Pokémon GO : une révolution pour le marketing mobile ?

Cela fait bien 5 ou 6 ans que la réalité augmentée fait partie de ces sujets qui font beaucoup parler mais peu vendre. Qu’en est-il aujourd’hui, qu’en sera-t-il prochainement ?

Certes les montants levés par la startup américaine Magic Leap (qui ambitionne de mettre la réalité augmentée au cœur de notre quotidien) sont stupéfiants, certes les démonstrations Google Glass ou Microsoft Hololens sont impressionnantes, mais force est de constater que jusqu’à aujourd’hui la réalité augmentée n’est restée qu’un sujet de discussions enflammées pour professionnels avertis.

Au mois de juillet 2016, le monde entier bascule…

Le 6 juillet, Nintendo lance aux Etats-Unis et dans de nombreux pays anglo-saxons sa nouvelle application mobile Pokémon GO pour iOS et Android à base de réalité augmentée. Et tout est bouleversé !

Propulsée par un brin de nostalgie mais surtout par une expérience utilisateur "augmentée" que la plupart des mobinautes n’avaient jamais touchée du doigt auparavant, l'application a décroché en moins de cinq heures la première marche du podium de l’App Store d'Apple aux US ! Et en moins de 2 semaines elle vient de dépasser Twitter en nombre d’utilisateurs Android actifs. Mais au-delà même du nombre impressionnant de téléchargement et d’utilisateurs actifs, c’est en termes d’engagement que l’application se distingue, en dépassant les grands cadors que sont Facebook, SnapChat ou Instagram et qui jusque-là paraissaient indétrônables (cf. image 1 ci-dessus) !

Si vous avez encore peu vu les impacts de cette application en France, c’est qu’elle n’est disponible que depuis le week-end dernier. De nombreuses vidéo disponibles sur Internet permettent d'ores et déjà de se rendre compte de l’engouement qu’elle suscite et des réactions dans les rues ou dans les parcs quand un rare Pokémon est aperçu par des centaines de joueurs à travers leur smartphone.

Pourquoi un tel engouement ?

Même si vous n’avez jamais joué à Pokémon ou jamais compris l’engouement de vos enfants pour ce jeu, Pokémon GO va avoir un impact important sur la façon dont les marques construisent leurs relations avec leurs clients. Mais pour bien comprendre le phénomène actuel, faisons tout d’abord un peu d’histoire.

Pokémon est un jeu qui a été lancé au Japon en 1996 pour le système GameBoy portable de Nintendo. Les utilisateurs voyageaient à travers différents niveaux en deux dimensions, capturaient des Pokémons (le diminutif anglais de "monstres de poche"), puis les échangeaient ou les faisaient combattre contre les Pokémons d'autres joueurs.

Le jeu est rapidement devenu une véritable saga avec une série TV, des films, un jeu de cartes très populaire, ainsi que de nombreux jeux vidéo Pokémon, le tout avec un succès qui s’est maintenu pendant quasiment 20 ans. Il n’est donc pas surprenant qu’en reprenant le même concept, Pokémon GO ait pu rapidement s’adresser à une base de fans importante. Ce qui est plus surprenant c’est l’ampleur du phénomène et le degré d’engagement obtenu dans l’application.

Le secret de la réussite de Pokémon GO tient en 2 éléments : le premier est de proposer une expérience de jeu qui convient aussi bien aux enfants qui découvrent Pokémon qu’aux adultes nostalgiques des Pokémons de leur enfance. Le second aspect est de mettre la Réalité Augmentée au cœur du jeu. Plutôt que de s’enfermer dans une bulle pour jouer à un jeu classique, il s’agit de se promener pour découvrir des lieux mis en valeur dans le jeu (Pokéstop, Pokégym…) puis de capturer, d’entraîner et de combattre avec ses Pokémons. Tout ce scénario parsemé de Réalité Augmentée crée l’expérience la plus vivante et la plus réelle qui soit (cf. image 2 ci-dessus). C’est donc la combinaison de ces deux facteurs qui rend le jeu aussi passionnant et addictif pour des centaines de millions de mobinautes. Pokémon GO a dépassé les 50 millions de téléchargements sur Google Play et plus du double sur l’App Store d’Apple selon AppInstitute.

Quel impact pour nous, marketers mobiles ?

Vous me direz, tout cela est fort intéressant dans l’évolution sociologique des mobinautes mais y-a-t-il vraiment des enseignements business à tirer du lancement de ce jeu ?

A mon sens absolument, et au moins sur 3 aspects.

Tout d’abord côté économique :

Ce fameux 6 juillet l’action Nintendo termine la journée à 14 380 yens. Le 19 juillet elle clôture à un plus haut de 31 770 yens soit +120% en moins de 2 semaines (cf. image 3 ci-dessus) ! Même si elle a un peu reflué depuis, vous qui travaillez dans des grandes sociétés (comme Nintendo !), pensiez-vous réellement que votre prochaine application mobile pourrait plus que doubler la capitalisation boursière de votre entreprise ? On sait désormais que c’est possible !

Côté technologique :

Comme nous l’avons vu, la Réalité Augmentée n’était jusqu’à aujourd’hui qu’une affaire de « Geeks ». Avec Pokémon GO, nous découvrons que la Réalité Augmentée fait désormais partie de ces véritables innovations de rupture qui (en quelques jours à peine !) est passée de l’état de technologie confidentielle à technologie de masse déployée à très grande échelle. Ce type de transition éclair, y compris auprès d’utilisateurs novices, est possible pour peu qu’elle soit finement intégrée dans l’expérience utilisateur (cf. image 2 ci-dessus) et qu’elle y apporte une vraie valeur ajoutée (interagir facilement avec son environnement réel et virtuel).

Côté marketing :

Il y a tout d’abord l’aspect sponsoring de marques. Les fameux Pokéspots et Pokémon Gyms sont des endroits qui peuvent être des cafés, des restaurants ou des magasins et nombreux sont ceux qui ont commencé à faire des promotions ou des remises pour attirer les joueurs de Pokémon GO. Nintendo et Niantic (l’éditeur du jeu) ont prévu de proposer à des marques de sponsoriser leurs propres emplacements pour les promouvoir en emplacements Pokémon.

Ensuite, si la réalité Augmentée va certainement faire une entrée remarquée dans beaucoup d’autres jeux, on peut également s’attendre à la retrouver dans de nombreuses applications de marques à l’avenir. La question est comment tirer parti des nouvelles habitudes créées par Pokémon GO pour proposer des expériences aussi immersives mais également utiles pour des applications de marques.

Voici différents cas d’usage d’expériences enrichies  que l’on pourrait envisager :

  • Dans la distribution, ce type d’expériences augmentées pourrait être utilisé pour mettre en valeur des produits en rayon dans un magasin, des animations autour de promotions spéciales ou encore des découvertes « augmentées » de services de proximité… (cf. image 4 ci-dessus)
  • Dans le domaine des voyages et des transports, la Réalité Augmentée pourrait permettre, à travers l’écran de son smartphone ou de sa tablette, de visiter à l’avance son lieu de vacances ou sa chambre d’hôtel et de réserver en toute connaissance de cause les options qui nous intéressent (le tout en faisant simplement quelques pas autour de chez soi)
  • Dans le domaine de la musique et des loisirs, on pourrait également imaginer être transporté au sein d’un clip ou d’un concert ou encore participer comme si on y était à une émission de télé et acheter une chanson, des objets ou des produits dérivés sans jamais quitter cet environnement immersif
  • La Réalité Augmentée ouvre également de nouveaux horizons pour la publicité et le marketing géolocalisé avec le sponsoring de lieux, d’objets ou d’espaces Pokémon. En renouvelant ce que proposait par exemple Foursquare il y a quelque temps, l’ouverture du sponsoring d’éléments de jeu Pokémon par des marques ou des points de vente est un bon exemple de l’intégration fine de la publicité dans le fonctionnement d’une application. Cela illustre une nouvelle étape dans l’évolution des formats publicitaires vers plus de natif plutôt que de classiques bannières et interstitiels.
Quels enseignements en tirer ?

En résumé, avec Pokémon GO, la réalité augmentée est en train de faire une entrée fracassante dans la vie de centaines de millions de mobinautes à travers le monde. Elle modifie profondément à la fois les habitudes et les attentes qu’ont ces utilisateurs vis-à-vis de leurs applications mobiles et de la manière d’interagir avec leur environnement. Ne pas tirer parti de cette lame de fond c’est prendre un clair risque de laisser la porte ouverte à des concurrents ou bien de décevoir des utilisateurs.

Mais comme à partir de toute nouvelle technologie qui devient un phénomène de masse, il reste aux marques à définir quels services à valeur ajoutée elles pourront développer dans leurs domaines respectifs, que ce soit pour enrichir leur relation client, pour mieux monétiser leur offre sur le mobile ou encore pour mieux se démarquer avec la meilleure proposition de valeur pour leurs utilisateurs.

Chronique de Philippe Dumont, Administrateur de la Mobile Marketing Association France et Rapporteur de la Commission Application et Site mobile