La gouvernance tient un rôle central dans l’amorçage et le décollage d’une entreprise numérique
Fondateurs, actionnaires financiers et dirigeants non fondateurs. Chacun a sa propre conception de ce qui fait une gouvernance efficace. Pour faire face aux mutations d'une entreprise en croissance, il est utile de s'inspirer de ces trois approches, pas forcément contradictoires.
Les « champions » d’internet
ont tout juste 10 ans, 15 ans pour les vétérans. Ils ont atteint en une
décennie une taille significative et ont vécu en accéléré toutes les phases de
croissance qu’une entreprise plus « traditionnelle » a pu mettre plusieurs
générations à connaître.
Si la question de la gouvernance peut
être dans un premier temps ajournée pour se concentrer sur les objectifs
opérationnels à court terme, elle devient cruciale pour l’évolution, la
transmission et la pérennisation de l’entreprise, notamment lors de l’arrivée
d’actionnaires financiers.
Pendant cette période de
transition, le fondateur peut être confronté à la difficulté de ne plus être le
seul maître à bord, avec de nouveaux co-équipiers qui n’ont pas forcément le
même cap (rentabilité à court ou moyen terme vs croissance), ni les yeux fixés sur la même boussole (ratios
financiers vs parts de marché). Du point
de vue des nouveaux actionnaires, il est parfois difficile de composer avec des
fondateurs dont la légitimité historique et les qualités d’entrepreneurs ne
coïncident pas toujours avec les compétences managériales nécessaires au
pilotage d’une entreprise plus mature.
Comment préparer la transition
pour passer d’une organisation en mode « opération commando » (pour
reprendre les propres termes de Pierre Kosciusko-Morizet au sujet du lancement
de Priceminister) à celui d’une entreprise structurée, parfois intégrée dans un
groupe industriel ?
Durant la phase d’amorçage et de décollage, c’est souvent le faible niveau de structuration interne qui permet à la société de s’adapter rapidement pour absorber une forte croissance. « Le développement s’est fait par à-coups violents (…) mais c’était le seul moyen de démarrer », explique Gauthier Picquart, fondateur de Rueducommerce, qui a recruté 120 personnes dans les deux premières années.
A l’issue de cette première phase de
croissance, la société amorce une nouvelle étape de développement, souvent financée
par un fonds d’investissement.
L’arrivée d’actionnaires remplaçant
les business angels de la première levée de fonds s’accompagne d’une
structuration interne et du recrutement de middle/top managers.
« Avec le recul, je souscris
à l’insistance des actionnaires pour recruter un DG. Je n’aurais pas pu gérer
toute la croissance sans son appui sur les opérations », reconnaît Sandra
Le Grand.
Pour nombre de fondateurs,
l’ouverture du capital à de nouveaux investisseurs financiers ou industriels
implique une redéfinition de leur rôle et de leurs attributions dans
l’organisation. Une étape qu’ils
n’avaient pas toujours anticipée : « j’ai souvent été poussée par les
actionnaires ou les salariés à opérer des changements, un peu dans l’urgence
car tout est allé très vite », reconnaît Pauline d’Orgeval, fondatrice de
1001 Listes, vendu à TF1 en 2006.
Pour les investisseurs financiers
il s’agit moins de s’impliquer dans la gestion que d’accompagner l’entreprise
dans sa nouvelle phase de développement.
Certains vont au-delà des
éléments structurants liés à l’adoption de process, de reporting et au
recrutement de top managers extérieurs : « sur les aspects de
management, d’organisation ou de RH, nous essayons de faire grandir les
dirigeants : de nombreuses personnes les aident, à commencer par nous, mais
aussi des coachs », confie Xavier Lorphelin, Managing Partner de Serena
Capital.
« Les entrepreneurs ont
besoin de nous pour partager les mauvaises nouvelles. Ce sont des gens très
seuls, même s’ils sont plusieurs à fonder une entreprise.
Ils doivent pouvoir
appeler quelqu’un de confiance un vendredi soir et leur dire ce qui ne va
pas », constate Philippe Collombel, Managing Partner de Partech
International.
Les fondateurs et les
investisseurs financiers doivent alors inventer un nouveau mode de gouvernance.
« Ce sont des étapes qu’il faut savoir anticiper et discuter en bonne
intelligence avec ses partenaires. En même temps, il faut être malin et
créatif », conseille Sandra Le Grand (fondatrice de Kalidea, ex-canalCE).
Et même si l’ouverture du capital
ne répond pas systématiquement à un réel besoin de financement mais quelquefois
à une volonté de faire du « cash-out », elle entraine également une
structuration : ainsi, Xavier Court, co-fondateur de vente-privée.com, raconte
que l’arrivée de Summit Capital a permis à la société « de [se] structurer,
de mettre en place un reporting, du contrôle de gestion, une vraie gouvernance… .
Si l’arrivée d’investisseurs
apporte donc en premier lieu des moyens financiers au fondateur, elle est
également une ressource stratégique dans le contexte de forte croissance propre
à une start-up.« Les principales
compétences qui font défaut
aux jeunes entrepreneurs sont la capacité
managériale, (…), le drive commercial, (…) et le recul stratégique »,
constate Charles Letourneur, Managing Partner d’Alven Capital.
Le rôle spécifique du board (conseil d’administration ou conseil de surveillance)
Quelle que soit la forme qu’il prend, le board n’a pas pour seule vocation de surveiller et contrôler le dirigeant, il peut agir comme un véritable levier pour l’aider à développer une vision stratégique et à la mettre en œuvre.
D’où l’intérêt d’associer des administrateurs indépendants, choisis généralement collectivement par les actionnaires et les dirigeants. .
Pour Charles Letourneur, « c’est au niveau du board que nous pouvons apporter les compétences nécessaires. Nous essayons de compléter le conseil avec des administrateurs indépendants, dont les profils et les parcours apportent soit une vision métier, soit une expérience de management ».
« Nous avons fait entrer des investisseurs dont l’expérience nous semblait la plus complémentaire et enrichissante pour nous. Nous avons constitué un board consultatif à six qui nous a permis d’échanger, d’apprendre, de recevoir des conseils, de l’accompagnement », confie Séverine Grégoire co-fondatrice de Monshowroom.com.
Lors de l’adossement de la société au groupe Casino, les investisseurs « nous ont beaucoup aidées dans tout le process de cession ». Et ce, en dépit d’intérêts parfois divergents, « les fonds voyant essentiellement le prix de sortie, tandis que les fondateurs regardent aussi les conditions de gouvernance ».
Les administrateurs indépendants ont également un rôle stratégique à jouer dans des contextes hors norme. C’est ainsi que Roland Tripard, DG de SeLoger.com organise la défense de la société face à l’OPA hostile d’Axel Springer en profitant de l’expérience de ses administrateurs indépendants, et notamment Geoffroy Roux de Bézieux.
Les boards ont vocation à être utilisés au mieux par le dirigeant qui doit, pour cela, les préparer et les animer. Corinne Lejbowicz qui a dirigé LeGuide.com de 2005 à 2012 nous confie : « J’ai probablement sous-estimé la nécessité pour un dirigeant de préparer ses conseils d’administration, en « one-to-one » avec chaque administrateur. »
Retrouvez l'intégralité des interviews avec ces personnalités sur le site de Jouve & Associés