L'écosystème crypto après la chute de Binance ? Même pas mal
Annoncée le 21 novembre, la démission de Changpeng Zhao, PDG de Binance, n'a pas vraiment surpris les observateurs de l'écosystème crypto : la plateforme d'échanges était dans le viseur de la justice américaine depuis longtemps. Le dirigeant déchu de Binance était accusé d'avoir facilité des opérations de blanchiment d'argent, ainsi que des transactions illégales entre des utilisateurs américains et ceux de pays sous sanctions, tels que l'Iran, Cuba, la Syrie, et certaines zones de l'Ukraine occupées par la Russie.
Dans le cadre d'un accord avec le Département de la Justice américain (DOJ), Binance a plaidé coupable, l'accord prévoyant également le paiement d'une amende record de 4,3 milliards de dollars à la justice. La plateforme devra également se retirer du marché américain. De cette somme, 3,4 milliards de dollars seront versés à FinCEN, le département du Trésor en charge de la lutte contre le blanchiment d'argent et le terrorisme, et 968 millions de dollars à l'Ofac, l'organisme appliquant des sanctions internationales financières décidées par les Etats-Unis. Pour ces deux organismes, ces montants constituent un record.
Bien que prévisible, la démission de Changpeng Zhao a provoqué une onde de choc au sein de l'écosystème crypto. Après avoir fondé Binance en 2017, il s'était imposé comme une figure incontournable de l'industrie crypto. En quelques années, il a fait de Binance la première plateforme d'échanges, contrôlant près de 40% du marché et gérant plus de 12 milliards de dollars de transactions quotidiennes pour plus de 15 millions d'utilisateurs à travers le monde.
Alors que Richard Tang, jusqu'alors responsable des marchés régionaux de Binance, a pris la succession de Changpeng Zhao, ces récents développements interrogent sur l'avenir de la plateforme d'échanges, et devrait avoir des conséquences sur l'écosystème crypto dans son ensemble.
Quel avenir pour Binance?
L'annonce de la démission de Changpeng Zhao a rappelé des mauvais souvenirs au sein d'une industrie encore traumatisée par l'affaire FTX, quelques semaines seulement après la fin du procès du dirigeant déchu de la plateforme d'échanges, Sam Bankman-Fried. Toutefois, contrairement à ce qui s'était passé avec FTX, le risque de voir les utilisateurs retirer massivement leurs fonds, provoquant un risque "bank run" semble écarté. Binance a a priori les reins solides, et a assuré dans un communiqué que l'ensemble des actifs crypto qu'elle détient sont adossés à leur équivalent en monnaie réelle.
"Binance a déjà prouvé sa résilience, et son activité ne se résume pas aux Etats-Unis ou à une seule personne, aussi importante soit-elle", estime Thibaut Boutrou, CEO de Meria, plateforme d'investissement crypto. "Je pense qu'ils sont armés pour passer cette épreuve même s'ils y laisseront certainement des parts de marché."
Binance devrai encore vraisemblablement faire face aux autorités américaines. Richard Tang devra notamment gérer les poursuites, toujours en cours, menées par la Securities and Exchange Commission (SEC) des Etats-Unis. Celle-ci reproche notamment à Binance d'avoir conservé des crypto-actifs pour le compte de clients américains via Binance Holding ou autres entités du groupe, alors que seul Binance U.S. avait le droit de le faire.
Quant à Changpeng Zhao, il semble devoir s'en sortir sans trop de dommages. S'il a été contraint de quitter son poste de dirigeant, il restera le principal actionnaire de Binance. Le Département de la Justice américain l'a en effet autorisé à conserver sa participation dans l'entreprise. Cette relative clémence de la part de la justice américaine semble également devoir lui éviter de se retrouver derrière les barreaux. Changpeng Zhao risque en théorie jusqu'à cinq ans de prison après avoir plaidé coupable d'avoir violé le Bank Secrecy Act, qui exige des institutions financières de mettre en place des mesures contre le blanchiment d'argent. Des sources au sein du département de la justice américaine ont indiqué au New York Times que le procureur réclamerait une peine de 18 mois de prison contre le dirigeant déchu.
Mais il y a peu de chances que la justice se montre sévère à son encontre. Dans un cas similaire, Arthur Hayes, co-Fondateur de BitMEX, avait été condamné en mai 2022 à six mois d'assignation à résidence et deux ans de probation. Zhao lui-même ne semble pas particulièrement inquiet de se voir privé de liberté: il a partagé ses projets d'avenir sur X, prévoyant notamment d'utiliser son temps libre pour étudier plus en profondeur la DeFi.
Un signe de maturation de l'écosystème?
Malgré un vent de panique initial qui a provoqué la chute du Bitcoin et du marché en général, ce dernier est rapidement reparti à la hausse, sur le même rythme que celui observé ces dernières semaines. Le fait que Binance poursuive ses opérations semble avoir rassuré les investisseurs. Et, d'une certaine manière, cela contribue à donner l'impression que l'écosystème est en train de s'assainir. "Il s'agit d'un tournant important dans la jeune histoire de notre industrie", estime Thibaut Boutrou. "Les récents évènements témoignent du fait que le secteur grandit, se structure et se professionnalise, en corrigeant les erreurs passées."
Le menace d'une action de la justice américaine contre Binance pesait en effet depuis longtemps, et le fait qu'un accord ait été trouvé entre les deux parties pourrait avoir un impact finalement positif. De nombreux observateurs estiment ainsi que ces développements, ajoutés à la fin du procès FTX, ont une valeur symbolique, et permettront à l'écosystème d'aller de l'avant.
On pourrait également assister à une redistribution du marché des plateformes d'échanges crypto centralisés, qui a déja enregistré la disparition de FTX. Privée du marché américain, contrainte de payer plus de 4 milliards de dollars à la justice américaine et orpheline de son très médiatique leader, Binance se retrouve considérablement affaiblie, et sa concurrente américaine Coinbase pourrait faire partie des principaux bénéficiaires.
"Nous assistons à un tour de force de la part Etats-Unis", estime Alexandre Sachtchenko, expert blockchain et crypto. "Ils cochent toutes les cases en s'adonnant à deux de leurs sports préférés : le racket légal et le protectionnisme. Si on résume, ils prennent 4 milliards au concurrent le plus dangereux pour leur entreprise nationale, tout en lui interdisant d'exercer sur leur marché domestique. De plus, ils éjectent la figure emblématique de l'entreprise, qui était pour beaucoup dans son succès".
En agissant comme elle le fait, la justice américaine pourrait également inciter les juridictions d'autres pays, à réviser leur position vis-à-vis de Binance. "Les pays qui avaient choisi la stratégie d'attractivité et d'accueil de Binance vont devoir choisir entre leur réputation ou la préservation de Binance, ses emplois et investissements, sur leur territoire", estime Alexandre Sachtchenko. L'expert cite notamment la France, qui avait accueilli Binance à Bercy avec tapis rouge en 2021, avant de lui accorder le PSAN, et alors que de nombreuses entreprises françaises déployaient des efforts importants pour être conformes, ce qui avait suscité un sentiment d'injustice auprès de nombreux chef d'entreprise.