentiel des start-up : "Moi-même je regarde les données de mes concurrents. Comme ça, lorsque je parle à un potentiel partenaire, je présente les chiffres dévoilés par mes rivaux pour lui montrer que mon entreprise a une meilleure dynamique", admet ce même dirigeant, avant de résumer sa stratégie : "Moins on donne, mieux c'est". A fortiori quand la valorisation d'une entreprise subit une baisse : "Si cela arrive, une start-up qui est restée silencieuse ne réalisera pas une communication publique qui détériorerait son image et sa réputation", souligne Renaud Guillerm.

Une tactique pour lever des fonds

Comme les start-up s'observent entre elles, la valorisation prend aussi une dimension stratégique lors d'une levée de fonds : "C'est un énorme point de négociation quand on recherche des fonds. Si ma valorisation est publique, mes concurrents pourront indiquer une valorisation juste un peu moins élevée pour attirer les investisseurs. Par ailleurs, une entreprise avec une faible valorisation envoie un mauvais signal car on se dit qu'elle n'attire pas le marché ou que ses dirigeants ne savent pas négocier", affirme notre premier fondateur. Un raisonnement similaire pourrait être appliqué lorsqu'un dirigeant songe à vendre son entreprise : "Avec une faible valorisation, les acheteurs négocient de manière agressive pour obtenir un prix de rachat très faible. A l'inverse, avec une valorisation très élevée, une boite peut vite devenir invendable". 

Toutes ces justifications ne semblent pas dépendre du montant de la valorisation. En effet, même certaines licornes (Verkor, Lydia, Swile, Dental Monitoring…) préfèrent elles aussi rester discrètes sur le sujet plutôt que de montrer les muscles. A noter que l'obligation légale de communiquer sur sa valorisation n'existe pas. D'autres données, dont le chiffre d'affaires, doivent cependant être transmises lors de la publication annuelle des comptes au Tribunal de Commerce. "Mais le CA donnerait des informations indirectes sur la valorisation. On préfère ne pas le donner", avoue le fondateur de la fintech. Son entreprise risque une amende de 1 500 euros. Un montant visiblement peu dissuasif face au risque de perdre le contrôle de sa communication financière.