Emmanuel Toussaint (Vinatis.com) "Vente Privée et Cdiscount sont les concurrents qui nous inquiètent le plus"

Le site marchand de vin multiplie les outils destinés aux consommateurs non spécialistes et prépare une deuxième e-boutique encore plus grand public. Son cofondateur dévoile sa stratégie.

JDN. Comment se porte le secteur de la vente en ligne de vin ?

Emmanuel Toussaint. Internet représente 3% du marché français du vin. C'est très peu, par rapport à d'autres pays. Mais en France, la grande distribution occupe toujours entre 70 et 75% du marché. Nous sommes à peine une dizaine de pure players et pas plus de cinq à dépasser les 4 millions d'euros de revenus : 1855, Wine & Co, 75cl, Chateaunet et nous. Pour ce qui concerne les sites de ventes événementielles comme Cave Privée (racheté par 1855 en novembre 2010, ndlr) et Vente à la Propriété, ils surfent sur la méconnaissance en vin des consommateurs avec des prix finalement assez semblables aux nôtres.

La concurrence qui nous inquiète le plus provient des sites généralistes. Les deux premiers vendeurs en ligne de vin en chiffres d'affaires sont Vente Privée – capable d'écouler 150 000 bouteilles par vente – et Cdiscount, qui se situent tous deux entre 20 et 25 millions d'euros de ventes de vin par an. Quant aux click-and-mortar, il faut mentionner Savour Club (désormais propriété de Nicolas, ndlr), Lavinia et Nicolas. Comme nous vendons également beaucoup de champagne, nous comptons aussi parmi nos concurrents les sites spécialistes, tels que Plus de Bulles et Envie de Champ.

Et comment se porte Vinatis ?

Nous employons désormais une vingtaine de personnes. Notre chiffre d'affaires s'élevait en 2010 à 6,3 millions d'euros, nous prévoyons 7,5 millions cette année et l'an prochain nous devrions passer à la vitesse supérieure, en dépassant 10 millions d'euros de revenus.

Que s'est-il passé chez Vinatis ces derniers mois ?

Nous estimons que 70% des internautes qui visitent des sites de vin ne savent pas ce qu'ils veulent, ne sont pas des connaisseurs. Nous devons éduquer cette clientèle. Récemment, nous avons donc beaucoup travaillé pour guider l'internaute et savoir répondre à des besoins souvent exprimés comme ceci : "je cherche un vin rouge fruité en dessous de 10 euros". Notre stratégie commerciale consiste à démocratiser le vin, le populariser et le rendre accessible, autrement que par des connaissances techniques, en nous basant sur les comportements individuels et les moments de consommation.

Cela passe par de nouveaux outils. Notre module "Vinat'titude" fait correspondre un type de comportement d'achat - par exemple "30-45 ans et bobo" - à une sélection de vins. Notre site comporte aussi un espace "J'y connais rien", où l'internaute trouvera son bonheur avec un cahier des charges aussi peu académique que "je veux une bouteille à moins de dix euros à boire tout de suite entre copains avec de la viande". Evidemment, cela a d'abord impliqué une enquête auprès des clients et un long travail de qualification. Nous avons refondu le site, dont la nouvelle version mise en ligne mi-novembre est le résultat de cette réflexion sur les comportements d'achat. Nous préparons aussi pour mars 2012 des applications iPhone et iPad et un site mobile, qui incluront des applications ludiques et des quizz pour mieux faire connaître le vin.

Qu'est-ce qui vous distingue des autres sites marchands de vin ?

Vinatis n'est pas un catalogue en ligne de 30 000 références mais une vraie sélection de vins, que nous dégustons préalablement. Notre taux de fidélisation est de 70 %. Le taux de ré-achat s'élève en moyenne à trois commandes en 12 mois. Cette satisfaction repose sur nos bons rapports qualité-prix, mais aussi sur nos services. Par exemple, comme 80% de nos références sont en stock, nous pouvons proposer un service de livraison par Chronopost grâce auquel les commandes passées avant 15h sont livrées le lendemain avant 13h.

En outre, depuis le tout début de Vinatis fin 2003, l'ensemble de notre catalogue – primeurs mis à part – est disponible à l'unité, sans écart de prix, ce qui implique un picking et une gestion des stocks complexe. Maintenant, nos concurrents s'y mettent. Le nouveau site de Chateau Online vient de passer à l'unité, Wine & Co le fait peu, 1855 le réserve à une petite gamme de vins.

Comment vous assurez-vous de proposer des prix bas ?

Proposer les meilleurs prix nécessite un système d'information complexe capable d'une réactivité quotidienne. Tous les matins, nos commerciaux décident de modifier nos prix ou de renégocier avec nos fournisseurs selon les prix affichés de la concurrence.

Vendez-vous sur les marketplaces ?

Non. Le nerf de la guerre, c'est le prix. Nos prix sont déjà très compétitifs, donc nos marges très serrées. Vendre sur les places de marché implique soit de partager notre marge avec la marketplace, ce qui est impossible, soit de monter nos prix, ce que nous ne souhaitons pas.

Il y a toujours un problème de marge dans l'agro-alimentaire. Sur Internet, il faut ajouter le coût du transport. Donc nous serrons nos marges pour proposer les mêmes prix que dans la grande distribution. Finalement, nous nous retrouvons donc tous dans un mouchoir de poche.

Vous travaillez sur un autre site de vin, Vins.fr. Pourquoi ?

Nous travaillons dessus depuis mai. Il est encore en test et deviendra totalement opérationnel dans le courant du premier semestre 2012. L'approche est différente de celle de Vinatis et vise une autre clientèle, moins connaisseuse de vins, avec d'autres attentes : petits vins peu chers, de consommation quotidienne, déstockage de lots bordelais, etc. Nous pourrons ainsi occuper plus largement le terrain de la vente de vins sur internet.. La navigation (par couleur plutôt que par région), les menus, la charte graphique seront pensés en ce sens. De même, la politique de prix sera adaptée et l'approche commerciale sera plus agressive. Les vins seront à 80 % les mêmes que sur Vinatis, mais les prix seront jusqu'à 20 ou 30% supérieurs sur Vins.fr. Cela va nous permettre d'émettre des bons de remise, de vendre sur les places de marché, de faire de l'affiliation et de travailler notre visibilité sur Internet.

Quels sont vos projets à l'international ?

Vinatis existe en anglais et en allemand mais les sites ne sont pas bons, ce ne sont que des traductions, alors qu'il faudrait s'adapter aux goûts locaux. A l'export, le vin est soumis à de nombreuses taxes, comme le tabac et l'essence par exemple. Vendre hors d'Europe est impossible : il faut des représentants fiscaux dans les pays et les procédures sont bien trop lourdes. En revanche, avoir des sites dédiés en Europe fait partie de nos projets pour 2012. Vins.fr ayant été pensé pour être décliné à l'étranger, nous déclinerons les deux : Vinatis et Vins.fr.

Emmanuel Toussaint et Olivier Lavigne ont fondé Vinatis en 2002 et ouvert le site marchand fin 2003. Son chiffre d'affaires était de 6,5 millions d'euros en 2010, soit une croissance annuelle de 35 %, pour un panier moyen de 210 euros.