L’illétrisme numérique est un vrai problème de société

Demandez à un quidam de citer un pharaon, un dinosaure, un druide gaulois et le père de tous les ordinateurs. Aucun n’est sujet de Toutankhamon, ne croise de tyrannosaure ou Panoramix mais tous pourront vous les nommer. S'ils ont tous un smartphone les noms de Turing ou Von Neumann ne leur viendront pas en tête.

La « culture » circule sur des canaux numériques

« Le monde a été digitalisé », s’exclamait Frédéric Kaplan fin 2012. Tous les 18 mois, l’humanité génère autant d’informations symboliques qu’elle en avait produit depuis l’origine des temps. 70% des informations créées sur Terre proviennent des citoyens « lambda ». Le géant américain Google a parié sur l’accumulation de données pour dominer le cyber-espace. Les Français passent 50% de leurs loisirs devant un écran (numérique). Ceux-ci bavardent au téléphone (numérique) pour un total de 50 milliards de minutes par an. La musique en ligne représente 40% du marché total de la musique enregistrée. L’analogique subsiste à moins de 2% de parts de marché. Faut-il rappeler que la télédiffusion analogique a été définitivement arrêtée en France en 2011 au profit du... tout numérique ?

Les médias de masse sont devenus numériques et utilisent le numérique pour élargir leur offre en la personnalisant. Les communications inter-personnelles à distance, qui cimentent une culture partagée, sont devenues presque exclusivement numériques.

Une culture scientifique, technique, industrielle

2012 aurait été l’année du centième anniversaire d’Alan Turing. L’histoire de l’informatique remonte déjà à plus de 200 ans. La France compte aujourd’hui plus d’un demi-million de professionnels de l’informatique. Le génie logiciel permet à des groupes répartis sur la Terre entière de créer les systèmes artificiels les plus complexes jamais conçus. Fin 2011, la plus grosse capitalisation boursière au monde revenait à un constructeur informatique. Cette réussite n’a pas été le fait d’un seul homme ni d’un seul pays : certains progrès majeurs de la discipline sont nés, littéralement, « près de chez vous ». Le saviez-vous ?
L’informatique et les disciplines associées produisent une quantité considérable de résultats scientifiques, qui diffusent en progrès techniques, innovations industrielles et retombées sociétales, sous forme d’une culture partagée. La vulgarisation et la mise en perspective de cette connaissance nécessite que soit conservé et valorisé le patrimoine matériel et immatériel, mais aussi que soit racontée l’aventure des hommes, des femmes, des territoires impliqués.

Une culture vivante

Presque toutes les entreprises françaises de plus de 10 personnes sont informatisées. L’ordinateur détrône la reine des foyers des années 80 : les 15-24 ans passent plus de temps de loisirs devant un ordinateur que devant une télévision. Le site web le plus visité est un lieu virtuel de socialisation : FaceBook. Les mécanismes cognitifs évoluent : plutôt que faire appel à notre mémoire, nous acquérons le réflexe de lancer une recherche pour trouver une information. Le paradigme informatique a même fait son entrée en politique lorsque nos élus ont commencé à parler de « changer le logiciel » de nos institutions.
Moteur de toutes les technologies du numérique, l’informatique devient omniprésente. Les premiers « autochtones numériques » sont maintenant aux postes décisionnels de nos sociétés. La maîtrise de l’outil informatique promet d’être demain aussi importante que l’était hier celle de l’écriture. L’informatique est aujourd’hui un enjeu culturel majeur.

Un sujet d’exploration artistique et culturelle

L’historien Friedrich Kittler affirmait que « [les gens] devraient maîtriser deux langages de programmation, afin de disposer de ce qui, en ce moment, constitue la culture ». Les philosophes du post-humanisme pensent l’avenir de notre espèce en termes d’hybrides biologiques-informatiques. 30 ans après la « programmation lettrée » de D. Knuth, un Alan Sondheim utilise le code informatique comme vecteur poétique. Un Adrien Mondot chorégraphie le mouvement entre jonglage virtuose et synthèse d’images commentée.  En 2007, le meilleur film de science-fiction des 25 dernières années selon Entertainment Weekly présentait un héros informaticien menant un combat dans un monde virtuel, simulé par des ordinateurs : Matrix. En 2013, le MoMA de New York ajoute Pac Man, Tetris, SimCity à ses collections.

Les artistes contemporains prennent les machines comme sujets de leurs œuvres. En plus d’apporter des outils, l’informatique apporte désormais la matière même des projets culturels. La Culture contemporaine nous parle d’informatique.

Diffuser la culture de l’informatique et du numérique

La maîtrise des nouvelles technologies constitue un enjeu pour tous les grandes démocraties et se positionne en bonne place dans les stratégies officielles nationales et supra-nationales. Pourtant le désintérêt de la population pour les carrières scientifiques ne cesse de se confirmer. En France, 40 à 50.000 postes restent non pourvus dans ces filières. Les entreprises souffrent d’un déficit d’attractivité, donc de compétitivité. L’enseignement de quelques rudiments informatiques via la Brevet Informatique et Internet n’est préconisé qu’à partir de la classe de sixième. A cet âge (onze ans), un enfant moyen utilise déjà l’ordinateur et Internet avec suffisamment d’autonomie pour avoir eu accès à un film pornographique. Il a fallu attendre 2012 pour voir une spécialité « Informatique et Sciences du Numérique » proposée au lycée. Le vocabulaire usuel d’un Français moyen est de 3.000 mots. Un bon dictionnaire de l’informatique recense 35.000 termes. En 2010, les présidents français confondaient encore « souris » et « mulot », « bug » et « buzz »...
Car le numérique n’est pas seulement un super-outil pour mieux diffuser des produits de divertissement selon des schémas bien rodés. Il devient à la fois pratique, moyen et sujet de culture. La société industrielle a enseigné les sciences de la matière aux écoliers...
La société de l’information doit rendre la culture informatique accessible au plus grand nombre !