Faustine Fleuret (Adan) "Le gouvernement ne mesure pas l'urgence d'adopter des mesures favorables en matière de fiscalité des crypto actifs"
La PDG de l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan) fait le point sur les enjeux du moment avec l'établissement du Projet de loi de finances pour 2022 et les grands chantiers européens en matière de crypto.
JDN. Un groupe de députés, mené par le député de Paris Pierre Person, a déposé une série d'amendements au PLF 2022. Une large partie est issue de propositions faites par votre association en juin dernier. Etes-vous satisfaite d'avoir l'oreille de certains élus ?
Faustine Fleuret. L'Adan est plutôt satisfaite d'avoir l'oreille de plus en plus d'élus. Dans le cadre des débats du PLF 2022, notre premier élément de satisfaction est que huit de nos propositions du mois de juin dernier ont été déposées comme amendements par un groupe de 49 députés signataires. Ce groupe de " crypto députés " est notamment mené par le député Pierre Person. Nous avons donc, avec les années, de plus en plus de parlementaires souhaitant améliorer la fiscalité des crypto-actifs et sans doute, à plus long terme, d'autres mesures hors fiscalité.
Deux amendements adoptés clarifient la distinction entre l'investisseur habituel et l'investisseur occasionnel et permettent de choisir le barème progressif de l'impôt sur le revenu en lieu et place de la flat tax pour tous. Néanmoins, d'autres amendements ont été rejetés, comme le report des moins-values et l'exonération des obligations fiscales pour certains paiements en crypto-actifs. Voyez-vous le verre à moitié plein ou à moitié vide ?
Un peu des deux ! Le point positif, c'est que l'on a eu deux amendements adoptés contre aucun en 2018. Sur les deux amendements en question, il est important que les contribuables les plus modestes puissent choisir le barème progressif de l'impôt sur le revenu lorsqu'il est plus avantageux que la flat tax. C'est une mesure sociale. La clarté entre investisseur occasionnel et investisseur habituel est également essentielle, car elle a une incidence sur le traitement fiscal.
Néanmoins, il y a des points négatifs, notamment sur l'absence d'argumentaire au rejet de certaines propositions. Nous estimons que le gouvernement ne mesure pas l'urgence d'adopter des mesures favorables en matière de fiscalité. Cela s'explique certainement par une sous-estimation du potentiel de l'industrie crypto en France. Il faut que le gouvernement soit conscient qu'une réforme plus poussée est absolument nécessaire à la croissance de l'industrie.
Qu'attendez-vous de la suite de la navette parlementaire jusqu'au vote final du PLF 2022 ?
Nous accordons beaucoup d'importance à un autre amendement non fiscal, concernant le renforcement des équipes de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Sur ce point, l'Adan a été entendue et nous souhaitons que des personnes supplémentaires soient affectées au traitement des demandes d'enregistrement PSAN. C'est crucial lorsque l'on voit la durée de l'instruction de ces demandes, en moyenne de 18 mois. Or, l'absence de l'enregistrement PSAN peut empêcher l'exercice de certaines activités.
Aujourd'hui, seules deux ou trois personnes sont dédiées à l'instruction des PSAN à l'AMF. Cela pourrait permettre d'arrêter la discrimination entre les acteurs français et les acteurs étrangers. Ces derniers ne sont généralement pas enregistrés alors qu'ils s'adressent au public français sans être inquiétés par les autorités.
"Les banques ne respectent pas le droit d'accès au compte bancaire des PSAN enregistrés"
En janvier 2020, Simon Polrot alors président de l'Adan, évoquait déjà les difficultés d'ouverture d'un compte bancaire pour les acteurs du secteur des crypto-actifs. Ce sujet semble être toujours d'actualité. Comment l'expliquez-vous ?
Le problème perdure malgré le régime PSAN qui prévoit un droit d'accès au compte bancaire aux acteurs enregistrés. En effet les banques ne respectent pas ce droit d'accès des PSAN enregistrés. Sur les 23 PSAN enregistrés de la liste publique de l'AMF, a priori seuls deux acteurs possèdent un compte ouvert auprès d'une banque française. Le reste s'est résolu à choisir une banque étrangère. Nous regrettons vivement que la loi ne soit pas respectée.
L'élection présidentielle de 2022 approche à grands pas. Les crypto-actifs ne feront probablement pas partie des thématiques principales de la campagne mais avez-vous des recommandations pour les candidats ?
Avant même l'élection présidentielle, nous agissons dans le contexte d'un autre évènement très important : la présidence française de l'UE, où l'un des piliers sera la finance numérique. Or les crypto-actifs font évidemment partie de l'avenir de la finance numérique européenne. En premier lieu il faut donc accompagner le secteur européen et mieux flécher les financements publics. Cela peut passer par flécher le plan de relance ainsi que le programme pour une Europe numérique vers le secteur des crypto-actifs, et inscrire les crypto-actifs comme une innovation de rupture.
En outre, le projet de règlement européen MiCA est une inspiration de la législation française et nous souhaiterions que les PSAN français bénéficient d'une équivalence entre leur statut et le futur statut européen. Cela leur éviterait ainsi de passer une seconde fois par le lourd processus administratif de l'agrément européen s'ils ont obtenu l'agrément français d'ici l'entrée en application de MiCA.
Quels sont les sujets les plus épineux à traiter sur la législation des crypto-actifs en France et en Europe ?
En France, l'enjeu est que les procédures d'enregistrement soient plus rapides, que la loi s'applique à l'encontre des acteurs qui ne sont pas enregistrés, et sanctionner le non-respect du droit d'accès aux comptes bancaires.
En Europe, les deux grosses problématiques sont les stablecoins et la finance décentralisée (DeFi). Concernant la première, Diem (ex-Libra) a totalement pollué les débats et conduit à façonner un régime très strict pour les émetteurs européens. Nous pouvons aussi soupçonner une volonté d'empêcher le développement de stablecoins euros afin de préparer l'arrivée de l'euro numérique de la Banque centrale européenne. Cette approche présente un risque élevé en matière de souveraineté monétaire. S'agissant de la DeFi, nous œuvrons à ce qu'elle ne soit pas interdite en Europe et que la règlementation MiCA, qui n'est pas adaptée pour celle-ci, ne s'applique pas à elle. Il faut mener une réflexion à plus long terme avec l'industrie pour que la compétitivité devienne un élément non-négociable des débats règlementaires.
Et concernant les security tokens ?
En plus de MiCA déjà évoqué, un régime pilote des security tokens devrait être expérimenté d'ici 2022. Aujourd'hui, il y a des obstacles au développement de ce marché, en raison de certaines dispositions réglementaires incompatibles. Le régime pilote permettrait à des acteurs de bénéficier de certaines exemptions à la réglementation. Par exemple, même si les security tokens sont considérés comme des instruments financiers, les plateformes pourraient avoir des particuliers en client direct, sans devoir passer par un intermédiaire. L'expérimentation est prévue sur six ans et des conclusions seront tirées à son issue.
Diplômée en économie-finance, Faustine Fleuret travaille d'abord pour l'AMF avant de rejoindre l'Association française des marchés financiers (AMAFI), puis ConsenSys. En 2020, elle devient Directrice stratégie et relations institutionnelles à l'Adan, et co-écrit le livre "Droit des crypto-actifs et de la blockchain" (LexisNexis). Elle est élue présidente de l'association, qui compte aujourd'hui 80 membres, en mai 2021. Parallèlement, elle enseigne depuis 2017 à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne.