Sale temps pour les VC, pris dans le cercle vicieux de la tech

Sale temps pour les VC, pris dans le cercle vicieux de la tech Les levées de fonds des investisseurs en capital-risque atteignent un plus bas depuis des années.

La crise qui touche depuis 2022 le secteur de la tech, après les années fastes du Covid, n'épargne pas les fonds d'investissement en capital-risque, véritable moteur de l'industrie, nécessaire au financement des jeunes pousses. Ils n'ont pour l'heure levé que 40 milliards de dollars dans le monde depuis janvier, ce qui les positionne pour réaliser leur plus mauvaise année depuis 2015, selon les données collectées par PitchBook, qui suit l'activité du secteur. Après avoir atteint un niveau record sur l'année 2021, les fonds réunis par les VC n'ont cessé de dégringoler à mesure que le marché de la tech se détériorait, jusqu'à la déconfiture actuelle.

En 2021, les fonds avaient en effet levé la somme impressionnante de 387 milliards de dollars, ce qui leur avait permis d'investir 671 milliards dans les start-ups, soit davantage que sur les deux dernières années combinées (300 milliards en 2020, 350 en 2019). En 2022, le total a légèrement baissé, mais s'est maintenu au niveau fort respectable de 374 milliards de dollars levés, encore largement supérieur aux années précédant le Covid (216 milliards en 2019 et 259 en 2020). Les choses ont vraiment commencé à se détériorer l'an passé, lorsque la somme rassemblée par les VC est tombée sous la barre symbolique des 200 milliards de dollars, en un retournement spectaculaire par rapport à 2021.

Une dégradation qui nuit principalement aux petits et moyens acteurs, les plus gros parvenant tant bien que mal à se maintenir à flot. L'année dernière, toujours selon Pitchbook, neuf VC ont levé la moitié des fonds collectés aux Etats-Unis (le plus gros marché mondial), et un seul, le célèbre fonds américain Andreessen Horowitz, y a collecté 11% des deniers rassemblés. Le nombre de fonds actif s'est réduit d'un quart par rapport à 2021 aux Etats-Unis.

Cercle vicieux

Ce contexte difficile s'explique avant tout par un marché mondial de la tech en berne, qui finit par affecter également les VC. En particulier, un calme plat règne depuis 2022 sur le marché des entrées en bourse, nombre de jeunes pousses, pourtant suffisamment matures, rechignant à s'aventurer à Wall Street, de peur de s'y casser les dents dans un contexte trop incertain. Elles préfèrent donc repousser leur IPO jusqu'à des temps meilleurs. Les marchés, eux, jugent démesurées les valorisations atteintes par les sociétés de la tech durant la crise sanitaire, ce qui rend les rares entrées en bourse décevantes et conforte encore les jeunes pousses dans leur décision de temporiser. Or, les VC comptent énormément sur ces "sorties" pour bonifier leur mise de départ et ainsi investir dans de nouveaux véhicules. Dans un rapport consacré au premier trimestre 2025, PitchBook note que les fonds en capital-risque "en sont à leur troisième année consécutive sans retours sur leurs investissements."

Dans ce contexte, les VC rechignent en outre à risquer leur argent sur de nouveaux venus, préférant conserver leur cash plus longtemps pour continuer à financer leurs poulains les plus matures en attendant leur entrée en bourse tant attendue. PitchBook note que fin septembre 2024, la moitié des fonds détenus par les VC avaient été levés il y a au moins deux ans, "un fort contraste avec 2021, lorsque les managers déployaient rapidement leur capital et levaient immédiatement de nouveaux fonds." Cette pratique signifie que moins de start-up parviennent à se financer, ce qui nuit au dynamisme du marché de la tech, donc au nombre de candidats pour une entrée en bourse, et en définitive aux sommes que les VC parviennent à lever… Le serpent qui se mord la queue.

L'inquiétude douanière

Autre problème : alors que nombre d'acteurs anticipaient une administration Trump 2.0 technophile et business friendly, ils se retrouvent avec une politique douanière qui obscurcit fortement les perspectives économiques et repousse la reprise pour les VC. Une autre étude de PitchBook récemment parue expose l'impact de cette politique sur le milieu de l'investissement en capital-risque. Un sondage réalisé auprès de 32 fonds d'investissement montre une inquiétude générale vis-à-vis des droits de douane de Donald Trump. 84% des répondants s'attendent à ce qu'ils causent des dommages économiques au moins modérés, soulignant notamment un risque sur les chaînes de valeur, les coûts et la croissance. Seuls 38% d'entre eux s'attendent dorénavant à une hausse des fonds investis par les VC dans les start-ups sur l'année à venir, contre 58% au début de la présidence Trump.

Et si l'administration Trump a pris quelques mesures technophiles, comme l'abrogation d'un décret de Joe Biden (largement symbolique) sur la régulation de l'IA et la mise en place d'une feuille de route pro-Bitcoin, celles-ci ne suffisent guère à compenser l'impact des droits de douane, d'autant que l'administration Trump semble également poursuivre l'approche antimonopole du gouvernement Biden, qui nuit aux rachats et consolidations dans la tech et constitue une autre bête noire pour les VC. La rupture spectaculaire de Donald Trump avec Elon Musk, sans doute la plus grosse influence technophile au sein de la nouvelle administration, a je un froid supplémentaire.

Des raisons d'être (prudemment) optimiste

Parmi ce tableau peu reluisant subsistent toutefois quelques notes d'espoir pour un rebond de l'industrie de la tech. La première est la reprise des levées de fonds amorcée au premier trimestre, après plusieurs années difficiles. Les jeunes pousses du monde entier ont récolté entre 113 et 121 milliards de dollars, selon les estimations, soit la meilleure performance trimestrielle depuis le printemps 2022. De quoi ranimer les espoirs d'une reprise du marché susceptible de remettre la machine en route : des levées de fonds qui redémarrent pourraient donner suffisamment confiance aux start-ups les plus matures pour se lancer en bourse, permettant aux VC d'engranger des gains et d'investir davantage tout en prenant plus de risques…

Les entrées en bourse semblent d'ailleurs elles aussi reprendre du poil de la bête. Cette semaine, la jeune pousse de la DefenseTech américaine Voyager Technologies est entrée à la bourse de New York. La start-up de l'IA CoreWeave a réalisé en mars une IPO décevante, mais a depuis vu le cours de son action s'apprécier à hauteur de 250%. Dans ce contexte qui paraît redevenir favorable aux entrées en bourse, plusieurs jeunes pousses prometteuses qui ont longtemps repoussé l'échéance parlent désormais de sauter le pas cette année. C'est le cas des néobanques Chime et Revolut, du spécialiste des données Databricks, de l'entreprise de paiements Stripe, ou encore de la fintech Klarna.

Un bémol, toutefois : la reprise des levées de fonds est pour l'heure très largement concentrée sur les jeunes pousses de l'IA, qui tendent à éclipser toutes les autres. Celles-ci ont raflé 58% des investissements en capital-risque au premier trimestre. Pire : sur la scène de l'IA, quelques jeunes pousses se taillent la part du lion, comme OpenAI, qui a levé à elle seule 40 milliards de dollars au premier trimestre ! De quoi doucher les espoirs des jeunes entrepreneurs espérant capter l'attention des VC, d'autant plus s'ils opèrent dans un domaine n'ayant pas trait à l'IA…

Une dernière note d'optimisme est toutefois permise face au rabibochage qui semble s'amorcer entre Elon Musk et Donald Trump, possible signe avant-coureur de futures politiques pro-tech au sein de la nouvelle administration.