Revirement de jurisprudence sur les mots clés Google

La victime doit prouver son préjudice et ne peut demander l’indemnité forfaitaire prévue pour les contrefaçons, selon la 3ème Chambre du TGI de Paris

Dans un jugement du 30 avril 2009, la 3ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, devant laquelle viennent la plupart des contentieux de marques, modifie une jurisprudence établie depuis 2003 sur la réservation de la marque d'autrui comme mot clé sur le moteur de recherche Google.

 

Dans l'affaire soumise au Tribunal, le gestionnaire d'une plateforme de services en ligne avait réservé comme mot clef sur Google, une marque de logiciels destinés à des services similaires pendant 7 jours.

 

Le jugement du Tribunal condamne cette réservation, mais nuance le droit à indemnisation de la victime de la réservation.

 

En effet, la réservation de la marque d'un concurrent comme mot clé était systématiquement qualifiée de contrefaçon par le Tribunal de Grande Instance de Paris depuis six ans.

 

Cette qualification revêt une importance particulière depuis la réforme du 29 octobre 2007, qui dispense la victime d'une contrefaçon de prouver le montant détaillé de son préjudice et lui octroie une indemnisation "forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser [la marque]" (article L716-14 du Code de la propriété intellectuelle).

 

A l'indemnité de contrefaçon, quelques décisions[1] ont ajouté d'autres indemnités pour atteinte à une dénomination sociale, un nom commercial, une enseigne ou même des noms de domaine identiques à la marque et détenus par le même titulaire.

 

Le jugement rendu par la 4ème section de la 3ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris (RG 09/03662) le 30 avril 2009 rejette cette qualification et ce cumul d'indemnité :

 

"Il ne ressort pas [des faits soumis au Tribunal] que l'utilisation qu'effectue [le défendeur] de [la marque] comme mot clé, invisible pour le consommateur, puisse constituer un usage à titre de marque pour identifier l'origine de ses produits et services. Par ailleurs, [le demandeur] affirme mais n'établit pas que la mention du site de la société défenderesse sur la page affichée à partir du mot clef, puisse engendrer un risque de confusion entre les sites alors que l'internaute moyennement informé, ayant recours au moteur de recherche Google, comprend qu'il s'agit d'un lien commercial lui permettant d'accéder, par un nouveau clic, à un autre site que celui qu'il a recherché, qui lui proposera des prestations pouvant être identiques ou similaires Ainsi au vu de ces éléments, il n'est pas établi que les faits reprochés [au défendeur] constitue des actes de contrefaçon".

 

En revanche, la réservation d'une marque comme mot clef constitue un acte de concurrence déloyale dont la victime peut être indemnisée à la condition de prouver son préjudice :

 

"Le fait de référencer son propre site à partir de la dénomination sociale ou du nom de domaine d'une autre entreprise permet au tiers de bénéficier du trafic que génère le nom de domaine et le site de cette entreprise et éventuellement d'en détourner la clientèle à son profit. ... le référencement du site ... a donné lieu à 11 clics dont plusieurs émanant [du démandeur] ou de ses conseils. ... il ne s'agit pas de site permettant d'effectuer des commandes ... il sera en conséquence alloué [au demandeur] la somme de 500€ à titre de dommages et intérêts".

 

Ce jugement s'inscrit dans la suite de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, selon laquelle il n'y a d'atteinte à une marque enregistrée que si cette marque est utilisée pour désigner des produits et services et non une boutique ou une société[2]. Par exemple, l'enseigne "Céline" d'un magasin de vêtement nancéen ne contrefait pas nécessairement la célèbre marque de vêtement "Céline" selon la Cour de justice européenne.

 

Seul le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg avait cependant osé étendre cette analyse aux mots clés réservé sur le moteur de recherche Google [3].

 

Le 20 mai 2008 puis le 27 janvier 2009, la Cour de cassation a quant à elle préféré saisir la Cour européenne d'une question préjudicielle.

 

Reste à savoir si les autres juridictions saisies de contentieux similaires, comme le Tribunal de Grande Instance de Nanterre [4] et la Cour d'appel de Paris modifieront aussi leur analyse dans l'attente de l'avis de la CJCE, attendu prochainement.

 


 

[1] TGI PARIS 08/12/2005 KERTEL / GOOGLE ; CA PARIS 28/06/2006 SA LOUIS VUITTON MALLETIER / GOOGLE.

[2] CJCE 11 septembre 2007 affaire CELINE

[3] TGI de Strasbourg 20/07/2007 ATRYA / GOOGLE

[4] TGI Nanterre 13/10/2003 VIATICUM / GOOGLE