Avec le Covid-19, les clouds français deviennent des actifs stratégiques

Avec le Covid-19, les clouds français deviennent des actifs stratégiques Orange, OVHCloud, Scaleway et 3DS OutScale ont été très sollicités pendant le confinement pour assurer la continuité économique du pays. La crise met en exergue la pertinence d'une alternative locale aux géants américains.

Face à l'épidémie de Covid-19, les clouds français se sont retrouvés en première ligne. Le défi ? Maintenir les services digitaux nécessaires à la continuité économique du pays : sites d'e-commerce, environnements de télétravail, offres de divertissement... Chez OVHCloud, les commandes digitales ont bondi de 30%. Du côté du cloud d'Iliad (Scaleway), le trafic global a explosé de 15%. "C'est une progression équivalente aux plus importants pics d'audience enregistrés jusque-là, par exemple à Noël, mais sur une période nettement plus longue", précise Yann Lechelle, directeur général de Scaleway. Qu'en est-il des offres cloud d'Orange ? Au premier trimestre, elles avaient bénéficié d'une croissance de 24%. "Sur avril, la tendance n'a pas faibli", constate Cédric Parent, directeur général adjoint chargé du domaine chez Orange Business Service (OBS). L'ESN de l'opérateur historique voit la demande exploser dans le virtual desktop et plus globalement dans la gestion des connexions à distance aux systèmes d'information d'entreprise, télétravail oblige. De quelques centaines de milliers d'accès simultanés, OBS est passé à plusieurs millions en 24 heures.

"Nos usines ont fonctionné sans interruption. Ce qui nous a permis de répondre sereinement à l'explosion de la demande en capacités"

A l'instar des masques et des médicaments, la pandémie relance le débat sur l'indépendance de la France en matière d'infrastructure cloud. Le 16 mars dernier, Arnaud de Bermingham, président de Scaleway, alertait le JDN sur une rupture de la chaîne d'approvisionnement des serveurs depuis alors un mois. Pas étonnant. La Chine, numéro un mondial de la fabrication de composants électroniques et de l'assemblage de hardware, est à l'époque touchée de plein fouet par l'épidémie. Les conséquences ne se font pas attendre sur le marché international. Le 25 mars, Microsoft fait face à des contraintes de capacité sur la plupart de ses régions cloud en Europe, et notamment en France. Une situation qui l'oblige pendant quelques jours à privilégier l'allocation de ressources supplémentaires en ciblant les services de secours, de santé et les infrastructures gouvernementales essentielles. Certains de ses clients se retrouvent de facto confrontés à l'impossibilité d'activer des VM supplémentaires sur les zones géographiques concernées.

Au même moment, OVHCloud annonce par la voix de son président, via Twitter, faire tourner à plein ses usines de Croix (en France) et de Beauharnois (au Canada). Pour faire face à la demande, le rythme des lignes de production passe alors de 700 à 1 000 serveurs par jour. "On fait le maximum pour livrer les commandes en moins d'une heure, mais on peut avoir quelques jours de délai sur quelques références", précise Octave Klaba, avant de tweeter fin avril : "Les coûts de la RAM et du stockage flash explose depuis 3-4 semaines." Un autre signe que le marché est alors bel et bien tendu, y compris sur les composants. "Nos usines ont fonctionné sans interruption. Ce qui nous a permis de répondre sereinement à l'explosion des besoins en capacités", assure le CEO Michel Paulin. "Notre modèle vertical d'intégration industrielle nous évite de dépendre de sous-traitants asiatiques. La manière dont nous avons géré la situation démontre la pérennité, la résilience et la souveraineté de notre positionnement comparé à d'autres qui externalisent la fabrication d'équipements à d'autres pays."

Une crise de dépendance

Chez 3DS Outscale, la crise amène à s'interroger sur la dépendance de la filière. "Comme d'autres acteurs dans d'autres secteurs, nous nous posons la question de recourir plus fortement à des fournisseurs de proximité. C'est un travail que nous avions amorcé via notre implication dans le groupement Hexatrust mais que nous allons poursuivre et intensifier", explique Servane Augier, directrice générale déléguée de la filiale de Dassault Systèmes, avant de pondérer : "Cette politique de sourcing ne pourra cependant pas s'appliquer à tous les domaines. C'est le cas en particulier de la capacité IT. Notre cloud s'adosse à des serveurs Cisco UCS et aux systèmes de stockage NetApp. Nous nous inscrivons dans un business très global, et nous fournissons par conséquent en ressources là où elles se trouvent." Même discours chez Scaleway. "Nous vivons dans un univers mondialisé et codépendant avec lequel on doit composer", soutient Yann Lechelle. A la différence de 3DS OutScale qui achète ses équipements sur étagère, Scaleway conçoit lui-même le design de ses serveurs. Pour autant, la filiale d'Iliad ne va pas jusqu'à les assembler comme le fait OVHCloud. Mais à l'instar de ce dernier, Scaleway dessine également ses data centers et développe des compétences reconnues dans le rafraîchissement des baies par air ambiant.

Dépendants de facto des usines chinoises en matière d'équipements serveur, OBS, Scaleway et 3DS OutScale disposaient néanmoins de stocks de serveurs suffisants pour faire face aux besoins pendant la phase de confinement. Chez Scaleway et 3DS OutScale, on disposait même de stocks pour plusieurs mois. Quant à OVHCloud, il a anticipé en allongeant ses horizons de commandes sur certains composants clés tout en contractualisant des garanties d'acheminement.

Des projets sensibles dans la data et l'IA

Qu'en est-il des chantiers des clients ? Certains projets qui devaient être lancés ont certes été décalés pour donner la priorité aux plans de continuité d'activité numérique. "Mais les migrations amorcées n'ont pas été interrompues", confient Cédric Parent d'OBS et Michel Paulin d'OVHCloud. Chez OBS, la crise s'est notamment traduite par une hausse de la demande en matière de rationalisation d'applications et de FinOps dans l'optique d'optimiser les dépenses. Mais aussi en matière de smart tracking prédictif pour optimiser le suivi et le pilotage des chaînes logistiques. "Dans un environnement incertain, on attend désormais des DSI de prévoir l'imprévisible", comment Cédric Parent. Autre tendance : un recours croissant à l'intelligence artificielle. "Des clients déploient des modèles de computer vision pour contrôler le port du masque à partir d'images issues de caméras de surveillance. Toujours dans un souci de protection sanitaire, les déploiements d'IA s'accélèrent également pour détecter les signes avant-coureurs de panne dans les équipements industriels et optimiser les déplacements des équipes de réparation", ajoute Cédric Parent.

"Cette crise accentue la pertinence de notre positionnement qui consiste à proposer une alternative européenne aux cloud américains et chinois"

Du côté d'OVHCloud, le provisioning de nouvelles ressources s'est concentré sans surprise sur l'e-commerce de première nécessité, la santé, les environnements de télétravail, le télé-enseignement ou encore le gaming et le streaming. Quant au cloud de Dassault Systèmes, il est sollicité par de nouveaux clients et prospects pour des problématiques data. "Il s'agit de grands groupes, d'institutions publiques, de collectivités ou d'éditeurs d'applications. Tous se tournent vers nous compte tenu de notre positionnement de cloud d'hyperconfiance qui s'incarne dans nos certifications HDS (Hébergement des données de santé, ndlr) et SecnumCloud", souligne Servane Augier chez 3DS OutScale. Cloud de confiance, le terme est lâché.

Michel Paulin confirme : "La notion de cloud souverain est remise au centre de l'échiquier. Chez OVHCloud, elle se concrétise à travers la création d'un écosystème numérique européen. Pour nous, c'est la seule manière de faire le poids face aux Gafam." Une vision qui s'est déjà traduite par la signature de plusieurs accords (Dataiku, Saagie, SAP, Systran...) dont le dernier en date a été bouclé avec Sopra Steria. En ligne avec cette stratégie, OVHCloud est aussi en train de bâtir un cloud de confiance. Embarquant ses offres Public Cloud, Private Cloud et bare metal, il sera réparti sur trois data centers dédiés, basés en France, et créés spécialement par OVH. Le premier est disponible depuis avril. Le deuxième le sera d'ici l'été. Quant au troisième, son déploiement est prévu en 2021. En cours de certification SecnumCloud, l'infrastructure aura pour vocation d'accueillir les nouveaux partenaires, mais aussi le cloud de cercle 2 de l'Etat français qu'OVHCloud est chargé de mette en œuvre.

Confiance rime avec transparence

"Cette crise accentue la pertinence de notre positionnement qui consiste à proposer une alternative européenne aux infrastructures cloud américaines et chinoises, en matière de serveurs dédiés, de colocation et de cloud public", insiste de son côté Yann Lechelle chez Scaleway. Le cloud d'Iliad ne se qualifie pas pour autant de cloud souverain, même s'il l'est aux yeux de beaucoup de ses clients. Ce n'est pas surprenant quand on sait que Scaleway cible en parallèle les hyperscalers américains. Objectif : accueillir dans ses data centers les régions françaises d'Amazon, IBM, Microsoft ou Google, les trois premiers ayant déjà commencé à implanter leurs services cloud en France.

Avec la fin du confinement, les clouds français, au premier rang desquels les IaaS que sont OVHCloud et Scaleway, devraient enregistrer une baisse de la consommation de ressources du fait d'une sollicitation moins forte dans le streaming et le gaming. Compte tenu des incertitudes à moyen terme, les capacités dédiées au télétravail, au télé-enseignement et à la santé devraient, elles, être maintenues quelques mois supplémentaires. Pour Cédric Parent, la crise va néanmoins contribuer à accélérer les migrations vers le cloud à long terme. "Le cloud revêt une place plus que jamais stratégique. Les directions générales se sont rendues compte que si la digital workplace tombait, c'est toute l'entreprise qui tombait avec elle", estime le directeur général adjoint des activités cloud d'OBS. Chez OVHCloud, on partage la même analyse. "Nos clients font évoluer leur schéma directeur et repriorisent les projets cloud pour aller vers plus de flexibilité et de télétravail", constate Michel Paulin, avant de conclure : "Leurs critères de choix vont aussi s'affiner, la réalité ayant montré qu'un cloud de confiance ouvert, transparent, et réversible, en ligne avec notre stratégie, était le bon choix."