Marketplaces : quoi le choix du pays détermine votre liberté d’entreprendre ?
Afin de se mettre en conformité, les places de marché françaises s’orientent vers le statut d’agent d’établissement de paiement. On pourrait croire l’histoire close mais la France manifeste déjà la volonté de soumettre ses e-commerçants à des restrictions locales supplémentaires. Pour retrouver sa liberté d’entreprendre et son autonomie dans l’organisation de ses affaires, la solution passe peut-être par le passeportage depuis un établissement de paiement agréé dans un autre Etat européen.
Les services de paiement sous haute surveillanceL’Autorité de contrôle prudentiel et
de résolution a présenté en fin d’année 2014 les règles prudentielles
spécifiquement applicables aux établissements de paiement aux fins d’obtention
et de conservation de l’agrément en France.
Entre autres points d’attention,
l’Autorité Française mentionne le dispositif de gouvernance et de contrôle
interne, le niveau de capital minimum et de fonds propres, la protection de la
clientèle. Les établissements de paiement (EP) doivent disposer d’une
comptabilité retraçant les mouvements liés à chaque opération de paiement. Des
obligations somme toute légitimes et qui permettent au régulateur d’exercer ses
contrôles dans les meilleures conditions.
Pourtant, cela ne semble pas suffire à
l’ACPR pour délivrer l’agrément dont ont besoin les marketplaces pour se mettre
en conformité.
Quand Myriam Roussille se demandait
jusqu’où irait l’impérialisme de l’ACPR, se doutait-elle du caractère
prophétique de sa note ? A priori, pas jusque-là et pourtant dans les faits, la
France semble exiger des agents de ses établissements de paiement des mesures
particulières. C’est notamment le cas en matière de gestion du compte de
cantonnement et d’exécution des opérations de virement qui devraient être
opérées non plus par l’agent lui-même, mais par l’établissement de paiement,
sous peine de refuser de délivrer l’agrément.
Pourtant, au sens du code monétaire et
financier, le prestataire de services de paiement mandant (l’EP) demeure
pleinement responsable vis-à-vis des tiers, des actes de tout agent qu'il a
mandaté et s'assure que ses agents se conforment en permanence aux dispositions
législatives et réglementaires qui leur sont applicables. De là à passer d’un
contrôle a priori à la gestion directe par un EP, il y a un fossé que
l’Autorité française n’hésite pas à sauter. Combien de places de marché sont
prêtes à abandonner à un établissement de paiement mandant leur liberté de
gestion de leurs opérations ?
La question se pose donc rapidement de
savoir si un Etat membre de l’UE peut exiger ces mêmes limitations aux agents
mandatés par un établissement de paiement dont le siège se situe dans un autre
Etat membre.
La directive 2007/64/CE concernant les
services de paiement dans le marché intérieur tend à renforcer la concurrence
dans un secteur jusqu’ici monopolisé et à en conforter les effets. Pour cela,
elle a introduit la notion de passeportage, autorisant un établissement de
paiement agréé et régulé par l’autorité ad hoc du pays d’origine, à exercer sur
le territoire d’autres Etats membres, par l’application du principe de
reconnaissance mutuelle des agréments.
Une place de marché française peut
ainsi bénéficier de cette procédure de passeportage en recourant à un établissement
de paiement agréé en Europe. Après déclaration par l’EP à son autorité de
contrôle de l’Etat d’origine, la place de marché est agréée en tant qu’agent de
l’établissement (sous réserve d’un certain nombre de conditions relatives
notamment à la lutte contre le
blanchiment d’argent et le terrorisme) et peut fournir à son tour des services
de paiement en Europe.
L’EP restant pleinement responsable
des actes de ses agents, la relation entre lui et ses agents est formalisée par
contrat. La procédure de KYC est assumée par les analystes financiers de l’EP
dans la majeure partie des cas. Le contrat détaille en outre les procédures de
supervision organisationnelles, comptables, informatiques et risques. Les
dispositions européennes n’exigent pas des établissements de paiement qu’ils
prennent la main sur la gestion du capital, des fonds propres et du compte de
cantonnement de leurs agents.
Le principe de coopération établit
entre les Etats membres de l’UE permet-il à l’Etat d’accueil d’exiger au-delà
des règles européennes ?
Prééminence de l’Etat d’origine dans la gouvernance financière de l’agent
En vertu de l’article 17 de la
directive 2007/64/CE, l’autorité de l’Etat d’origine est seule compétente pour
inscrire les agents d’établissement de paiement. Elle est également seule
compétente pour surveiller et contrôler l’activité de l’EP et de ses agents.
L’article L612-2-III du code monétaire
et financier dispose en outre que les autorités compétentes de l'Etat d’origine
sont seules chargées notamment de l'examen de la situation financière,
conditions d'exploitation, solvabilité et de la capacité à tenir à tout moment
les engagements à l'égard des assurés, adhérents, bénéficiaires et entreprises
réassurées.
Faut-il poursuivre ? Rajoutons qu’en
France notamment, l’ACPR s’était engagée à ne pas discriminer les EP
passeportés par des obligations ou des contrôles supplémentaires et l’on
aboutit à vider de sa substance la volonté hégémonique de l’autorité
administrative française.
Si les règles relatives à la lutte
contre le blanchiment d’argent et le terrorisme sont d’une autre teneur et
relèvent en grande partie d’une double compétence entre Etat d’origine et Etat
d’accueil, l’ensemble des aspects relatifs à la situation financière, la
solvabilité, les conditions d’exploitation et la capacité à tenir ses
engagements sont de la compétence de l’autorité de l’Etat d’origine.
Par l’effet du principe de
coopération, un Etat d’accueil peut être amené à contrôler le respect de ces
obligations, voire à en sanctionner les manquements. En revanche, il ne dispose
pas du pouvoir de modifier la relation
contractuelle qui existe entre l’EP et son agent, dès lors que les procédures
de contrôles en place ont été validées et respectent les conditions fixées par
l’Etat d’origine.
La France confirme ainsi
l’interprétation particulière qu’elle fait d’une directive Européenne, au seul
détriment des entreprises françaises. Les places de marché françaises ont
donc intérêt à étudier le statut d’agent d’établissement de paiement dans
l’Etat membre qui leur laissera le degré d’autonomie suffisant pour la conduite
de leurs affaires.
Le Royaume-Uni et ses 323 établissements de paiement agréés contre une quarantaine en France, pour un total de 568 EP sur l’ensemble de l’espace économique européen, conforte sa position de terre d’accueil des services financiers.