Le bitcoin treasury, folie passagère ou stratégie inévitable ?
Et maintenant, au tour des entreprises françaises cotées de s'y mettre. Le 8 juillet, le fabricant de puces IoT Sequans a annoncé lever 384 millions de dollars pour acheter du bitcoin afin d'en faire le pilier de sa trésorerie. En novembre 2024, une autre entreprise française, The Blockchain Group, avait opté pour la même stratégie en achetant 15 bitcoins. Elle en détient 1 933 à ce jour. Etant donné le cours actuel de la plus célèbre des cryptomonnaies, qui a dépassé 123 000 dollars ce 14 juillet, elle ne doit pas le regretter (du moins pour le moment…).
Le phénomène est plutôt nouveau en France. Mais aux Etats-Unis, des sociétés comme MicroStrategy ou Tesla, pour ne citer qu'elles, ont respectivement investi dans du bitcoin dès 2020 et 2021 pour en faire un actif important de leur trésorerie. Selon le Financial Times, plus de 130 entreprises cotées détiennent désormais du bitcoin à leur bilan, pour une valeur totale de 87 milliards de dollars, soit plus de 3,2% de l'offre totale de la cryptomonnaie.
3,2% des bitcoins détenus par 130 entreprises cotées
Contacté, Sequans a expliqué au JDN ce qui l'avait poussé à opter pour une telle stratégie. "On rencontrait des difficultés. Une vente importante auprès d'un client japonais a été reportée, notre valorisation commençait à chuter et on avait besoin de se relancer", confie Georges Karam, CEO et cofondateur. "Le bitcoin est devenu un actif vraiment fiable qui a fait ses preuves en tant que technologie et dont le risque règlementaire a été supprimé par les dernières politiques venues des Etats-Unis. Le bitcoin est devenu too big to fail, ce n'est plus un investissement risqué". En outre, le dirigeant reconnait s'être inspiré des boîtes américaines, dont MicroStrategy qui a fait figure de pionnière et qui détient à ce jour plus de 600 000 bitcoins.
"On voulait envoyer un message positif à nos investisseurs. Notre stratégie s'inscrit sur du long terme car on est persuadé que le bitcoin poursuivra sa progression, peut-être même jusqu'à un million de dollars. Désormais, quand on achète une action Sequans, en réalité, on achète du bitcoin", poursuit Georges Karam. A entendre ces propos, on a presque l'impression que l'activité de la société passe au second plan. D'ailleurs, l'action de l'entreprise cotée au New York Stock Exchange a nettement bondi le jour de l'annonce de cette nouvelle stratégie (environ +40%).
" Quand on achète une action Sequans, en réalité, on achète du bitcoin"
Outre l'effet positif attendu (et déjà ressenti) auprès des investisseurs, le CEO de Sequans estime par ailleurs que cette initiative pourrait renforcer l'image de l'entreprise auprès de ses clients : "Ils nous verront comme un acteur plus fiable, plus solide. L'activité opérationnelle ne pourra qu'aller mieux".
Pour les entreprises, investir dans du bitcoin est aussi un moyen de protéger sa trésorerie de l'inflation. "Depuis que l'euro a été mis en circulation, il a perdu 45% de sa valeur. On dit que le bitcoin est instable mais c'est plutôt notre monnaie qui se déprécie constamment", indique Josselin Tonnelier, cofondateur de Stackinsat et fervent défenseur de la reine des cryptomonnaies. Partner pour le fonds d'investissement Serena, Olivier Martret y voit également une opportunité pour les entreprises de "diversifier leurs actifs" et de "profiter de rendements élevés à court terme".
Bientôt le tour des Gafam ?
Jusqu'à présent, Tesla est la seule entreprise parmi les Sept Magnifiques à avoir investi massivement dans du bitcoin. Est-ce que les Gafam ou Nvidia pourraient suivre ? "On va rentrer dans un monde où le bitcoin va devenir inévitable. Les big tech vont devoir s'y mettre", assure Josselin Tonnellier. "Quand une entreprise comme Apple investira ne serait-ce que 1% de sa trésorerie dans du bitcoin, cela enverra un signal fort".
Et côté français, serait-il envisageable que les entreprises du CAC 40 sautent le pas à leur tour à moyen terme ? "Je pense qu'on en est encore très loin. Ce n'est pas trop dans notre mentalité", répond Olivier Martret. "En France, le bitcoin est mal vu et on ne manque pas une occasion pour le critiquer", confirme Josselin Tonnelier. "Mais un jour ou l'autre, même les grands groupes français seront obligés de regarder vers le bitcoin. Ils n'auront pas le choix étant donné la fragilité de notre monnaie".
Avant d'en arriver là, il reste quelques étapes à franchir selon Olivier Martret : "C'est un mouvement très sérieux mais qui, en France, va prendre du temps. Il faut à la fois un effort de réglementation pour établir des règles claires et un effort d'évangélisation. Pour le moment, les entreprises adeptes du bitcoin treasury sont dirigées par des personnes qui sont très confiantes sur l'avenir du bitcoin".
"Si demain des outils financiers simples et accessibles émergent, et qu'une véritable expertise s'installe, alors oui, nous inciterons nos entreprises à franchir le pas"
Est-ce que cet investisseur de Serena pourrait inciter les entreprises de son portefeuille à se pencher sur le bitcoin ? "Pas pour l'instant. Pour les petites structures, ce serait ajouter une couche de complexité. Mais si demain des outils financiers simples et accessibles émergent, et qu'une véritable expertise s'installe, alors oui, nous inciterons nos entreprises à franchir le pas". Sans surprise, la stratégie du bitcoin treasury concerne d'abord les grands groupes disposant de solides équipes financières et d'une puissance de frappe suffisante. "Cette stratégie nécessite beaucoup de cash. Il ne faut pas se lancer si les comptes sont dans le rouge", avertit Josselin Tonnelier.
Autre avertissement lancé par le cofondateur de Stackinsat, "le bitcoin est la seule cryptomonnaie cohérente pour investir sa trésorerie". D'ailleurs, Trident Digital avait annoncé en juin investir 500 millions de dollars de sa trésorerie dans du XRP. A la suite de cette annonce, son action avait chuté en bourse de 38%. Pour le moment, seul le bitcoin semble crédible : "les autres cryptomonnaies sont moins fiables. On ne veut pas jouer à un jeu aléatoire", conclut Georges Karam.