Harry Nelis (Accel Partners) "Accel investit désormais plus dans les services à l'e-commerce que dans les sites marchands"

Accel Partners, l'un des fonds d'investissements les plus actifs mondialement dans l'e-commerce, met un point d'honneur à débusquer les futurs modèles économiques à succès. Rencontre.

JDN. Accel Partners a pour credo de soutenir principalement des entreprises pionnières. Pourquoi avoir investi 37 millions d'euros en septembre 2010 dans Showroomprivé, lancé bien après son concurrent Vente Privée, et quel bilan en tirez-vous ?

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Harry Nelis, partner chez Accel Partners © S. de P. Accel Partners

Harry Nelis. Effectivement, nous investissons habituellement dans des leaders sectoriels. Mais les ventes événementielles ne sont pas un créneau sur lequel le numéro 1 s'accapare tout le marché. En particulier en France, où ce mode d'achat est complètement entré dans les mœurs. Un gros challenger est utile aussi bien aux marques qu'aux consommateurs et le marché se porte mieux avec deux acteurs forts. C'est pour les concurrents plus petits encore, que la vie est vraiment difficile.

En tant qu'investisseurs, nous avons bien sûr aussi réfléchi en termes de sortie du capital. Or peu d'entreprises sont suffisamment riches pour racheter Vente Privée. Showroomprivé nous a semblé un actif bien plus liquide. D'autant que le marché offrant un potentiel de croissance très élevé, nous pouvions compter sur un très bon retour sur investissement. Enfin, nous nous sommes particulièrement bien entendus avec son équipe dirigeante. Deux ans après avoir investi, nous estimons avoir remporté notre pari, puisque Showroomprivé est désormais loin devant les numéros 3, 4, 5 du secteur.

Dans quels domaines investit actuellement Accel Partners ?

Nous passons beaucoup de temps sur le mobile. Parmi nos nombreux investissements dans ce domaine, nous avons en mars 2012 mené le tour de table de 17 millions de dollars du Britannique Hailo, une application iPhone et Android mettant en relation taxis et passagers et permettant aux conducteurs d'accepter les cartes bancaires. (Depuis, fin décembre, Hailo a conclu un deuxième tour de 30 millions de dollars le valorisant à 140 millions, ndlr.) Autre exemple : nous soutenons aussi le Finnois Supercell, qui conçoit des jeux en ligne pour mobile, accessibles via les navigateurs des terminaux (Accel a mené sa levée de 12 millions de dollars en mai 2011, ndlr).

Nous nous intéressons aussi au big data et à ses applications pour les consommateurs et les entreprises, aux marketplaces dans les marchés émergents, au SaaS, ainsi qu'à l'e-commerce. Dans ce dernier domaine, nous nous focalisons sur l'e-commerce généraliste, comme le service de location de vacances HouseTrip dans le voyage, plutôt que sur les sites de niche de produits (le troisième tour de table de HouseTrip, qui a rassemblé 40 millions de dollars en octobre 2012, a été mené par Accel, ndlr).

Accel a été très présent dès 2011 au capital de sites d'e-commerce sur abonnement : BirchBox, Carmine, Stylistpick, Shoes4you, BeachMint... Comment voyez-vous évoluer ce business model, qu'a abandonné le pionnier Shoedazzle ?

La composante d'abonnement du modèle de la plupart de ces acteurs était légère dès l'origine, puisqu'il était déjà possible de passer un mois. Avec le recul dont on dispose maintenant, on peut constater que ce modèle de vente fonctionne plutôt mieux pour les cosmétiques que pour les autres produits. Peut-être est-ce lié au fait que les beauty box contiennent des produits de marque, que recherchent davantage les consommateurs, ce qui est plus rarement le cas dans les offres d'abonnement de mode. A l'exception par exemple de Stylistpick, qui a construit sa propre marque autour de la chanteuse et styliste Cheryl Cole. Ceci étant dit, la façon dont vont évoluer ces sociétés n'est pas encore claire.

Que vous inspirent les modèles de curation e-commerce comme OneKingsLane, Fab ou encore SmithfieldCase ?

Ce sont des business très intelligents. Toutefois, nous n'avons pas l'intention d'investir dans des sites qui se consacrent spécifiquement à ce segment. Pour nous, il ferait davantage sens de l'attaquer via Showroomprivé, qui peut déjà compter sur sa base de 11 millions de membres et 3 millions d'acheteurs en Europe. S'il est d'ailleurs si difficile pour WestWing, le clone allemand de OneKingsLane, de se faire une place en France, c'est en grande partie parce que Vente Privée et Showroomprivé y sont si forts. Sur la décoration et l'ameublement, Showroomprivé réalise déjà plus de 40 millions d'euros de ventes par an : c'est son segment en plus forte croissance. Les services de curation e-commerce, pour lesquels les marques sont bien moins importantes que l'usage, pourraient tout à fait constituer une opportunité très intéressante pour lui.

Quels sont selon vous les prochains business models qui naîtront de l'e-commerce ?

Il y a encore beaucoup de choses à faire dans le voyage. Par exemple en matière de découverte, pour aider le consommateur à décider où aller. Car lorsque vous vous rendez sur Expedia, Kayak et tous les grands sites actuels d'e-tourisme, vous connaissez déjà votre destination. La réponse à ce besoin est sûrement sociale. Je suis toujours à la recherche d'entreprises qui proposent ce genre de service.

Par ailleurs, nous regardons aujourd'hui davantage les sociétés de services e-commerce que les sites marchands. Par exemple dans le paiement, ou bien du côté des services permettant d'utiliser l'inventaire ou la capacité non utilisés encore, comme Hailo pour les taxis et Blablacar pour les voitures.

Pourquoi n'avoir jamais investi dans Pinterest, Fancy, ou un site de bookmarking ?

D'une part la valorisation de Pinterest a rapidement été très élevée par rapport à l'intérêt que nous lui portions à l'époque, d'autre part il nous semble que ces services sont des phénomènes purement américains qui traversent mal les frontières. Plus largement, beaucoup de ces grands services sociaux ne rencontrent le succès que sur les très gros marchés : aux Etats-Unis ou en Russie, mais pas en France ou en Allemagne.

Harry Nelis est un partner du bureau londonien d'Accel Partners. Titulaire d'un diplôme d'ingénieur en électricité de l'Université Technologique de Delft, aux Pays-Bas, ainsi que d'un MBA de Harvard Business School, il débute sa carrière dans la Silicon Valley où il intègre Hewlett Packard avant de fonder l'éditeur de logiciel E-motion. Il rejoint ensuite Goldman Sachs où il se consacre au conseil en fusions-acquisitions, puis le hedge fund Perry Capital, pour lequel il investit dans des sociétés de communication, de médias et de technologies. Il rejoint Accel Partners en 2004 et investit dans des sociétés Web et technologiques aussi bien en early stage que late-stage. Harry Nelis a notamment conduit les investissements d'Accel dans le comparateur allemand de produits financiers Check24, l'éditeur de jeux MMOG Gameforge, le comparateur de voyages Kayak ou encore le site de ventes événementielles Showroomprivé. Il siège au conseil d'administration de ces quatre sociétés.