La question des liens hypertextes : entre protection des droits d’auteur et liberté de lier
Selon un récent arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), l’établissement d’un lien hypertexte par un tiers vers un contenu protégé n'est pas un acte soumis à une autorisation préalable du titulaire des droits. Explications.
Les liens
hypertextes font l’objet depuis un certain temps de nombreux débats résultant
principalement de positions divergentes entre, d’une part, les fournisseurs de
contenus, comme la presse en ligne, et d’autre part les moteurs de recherche et
les agrégateurs d’information.
Selon les
éditeurs de presse, l’établissement d’un lien hypertexte par un tiers vers un
contenu protégé devrait être un acte soumis à une autorisation préalable du
titulaire des droits et éventuellement à un paiement. De leur côté, les moteurs
de recherche et les agrégateurs d’information soutiennent que la liberté de
lier fait partie intégrante du fonctionnement du web et est donc ancrée dans un
domaine public de l’information.
C’est dans ce
contexte que s’inscrit l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union
Européenne (CJUE) dans l’affaire Svensson [1].
En l’espèce, Retriever
Sverige AB, service suédois d’envoi d’alertes, fournit à ses utilisateurs
des hyperliens renvoyant vers des articles de presse publiés sur divers sites,
sans l’autorisation de leurs auteurs. L’un des auteurs, un journaliste, assigne
alors Retriever devant les juridictions suédoises, lui reprochant de porter
atteinte à ses droits d’auteur.
Les
juridictions suédoises saisissent alors la CJUE d’une question préjudicielle
afin de savoir si la fourniture par un site internet d’hyperliens vers des
œuvres protégées et librement accessibles sur d’autres sites web, constitue un
acte de communication au public nécessitant l’autorisation des titulaires des
droits d’auteur au sens de l’article 3 paragraphe 1 de la Directive du 22 mai
2001 [2].
La Cour
rappelle, conformément à sa jurisprudence antérieure [3], que la notion de
communication au public suppose l’existence de deux éléments cumulatifs :
un “acte de communication“ d’une œuvre et sa communication à un “public“.
L’acte de
communication, qui doit être entendu de manière large[4], est reconnu par la
Cour qui considère que « le fait de fournir des liens cliquables vers
des œuvres protégées doit être qualifié de mise à disposition et, par
conséquent, d’acte de communication au sens de ladite disposition. »
S’agissant de
la notion de communication au public, les juges rappellent que cette notion
vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et un nombre assez
important de personnes. Encore faut-il que cette communication soit adressée à
un “public nouveau“ qui n’avait pas été pris en compte par les titulaires des
droits d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la première communication au public.
En l’espèce,
les articles de presse en cause sont librement accessibles à tout internaute
sur le site internet d’origine, sans mesure restrictive (c’est-à-dire sans mot
de passe ou abonnement par exemple). Ainsi, la CJUE juge qu’en fournissant les
hyperliens, le site internet ne communique pas ces œuvres à un public nouveau
au sens de l’article 3 paragraphe 1 de la Directive puisque les deux sites
s’adressent à un même public, c’est-à-dire, à la même communauté globale
d’internautes. L’autorisation du journaliste n’est donc pas nécessaire.
En revanche,
la CJUE aurait eu une position différente si les articles publiés sur le site internet
d’origine n’étaient plus disponibles ou étaient réservés à un public restreint
(à des abonnés par exemple). L’accès à ce contenu par l’intermédiaire
d’hyperliens situés sur un autre site, librement accessible à tout utilisateur,
aurait eu pour conséquence de contourner les mesures de restriction mises en
place et de créer un public nouveau nécessitant l’autorisation des auteurs des
œuvres communiquées.
Par cette
décision, la CJUE tente de trouver un compromis entre la liberté de lier qui
fait partie intégrante du fonctionnement du web et la protection des droits
d’auteur.
Il
est important de rappeler qu’une
consultation, initiée par la Commission européenne à propos de la réforme de la
directive sur le droit d’auteur, est actuellement en cours. Parmi
les questions posées dans cette consultation, une concerne directement les
liens hypertexte [5].
Ainsi,
au terme de cette consultation la position de la CJUE sera soit confortée,
soit remise en cause. Il semblerait donc que la question des liens hypertextes
fasse encore couler beaucoup d’encre !
[2] « Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement.»
[3] CJUE, 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a, aff. C-607/11.
[4] CJUE, 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a, aff. C-403/08.
[5] La Commission demande explicitement à la question 12 si les hyperliens doivent être soumis ou non au droit exclusif des titulaires de droits d’auteur.