La cloud economy, entre promesses et chausse-trappes

En France, on pourrait penser que la vision "cloud au centre" portée par l'État donnerait un coup d'accélérateur aux entreprises. Vitesse et simplification : qui, aujourd'hui, peut se permettre de dédaigner de telles promesses ? La réalité de terrain est plus contrastée.

Le second âge de la machine est aujourd'hui celui de la cloud economy. Stimulé par la pandémie, le marché européen a atteint 7,3 milliards d'euros au 2ème trimestre 2021. Un record ! Mais cette dynamique masque une réalité disparate : toutes les entreprises n'ont pas atteint le même niveau de maturité, et selon les propos d'Emmanuel Macron, la France accuse un certain retard en la matière.

Jusqu’à présent, les entreprises peinent à tirer vraiment parti des nouvelles architectures et à rentabiliser leurs investissements. Bien sûr, ces dernières n’ont plus d’autre choix que d’opérer la bascule vers le cloud, et elles peuvent optimiser cette transition pour éviter certaines chausse-trappes. Pour les plus résilientes, ce sera aussi et surtout l’opportunité de remettre à plat leurs infrastructures, repenser leur façon de travailler pour accélérer le développement des applications et de la digitalisation et déclencher des leviers de croissance durables.

Cloud is everywhere

Juste avant le début de la pandémie, 4 dirigeants sur 10 estimaient que l’accélération et la vitesse faisaient partie de leurs préoccupations majeures(1). Pour cause : l’évolution de la technologie, sous-tendue par la mondialisation et encouragée par le comportement des consommateurs, est beaucoup plus rapide qu’avant.

Ce constat est encore plus vrai à l’heure où les confinements successifs ont contraint les entreprises à repenser leurs interactions avec leurs parties prenantes. Le monde entier se digitalise.  "Nous voyons l'e-commerce devenir le commerce tout court. Je pense que la prochaine Silicon Valley est le cloud", constate Bret Taylor (directeur des opérations de Salesforce). Et de fait, il est difficile d’imaginer un ralentissement du marché à court et moyen terme.

Le cloud, un levier de compétitivité encore sous-exploité

En France, on pourrait penser que la vision "cloud au centre" portée par l’État donnerait un coup d’accélérateur aux entreprises. Vitesse et simplification : qui, aujourd’hui, peut se permettre de dédaigner de telles promesses ?

La réalité de terrain est plus contrastée. Les différents acteurs économiques peinent à exploiter le plein potentiel du cloud. Les organisations doivent naviguer entre impératifs de sécurité et d’efficacité sans savoir ou pouvoir toujours bien arbitrer entre les deux. Il n’y a pas de réelle gouvernance d’entreprise sur le sujet. Le multicloud prévalant dans beaucoup de structures est confronté à certains écueils. En cause : la grave pénurie de compétences qui affecte le marché, mais aussi et surtout les lacunes organisationnelles dont les entreprises font preuve dans la manière d’envisager leur transformation.

Car entendons-nous bien : la bascule vers le cloud est une question bien plus stratégique que technique. Or, trop de directions générales et trop de directions métiers restent en retrait de cette transition, ou pire, font des choix - parfois contraints - qui n’ont rien à voir avec leurs problématiques business. C’est frappant pour ce qui relève du cloud public : beaucoup d’entreprises font appel à tel ou tel prestataire pour bénéficier de facilités de référencement, ou de prix intéressants sur les outils bureautiques qu’elles utilisent au quotidien. Autant dire que la pertinence de l’offre au regard du projet est un critère secondaire !

Faire du cloud un vecteur d’agilité

Une telle approche ne peut qu’entretenir la déception, car elle ne permet pas aux entreprises de s’adapter à un futur par essence incertain. Dans un contexte où il est vain de chercher à investir dans une boule de cristal, un avantage comparatif majeur réside dans l’adaptabilité et l’agilité. Ce sont précisément les promesses du cloud, pour peu qu’on prenne le problème par le bon bout : quels sont les caractéristiques de l’application à développer ou à moderniser ? Quelle est l’infrastructure la plus adaptée pour cela ? Les choix ne manquent pas : clouds internes (ou privés) pour optimiser les coûts du IaaS, clouds publics pour bénéficier des services à valeur ajoutée, clouds souverains pour répondre aux besoins des industries sensibles, clouds 5G pour les besoins de mobilités, clouds de périphérie pour une expérience optimale proche du consommateur… Si on garantit la portabilité, la réversibilité, et l’évolutivité de l’infrastructure, on peut sereinement faire des choix qui sont fonction des objectifs business d’aujourd’hui, sans être tenu de savoir de savoir comment faire évoluer l’application à plus long terme. Peut-être faut-il légiférer sur le sujet !

Répondre aux nouveaux défis des entreprises

Mais au-delà, la transition vers le cloud répond aux enjeux plus que jamais prioritaires alors que le monde de demain se dessine.

Si l’on considère comme inéluctable la numérisation du monde, alors il faut que toutes les organisations maîtrisent leur destin. Et donc qu’elles soient dotées d’infrastructures garantissant la sécurité, mais aussi la souveraineté des données ! Pour un groupe comme Michelin, la question est clé. "Tout business est bâti sur la confiance. Si vos données ne sont pas sécurisées, c’est votre réputation qui est à risque. A contrario, préserver la sécurité et la souveraineté de vos données, c’est ouvrir la voie à des opportunités considérables", rappelle Pauline Flament, CTO du groupe.

Et pour saisir ces opportunités, encore faut-il ménager la possibilité d’une "vie authentiquement humaine sur terre" (2). L’urgence climatique, et la prise de conscience aigüe que notre planète est un bien commun, contraignent les entreprises à se projeter à long terme et à réfléchir en termes d’impact. Or, celui du numérique est loin d’être neutre. Dès lors, comment limiter la consommation de ressources ? Comment s’appuyer sur le cloud pour mutualiser (et réduire) les capacités de réseau et stockage ?

La bascule vers le cloud est une nécessité, et tout est encore possible dans son exécution. Avec le temps, le cloud deviendra indispensable pour les organisations qui souhaitent créer des applications et exécuter leurs technologies rapidement, de manière transparente et en toute sécurité.  Ces questions de sécurité, souveraineté et durabilité sont la responsabilité conjointe de tous les acteurs économiques. Pourquoi ne ferions-nous pas collectivement le choix de tenir enfin les promesses du numérique, en conciliant compétitivité et responsabilité ?

(1) Mazars, Accélération : Les Business Models au cœur de la stratégie d’entreprise

(2) Hans Jonas