Walmart vs Amazon : le match des investissements

Walmart vs Amazon : le match des investissements Dans quelles activités misent les deux géants américains du retail et de l'e-commerce ? Quels types de sociétés acquièrent-ils ? Analyse.

A notre gauche, Walmart, numéro un mondial de la distribution, 486 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2016 dont 15,8 milliards en ligne, 221 milliards de capitalisation boursière, 11 695 points de vente dans le monde, et une envie manifeste de rattraper son retard dans le digital.

A notre droite, Amazon, numéro un mondial de la vente en ligne, 136 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2016 dont 95 milliards dans l'e-commerce, 426 milliards de capitalisation boursière, et une envie manifeste de s'attaquer à la distribution physique qui accapare toujours 90% des ventes de détail aux Etats-Unis.

En guise de gants de boxe, des investissements massifs destinés aussi bien à combler leurs lacunes qu'à magnifier leurs forces.

Walmart : des sites marchands et des savoir-faire

Walmart avait débuté la décennie 2010 de façon assez studieuse, en acquérant de nombreuses technologies pour étoffer son Walmart Labs jusqu'au rachat de la solution de CRM PunchTab en septembre 2015. Pas suffisant néanmoins pour rattraper son retard dans l'e-commerce face à Amazon qui, bien au contraire, ne cessait de creuser l'écart avec une croissance de ses ventes en ligne environ deux fois supérieures aux siennes. Il était temps de changer son fusil d'épaule.

Pour aller plus vite, le groupe acquiert désormais des sites marchands. A commencer bien sûr par Jet.com, acquis mi-2016 pour pas moins de 3,3 milliards de dollars. Et avec lui un business à plus d'un milliard de dollars de volume d'affaires annualisé, ainsi qu'une clientèle plus jeune et plus urbaine que celle de Walmart.

Des résultats payants dès le 4ème trimestre 2016

Le rachat de Jet, c'est aussi le recrutement de Marc Lore, surdoué de l'e-commerce qui avait su tenir tête à Amazon avec Quidsi (Diapers.com) et fait de Jet un succès foudroyant. En lui confiant les rennes de sa division e-commerce, Walmart assume aussi le caractère hautement stratégique de cette activité, à laquelle il consacre encore un milliard de dollars sur 2016 : doublement en six mois du nombre d'entrepôts nord-américains, offre étendue de 8 à 35 millions de références en un an, déploiement du format drive pour pousser son avantage omnicanal sur Amazon, ou encore abaissement du seuil de livraison gratuite en deux jours de 50 à 35 dollars de panier.

Et les résultats n'ont pas tardé. Au quatrième trimestre 2016, Walmart voyait ses ventes en ligne progresser de 29% (et de 36% en volume d'affaires), contre 22% pour Amazon. Or Marc Lore s'est engagé à rester aux manettes pendant cinq ans. Avec un credo : piloter sa division comme une start-up.

Les acquisitions e-commerce de Walmart ont repris début 2017. Avec Shoebuy en janvier pour 70 millions de dollars, le groupe s'est offert un concurrent de Zappos (propriété d'Amazon) fort de 800 marques et 1 million de références de chaussures et de mode. C'est aussi le renforcement de l'offre qui a conduit la firme à racheter Moosejaw en février pour 51 millions : click&mortar de 10 magasins positionné sur l'outdoor, Moosejaw commercialise des marques comme Patagonia ou The North Face, absentes chez Walmart. En mars, c'était au tour de ModCloth de rejoindre son giron pour 50 à 75 millions de dollars selon la presse US. Le site d'habillement féminin vintage, connu pour son ouverture à toutes les morphologies, renforce lui-aussi l'offre de mode en ligne de Walmart face à un Amazon dont c'est l'une des priorités déclarées. L'un comme l'autre misent d'ailleurs sur l'exclusivité de leur catalogue : ModCloth est une marque, Amazon développe ses propres labels.

1,1 milliard de plus budgété pour 2017

Mais au-delà de l'offre du site et de son chiffre d'affaires, une goutte d'eau pour son acquéreur, celui-ci acquiert aussi un vrai savoir-faire en matière de marketing social, d'animation de communauté et d'engagement des populations plus jeunes et plus hype. Même chose avec Shoebuy, dont le patron gère maintenant aussi les chaussures sur Walmart.com et Jet.com. L'actuel tropisme apparent de Walmart pour les acquisitions de sites marchands ne doit donc pas masquer que davantage qu'une base de clients ou qu'un chiffre d'affaires, il recherche avant tout des savoir-faire qu'il ne possède pas encore.

Enfin, Walmart s'intéresse de près aux marchés asiatiques. Certes, sa première tentative notable en Chine avait échoué. Le groupe n'avait racheté les 49% restants de Yihaodian mi-2015 que pour revendre 100% du site à JD.com un an plus tard. Il possède maintenant 11% de JD, premier e-commerçant du pays (puisque la marketplace Alibaba ne vend pas en propre), mais a pour l'instant renoncé à se frotter lui-même à ce marché compliqué. Reste l'Inde, où Walmart envisage depuis l'an dernier d'investir dans Flipkart pour concurrencer leur ennemi commun, Amazon, en très forte progression sur le sous-continent.

En 2017, Walmart prévoit de dépenser 1,1 milliard de dollars dans l'e-commerce, mais également une partie des 11 milliards d'investissements budgétés pour l'année dans l'expérience omnicanale de ses clients magasins. Fini le déploiement à tout va des hypermarchés, le groupe investira désormais dans ses points de vente existants et utilisera son activité web pour accroître le trafic en magasin.

Acquisitions de Walmart depuis deux ans
Date Nom Montant (millions de dollars) Domaine Nationalité Commentaire
27-juil-15 Yihaodian n.c. site marchand généraliste Chine revendu à JD en juin 2016
24-sept-15 PunchTab n.c. outil de CRM US intégré à Walmart Labs
06-août-16 Jet 3300 marketplace généraliste US la plus grosse acquisition e-commerce de l'histoire
05-janv-17 Shoebuy 70 site marchand de chaussures et de mode US intégré à la division e-commerce
15-févr-17 Moosejaw 51 click&mortar outdoors US stand-alone
17-mars-17 Modcloth entre 50 et 75 site de mode femme vintage US intégré à la division e-commerce

Amazon : des technos et des pays émergents

Côté investissements, Amazon a bien sûr beaucoup misé sur son infrastructure logistique. Pour livrer toujours plus vite, il a ouvert des centres de distribution dans de nombreux Etats américains comme à l'étranger. Il est aussi devenu un transporteur à part entière, doté d'une flotte de camions, d'avions, de bateaux et bientôt de drones. Fin janvier 2017, un investissement de 1,5 milliard de dollars pour sa flotte d'avions cargo a ainsi été annoncé.

Pour pousser son programme de fidélité Prime, il a subventionné largement les livraisons (et développé son activité Prime Video de production et de diffusion de contenus, y gagnant même trois Oscars !). Or ses investissements logistiques ont beau être massifs, Amazon refacture de mieux en mieux ces coûts, via les abonnements Prime ou les revenus de FBA. Il pourrait donc, dans un futur relativement proche, transformer cette ligne de dépenses en centre de profit.

Côté acquisitions, leur analyse montre que depuis celle de Zappos pour 1,2 milliard de dollars en 2009, la firme de Jeff Bezos rachète avant tout des technologies. Cloud, bases de données, big data, développement… elles alimentent pour la plupart AWS et assez peu l'activité d'e-commerce, à l'exception de l'outil de fitting 3D Shoefitr acquis en 2015. Lorsqu'Amazon sort son portefeuille pour son activité de vente en ligne, c'est désormais pour prendre position sur de nouveaux marchés.

Une belle prise : le leader moyen-oriental

L'e-marchand avait déjà fait main basse sur Emvantage, plateforme indienne de paiement mobile, pour attaquer ce marché en très forte croissance par un autre angle que sa marketplace. Cette dernière n'est pas en reste puisqu'en 2016 Jeff Bezos a annoncé débloquer 3 milliards de dollars de plus que les 2 milliards investis depuis 2014 pour s'imposer dans le pays où Flipkart et Snapdeal se saignent eux-aussi aux quatre veines pour accroître leur part de marché.

Le 28 mars, l'e-marchand a confirmé ses ambitions sur les marchés émergents en rachetant Souq.com, le leader de l'e-commerce au Moyen-Orient, pour environ 800 millions de dollars. La vente en ligne ne pèse que 2% des ventes de détail dans la région mais croît de 30% chaque année, tirée par la pénétration croissante des cartes de crédit et du mobile. Basé à Dubaï, Souq dessert les Emirats Arabes Unis, l'Egypte, l'Arabie saoudienne, le Koweït, Bahreïn, Oman et le Qatar. Une empreinte large qui va permettre à Amazon de ne pas démarrer de zéro comme à son habitude à l'étranger : pas besoin cette fois-ci d'obtenir les autorisations réglementaires nécessaires aux entreprises étrangères, ni d'avoir à construire une base de fournisseurs et de vendeurs. Il y gagne également l'activité logistique Fulfilled by Souq ainsi que la plateforme de paiement Payfort, deux atouts majeurs pour son expertise locale.

Deux grands axes de développement : la mode et l'alimentaire

Notons aussi plusieurs acquisitions qui ne se sont pas concrétisées mais en disent long sur les intentions d'Amazon. Depuis deux ans, il aurait envisagé de racheter une flopée de sites de mode : Everlane, Le Tote, Rent The Runway, ThirdLove et PreeLine. Il était également sur les rangs pour reprendre la marque en faillite American Apparel. On peut donc s'attendre à ce que dans ce secteur, où il pourrait déjà dépasser Macy's cette année, Amazon allie croissance externe à ses investissements internes.

Enfin, l'autre grande priorité e-commerce de Jeff Bezos réside bien sûr dans l'alimentaire, terrain de plusieurs expérimentations de distribution physique. Si Amazon avait déjà ouvert quelques librairies, ses projets en matière de supermarchés montrent des ambitions bien plus élevées. Magasin sans caisse avec Amazon Go, drive avec AmazonFresh Pickup, entrepôts connectés… l'e-commerçant expérimente tous azimuts pour trouver les formats avec lesquels il attaquera les distributeurs physiques sur leur propre terrain et offrira lui-aussi une expérience omnicanale. Walmart n'est pas sorti de l'auberge.

Acquisitions d'Amazon depuis deux ans
Date Nom Montant (millions de dollars) Domaine Nationalité Commentaire
13-mars-15 2lemetry n.c. analyse de data IoT US intégré à AWS
10-avr-15 Shoefitr n.c. technologie de fitting 3D pour els chaussures US  
10-avr-15 Amiato n.c. migration de bases de données (vers Amazon Cloud) US intégré à AWS
29-avr-15 ClusterK n.c. technologie cloud pour les développeurs sous AWS US intégré à AWS
14-juil-15 AppThwack n.c. solutions de test d'applications mobiles US intégré à AWS
août 2015 Biba Systems n.c. outils de chat vidéo et audio pour les pros US intégré à AWS pour Chime
25-sept-15 Safaba Translation Systems n.c. logiciel de traduction US  
19-oct-15 Elemental Technologies 296 conversion de vidéos pour une diffusion en IP US intégré à AWS
12-févr-16 NICE n.c. high-performance computing Italie  
17-févr-16 Emvantage  n.c. plateforme de paiement et wallet mobile Inde intégré à l'équipe paiement d'Amazon India
avril 2016 Harvest.ai 20 intelligence artificielle appliquée à la sécurité des accès US intégré à AWS
14-juil-16 Cloud9 n.c. builds developer tools for AWS US intégré à AWS
16-août-16 Curse n.c. éditeur contenus pour gamers US intégré à Twitch
06-mars-17 Thinkbox Software n.c. outils pour professionnels de la création vidéo Canada intégré à AWS
15-févr-17 Do.com n.c. plateforme d'outils de productivité pour les réunions US intégré à AWS pour Chime
28-mars-17 Souq environ 800 site marchand et marketplace généraliste UAE leader de l'e-commerce au Moyen-Orient