Vendre sa start-up : le bon moment existe-t-il ?
Il se dit que le train ne passe qu'une fois. Ou que certaines offres ne se refusent pas. Les fondateurs de start-up ont-ils en tête ces deux adages quand une proposition de rachat arrive sur leur table ? Pour Marie Outtier, qui a vendu à Twitter en 2019 son assistant pour le marketing Aiden.AI, cette question ne devrait pas exister. "J'entends souvent qu'on vend sa boite par opportunisme mais je n'aime pas cette idée car elle suggère qu'un acquéreur vient toquer à votre porte par miracle. La vente résulte d'une démarche proactive et volontaire du fondateur. Vendre sa boite car une bonne opportunité se présente est un situation très rare".
Une situation "très rare" mais pas impossible non plus. Ce scénario est en effet arrivé à Julie Davico-Pahin, fondatrice d'Ombrea, une agritech cédée à TotalEnergies en 2023. "On ne souhaitait pas du tout vendre. On préparait notre Série B quand TotalEnergies nous a approchés. Quand un acteur d'envergure internationale propose une offre de rachat cohérente, on ne peut pas refuser". Preuve que vendre sa start-up peut bel et bien arriver sans que l'on s'y soit préparé. Mais comme l'a souligné Marie Outtier, ce cas est davantage une exception qu'une règle générale.
Fin du runway
Le bon moment serait donc celui où le fondateur préfère protéger ses arrières et gonfler son portefeuille plutôt que développer sa boîte ? "C'est clair qu'il faut parfois prendre en compte des considérations personnelles et penser à assurer sa sécurité financière", reconnait Marie Outtier. Mais comme le rappelle Alexis Renard, fondateur de Regate, une plateforme d'automatisation des factures rachetée par Qonto début 2024, "la décision de vendre est collégiale, les investisseurs ont leur mot à dire".
Si sécuriser sa situation financière semble une raison valable, vendre sa boite quand sa survie est menacée ne souffre d'aucune contestation. "C'est un moindre mal", assure Marie Outtier. "A l'époque, notre runway n'était pas suffisant pour qu'on dure jusqu'à la prochaine levée de fonds. La vente était inéluctable. Cela peut être vu comme un échec car on n'a pas réussi à atteindre la prochaine étape mais on a évité le pire. Et pour mes anciens employés, c'est mieux pour leur CV d'avoir travaillé dans une entreprise rachetée par Twitter que dans une entreprise qui a fait faillite".
Le bon moment serait alors corrélé à la fin du runway d'une start-up pas très loin du gouffre. Mais là encore, l'argument a une portée limitée car il ne concerne que les jeunes pousses qui ne sont pas sorties de l'amorçage, une phase dangereuse où leur survie est rarement assurée. Une moment "idéal" parvient toutefois à faire l'unanimité auprès de nos trois fondateurs : la vente d'une start-up est toujours déterminée par les tendances du marché.
Anticiper les évolutions de son marché
"Ce fut clairement une décision drivée par le marché", explique Alexis Renard. "La fintech était en phase de consolidation avec des besoins de capitaux importants alors que les financements devenaient de plus en plus rares. Qonto a pu nous fournir la base de clients dont Regate avait besoin pour que notre produit ait encore du sens". Même son de cloche chez Julie Davico-Pahin, qui savait qu'à terme, Ombrea allait avoir besoin d'un puissant acteur industriel : "Le marché a changé de dimension avec la réglementation, notamment avec la loi Aper qui a défini l'agrivoltaïsme. On est passé d'un stade d'innovation à un stade de diffusion massive qui nécessite de gros moyens. Pour cette étape, c'était tout à fait logique de passer la main à un industriel". Pour Marie Outtier, il faut "sentir le marché" et "anticiper ses évolutions", surtout les plus négatives : "J'ai lu une newsletter de Tomasz Tunguz (un influenceur tech américain, ndlr) qui expliquait que mon domaine, à savoir l'IA appliquée au marketing, allait s'éclater. Cette newsletter a pesé dans ma décision de vente".
Autre élément qui fait l'unanimité auprès de nos trois fondateurs : l'acquéreur doit assurer la pérennité et la qualité du projet qu'ils ont construit en partant de zéro. Twitter "allait permettre à Aiden.AI de toucher une cible plus grande et donc de gagner en impact". Avec Qonto, "l'avenir de Regate était assuré". Et céder Ombrea à TotalEnergies "était un moyen pour que l'entreprise continue sa quête d'excellence". "La qualité du projet qui résulte de la vente est un critère déterminant dans la décision de vente", insiste Alexis Renard. Car le train peut passer une deuxième fois, mais peut-être pas avec le bon conducteur.