Pavel Aleshin (Yandex Market) "Les marchands étrangers vont nous permettre de développer le marché e-commerce russe"

Yandex Market, premier comparateur de Russie avec 17 000 marchands indexés, développe également un modèle de marketplace rémunéré au CPA. Le JDN a rencontré son directeur au Lengow Day.

JDN. Yandex, qui domine le search en Russie avec environ 60% de part de marché, a ouvert Yandex Market en 2002. Quelle place occupe cette plateforme sur le marché russe ?

Pavel Aleshin, directeur de Yandex Market © F.Fauconnier / JDN

Pavel Aleshin. Elle indexe aujourd'hui 77 millions d’offres de plus de 17 000 marchands et attire 27 millions de visiteurs uniques par mois. Il s’agit officiellement de BtoC, mais nous ne pouvons pas vérifier s’il y a du CtoC. Yandex Market est le premier comparateur du pays. Il est notamment très pratique pour les entreprises et leur sert de référence lorsqu’elles cherchent les prix les plus bas.

Nous nous rémunérons principalement au CPC, mais nous développons aussi un modèle au CPA pour lequel l’achat du produit est effectué sur la plateforme. Jusqu’au printemps, cette seconde activité n’a pas crû aussi vite que nous le souhaitions, mais cela va changer. En effet, les marchands préfèrent vendre sur leur propre site afin de pouvoir fidéliser les acheteurs. Sauf que cela ne marche pas, car les consommateurs russes cherchent avant tout à payer moins cher. Et pour cela, ils ont le réflexe Yandex. En outre, la loi vient d’être modifiée. Alors qu’il fallait auparavant un contrat signé avec les marchands, une transaction peut maintenant tenir lieu de contrat.  Cela a fait bondir notre activité au CPA de 40% en deux mois seulement. Et maintenant que les vendeurs comprennent que le CPA est le modèle normal, ils le testent.

 

Fournissez-vous des services logistiques aux vendeurs ?

Pour l’instant, la logistique est à leur charge. Mais la poste russe n’est pas très efficace. A Moscou et St Pétersbourg, vous pouvez être livrés en un ou deux jours ouvrés. En revanche, si l’acheteur est à Ekaterinbourg, pourtant une grande ville [1,4 million d’habitants, à 2h d’avion de Moscou, ndlr], la plupart des marchands diront qu’ils ne peuvent pas le livrer.

Yandex a donc bâti et teste actuellement un système informatique qui agrège tous les transporteurs et s’intègre à la marketplace. Sachant qu’en Russie, je dirais que les trois quarts des commandes sont en paiement à la livraison. Il appartient donc au transporteur de remonter l’argent jusqu’au marchand. Notez d’ailleurs qu’il faut se méfier des statistiques sur le marché russe, beaucoup sont fausses. Mais le problème principal est que les consommateurs n’ont pas confiance dans le paiement en ligne.

 

Rendrez-vous ce service disponible aux marchands étrangers qui veulent faire des ventes cross-border en Russie ?

Dans un deuxième temps, oui. Notez par ailleurs que les produits vendus en ligne en Russie sont quasiment tous chinois ! Donc tout ce qui distingue une vente cross-border, c’est le côté de la frontière duquel est expédiée la commande, mais pas le fait que le produit n’est pas russe. Et pour l’instant, 80% des ventes cross-border sont prises en charge par la poste russe.

"Très sous-développé, l'e-commerce russe présente un gros potentiel de croissance"

Toutefois, même si nous voulons attirer des marchands étrangers, notre objectif est surtout de développer le marché e-commerce russe, car c’est ainsi que nous pourrons accroître notre activité. Or les consommateurs russes sont réticents vis-à-vis des marketplaces. En France, Lengow nous a dit que les marques avaient envie de vendre en Russie. Les intégrer va nous permettre de montrer aux marchands et aux marques russes ce qu’ils perdent en ne vendant pas en ligne ou en n’étant pas présents sur les comparateurs et marketplaces.

 

La Russie est-elle intéressante pour les marchands français ?

Extrêmement ! Le marché est complètement sous-développé. Il y a beaucoup de potentiel de croissance et ceci sur de nombreuses catégories de produits. Je trouve d’ailleurs étrange qu’un marchand étranger préfère envoyer ses produits en Hongrie ou en République tchèque plutôt qu’en Russie, un marché gigantesque où habite pas moins de la moitié de la population européenne ! En Russie, Internet ne représente que 2% des ventes de détail, contre 5% en Allemagne et 10% au Royaume-Uni. Cela constitue une très belle marge de progression.

 

Cette croissance à venir n’est-elle pas très tributaire de la poste russe ?

Le service de la poste russe va s’améliorer, même si ce sera lent. Nous avons aussi des sociétés de transport privées, comme Pony Express, et il est toujours possible d’utiliser DHL, Fedex ou UPS. Mais la livraison est alors très onéreuse et peut monter jusqu’à 50 euros pour un colis normal. Bref, actuellement, la livraison est soit lente et peu sûre, soit très chère.

Néanmoins, alors que les Russes exigent du paiement à la livraison, ils acceptent très bien de prépayer en ligne la commande pour leurs achats cross-border. Ce qui permet par exemple à Asos d’avoir en Russie un rythme de croissance tout à fait normal. Pour les marchands étrangers, le paiement en ligne est possible.

 

Y a-t-il en Russie de nouvelles marketplaces qui émergent et se développent ?

Non. Yandex, Mail.ru et Rambler.ru datent tous les trois des années 90 et sont toujours les acteurs dominants. De nouveaux acteurs lèvent des fonds pour tenter leur chance mais aucun n’a encore véritablement percé.

Quant aux marchands, comme le généraliste Ozon, il est plus profitable pour eux de vendre en propre que d’ouvrir une marketplace. En outre, les consommateurs ne feraient pas confiance à un marchand pour leur garantir les meilleurs prix tout le temps.

 

Pavel Aleshin est le directeur de Yandex Market. Ingénieur biomédical diplômé de l'Université Technique Bauman de Moscou, il intègre Yandex dès le début de sa carrière en 2001 en tant qu'ingénieur C++ puis chef de projet informatique sur plusieurs projets clés de la société. Le périmètre de ses responsabilités s'étend peu à peu aux systèmes de paiement, à la facturation et aux services d'analytics. En 2012 il prend la tête du département infrastructure de Yandex puis, en janvier 2015, la direction de Yandex Market.