Pieter Van der Does (CEO d'Adyen) "Les 250 millions de dollars levés permettent avant tout de rassurer"

De passage à Paris pour le France Digitale Day, Pieter Van der Does, CEO de la solution de paiement internationale et multicanale Adyen et classé 12ème personnalité la plus influente du Web par Wired UK, répond aux questions du JDN.

Pieter Van der Does, CEO d'Adyen. © Adyen

JDN. Créé en 2006 aux Pays-Bas, Adyen permet aux commerçants d'accepter des paiements partout dans le monde, peu importe le canal de vente (site Web, applis et points de vente) et est aussi acquéreur monétique : la solution est connectée directement à tous les principaux systèmes de cartes bancaires du monde et revendique son indépendance face aux banques. Pouvez-vous nous donner des chiffres sur votre développement ?

Pieter Van der Does. Nous prévoyons plus de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires cette année et 40 millions d'euros de bénéfices. Nous gérons un volume de transaction de 40 milliards d'euros par an, selon le rythme enregistré à la fin du mois de mars –contre 25 milliards de dollars fin décembre 2014. Nous comptons des sociétés comme Facebook, Uber, AirFrance KLM, Groupon, Blablacar ou Photobox parmi nos clients.

Quels sont vos objectifs en termes de chiffre d'affaires pour les années à venir ?

Jusqu'ici, on a doublé nos résultats chaque année. On est passés de 70 millions d'euros de chiffre d'affaires à 150 puis 300 millions. C'est un rythme que l'on ne pourra pas toujours tenir, bien sûr… Notre croissance va ralentir, mais on innove énormément dans l'omnicanal et ça peut booster notre croissance.

Justement, en termes d'innovations, quels sont les secteurs dans lesquels vous investissez et ce sur quoi vous travaillez ?

Nous innovons sur trois axes principaux. D'abord, l'omnicanal. Traditionnellement, magasins physiques et en ligne étaient distincts, mais ce n'est plus le cas. Les commerçants veulent désormais pouvoir mélanger leurs canaux. Notre plateforme fonctionne avec le mobile, le Web et dans les enseignes physiques et relie totalement les différents canaux. Ça veut dire que si quelqu'un est dans le magasin, le commerçant peut rembourser la transaction directement sur la carte de crédit lorsqu'un client vient faire un retour, même s'il a acheté le produit en ligne. Et c'est primordial pour éviter la fraude : si vous pouvez récupérer du cash en remboursement en magasin, cela peut permettre de se faire rembourser deux fois !

Un deuxième chantier est celui de la data : nous voulons aider les commerçants à détecter la fraude et à éviter les "faux positifs". Nous souhaitons aussi leur donner des informations précises sur ce qui se passe, parce que vous traitez très différemment un client qui n'a pas assez d'argent sur son compte et quelqu'un qui a essayé de passer 30 commandes avec des cartes de crédit volées.

Enfin, nous permettons aux commerçants de glaner des informations sur leurs clients : si quelqu'un achète beaucoup en ligne, vous ne le traiterez pas de la même manière que quelqu'un qui se rend toujours dans l'enseigne physique. Ils peuvent ainsi augmenter leur conversion. Nous avons par exemple permis à Showroomprivé de faire grimper son taux de 4%.

Quels sont vos plus gros marchés ?

40% des transactions aux Etats-Unis

Les Etats-Unis représentent 40% des transactions que nous gérons, comme l'Europe. Les 20% restants viennent de l'Asie et de l'Amérique Latine. Mais les pourcentages sont un peu biaisés . Pour certaines très grosses sociétés, principalement américaines, on fait beaucoup de travail en Amérique Latine mais c'est comptabilisé dans les revenus américains. Notre bureau brésilien se développe énormément.

Aux Etats-Unis, vous vous frottez à de gros concurrents, comme Stripe ou Braintree, qui ont levé énormément de fonds. Comment vous démarquez-vous ?

Sur le marché B2B, la qualité est bien plus importante que le marketing. Lever énormément de fonds et les dépenser marche bien pour Zalando, par exemple, parce que cela confère à la marque une énorme reconnaissance et que les clients commandent davantage. En B2B, on compte sur la recommandation du client et sur le fait que les prospects vont se dire : "si ça marche pour Facebook, pour Netflix, pour Spotify alors ça marchera pour moi". Cela fonctionne extrêmement bien. D'ailleurs, nous travaillons avec des sociétés internationales mais aussi avec des plus petits qui veulent la même qualité de plateforme. Adyen est construit pour être international et omnicanal, mais beaucoup de nos clients n'ont qu'un seul canal et n'opèrent qu'au niveau national.

Nous avons recruté nos premiers clients américains il y a deux ans et nous gérons aussi leur trafic domestique. Cela a été un moment très important, parce qu'on pensait qu'on pouvait les faire signer un contrat pour gérer leurs paiements à l'international mais on n'imaginait pas que l'on aurait aussi leur volume US. Finalement, beaucoup nous ont demandé de nous occuper aussi du marché domestique. Notre bureau américain est le plus important, toutes les branches de métier d'Adyen y sont représentées.

Comment vous différenciez-vous de vos concurrents ?

La plupart des sociétés se contentent de bâtir une couche au-dessus du système bancaire existant. Cette couche est très facilement accessible donc beaucoup évitent de se fatiguer à essayer de se passer des banques. C'est ce que j'avais fait dans une précédente société [Bibit, rebaptisée Worldpay depuis, ndlr]. Mais en lançant Adyen, nous avons voulu remplacer les banques et nous avons décidé de travailler directement avec les systèmes de cartes bancaires comme Visa et Mastercard. Donc vous n'aurez jamais la même qualité de service avec une société qui s'est contentée de conserver l'ancien système bancaire et de travailler avec. Avec Adyen, les commerçants peuvent avoir accès à leurs clients, mesurer l'expérience consommateur, réaliser le coût de dire non à quelqu'un auquel ils auraient dû dire oui, observer la conversion…

Vous avez récemment ouvert des bureaux en Chine et en Australie. Quelle est votre stratégie de développement dans ces pays ?

En Chine, Adyen ne gèrera pas les transactions locales

Le bureau de Shangai est destiné à aider les commerçants chinois à vendre à l'étranger et les commerçants étrangers à vendre en Chine. Nous n'avons pas pour ambition de devenir un acteur local : leurs infrastructures sont très développées et il serait très arrogant de penser qu'ils ont besoin de nous pour ça. Par contre, en Australie, l'objectif est le même qu'en France : aider les commerçants à vendre dans le pays, à l'étranger, et dans les points de vente physiques.

Vous avez levé 250 millions de dollars en 2014. Où en êtes-vous aujourd'hui de votre financement ? Comptez-vous finaliser un nouveau tour de table ?

Nous n'avons pas besoin de lever davantage de fonds. Nous allons enregistrer environ 40 millions d'euros de bénéfices cette année. Les 250 millions de dollars ont servi à divers investissements, mais le tour de table a surtout été bouclé pour une raison bien précise : puisque nous remplaçons les banques, nous avons besoin d'une très grande stabilité financière pour obtenir plus facilement les diverses autorisations nécessaires à notre développement. Donc même si l'argent reste à la banque, cela nous permet d'investir dans certains pays, comme en Asie. Nos bénéfices, on peut les dépenser, mais les fonds levés sont là pour apporter de la confiance.

Quel est votre plus grand défi actuellement ?

Il y a une grande différence entre vendre notre solution aux commerçants qui ont déjà des terminaux dans leurs enseignes, et les amener à abandonner leur infrastructure actuelle pour travailler avec les terminaux Adyen (on ne les fabrique pas nous-mêmes, mais ils sont bâtis avec notre logiciel). On investit donc énormément sur ce sujet. On travaille actuellement avec de grandes marques de mode dans le monde entier. Bizarrement, contrairement à ce que l'on avait prévu, la plupart du temps les marques commencent par migrer vers notre solution dans leurs magasins physiques (mais nous choisissent parce que l'on est multicanal) puis le trafic en ligne est installé ensuite. Ils commencent par le plus difficile : changer d'équipement. 

Pieter van der Does a cofondé Adyen en 2006. Il a auparavant été CCO du service paiement Bibit, racheté par Royal Bank of Scotland en 2004, et est resté au conseil d'administration jusqu'en 2006.