Les vêtements intelligents trouvent chaussure à leur pied

Les vêtements intelligents trouvent chaussure à leur pied Connecter le grand public, les sportifs ou les professionnels par les pieds, une drôle d'idée ? Au contraire, ce nouveau segment des wearable techs multiplie les atouts.

Un rêve de gosse est sur le point de se réaliser : en septembre 2017, la start-up tricolore Digitsole livrera la première fournée de sa version remasterisée des tennis auto-laçantes de Marty McFly dans le film Retour vers le futur 2. Ces baskets pourraient devenir les premières chaussures connectées à intégrer la garde-robe de monsieur Tout-le-Monde. Car ces smartshoes ne sont pas seulement dotées de cette fonction un peu gadget de fermeture automatique.

Les smartshoes de Digitsole sont inspirées du film Retour vers le futur 2. © Digitsole

La jeune pousse basée à Nancy a pensé aux douillets : il est possible de régler la température de ces chaussures (entre 20 et 45°C) via l'application dédiée et savoir si l'amortissement de la semelle est suffisant. Ces tennis peuvent également analyser en temps réel les mouvements de leur utilisateur lorsqu'il marche ou courre grâce à une série de capteurs (accéléromètres et gyroscopes notamment). "Nous avons développé avec un podologue un algorithme permettant de disséquer le niveau de propulsion et la nature de la foulée pour que le joggeur puisse progresser", explique Malik Issolah, directeur marketing chez Digitsole. Testées en laboratoire sur 200 sportifs, les smartshoes de Digitsole ont demandé à l'entreprise deux ans et demi de R&D.

A 450 euros la paire, ces baskets futuristes sont réservées à un public aisé. Mais l'entreprise a présenté début janvier, à l'occasion du CES 2017, une collection d'une dizaine de modèles de chaussures intelligentes à un tarif de départ de 149 euros (elles n'intègrent pas la fonction chauffante). "Nous avons créé des pièces pour les femmes, les hommes et les enfants à des prix proches de ceux que l'on trouve aujourd'hui en magasin pour des produits non-connectés", pointe Malik Issolah.

Modèles de ville en cuir, escarpins à talons télescopiques dont la hauteur peut être réglée via l'application mobile… Digitsole ne vise pas que les sportifs avec cette collection. La start-up compte faire de ses smartshoes un accessoire grand public. "Le marché est très important : chaque année, 21 milliards de paires de chaussures sont commercialisées dans le monde. D'ici 2021, nous pensons qu'un milliard d'entre elles seront intelligentes", indique-t-il. Digitsole, qui a levé 5 millions d'euros depuis sa création en 2014, vise les 10 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2017.

"Chaque année, 21 milliards de paires de chaussures sont commercialisées dans le monde. D'ici 2021, nous pensons qu'un milliard d'entre elles seront intelligentes"

Outre la chaussure grand public, d'autres segments sont prometteurs sur le marché naissant du "pied connecté". Avant de développer des smartshoes à proprement parler, Digitsole a travaillé sur des semelles chauffantes et communicantes, dont la première version a été lancée en janvier 2015. "Cette gamme de produits est actuellement commercialisée dans 30 pays", se félicite le directeur marketing. En France, elle est notamment vendue à la Fnac, chez Boulanger, le Vieux Campeur ou encore sur le site web de Darty.

L'avantage principal de ces semelles ? "Elles peuvent se glisser dans n'importe quelle paire de chaussures", répond Alexis Mathieu, PDG de Feet Me, start-up qui se concentre sur cette portion de marché. Créée en 2013, la jeune pousse parisienne propose ses produits en précommande depuis janvier 2017 aux 2,5 millions de Français qui courent trois fois par semaines ou plus. "Les mesures, réalisées au plus près du mouvement, sont nettement plus précises que celles d'un wearable porté au poignet", explique-t-il.

Son appareil, qui mesure la pression de la voûte plantaire grâce à une série de capteurs, s'adresse aussi aux personnes âgées : "lorsqu'elles font une chute, nos semelles envoient automatiquement un message d'alerte à leurs proches", explique le patron. Feet Me cible également certains patients souffrant de neuropathie diabétique. Cette atteinte du système nerveux périphérique diminue la sensibilité des pieds. En leur signalant leurs faux mouvements, l'objet connecté les empêche de développer des troubles de la marche.

Digitsole, qui a levé 5 millions d'euros depuis sa création en 2014, vise les 10 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2017

Les entreprises du secteur de la chaussure communicante ne se focalisent pas que sur les particuliers. Leurs produits peuvent également être utiles aux professionnels, pour suivre en détail l'activité de leurs collaborateurs sur le terrain. "De nombreux objets connectés pour les salariés existent, mais ils sont souvent accrochés à leur au bras ou à leur poignet. Trop lourds et encombrants, ils les gênent dans leur travail. L'employé ressent beaucoup moins le poids s'il le porte dans ses boots que sur une smartwatch", souligne Mathieu Destrian, PDG d'Intellinium, une entreprise qui développe des chaussures intelligentes pour les pros. Et de poursuivre : "tout en ayant les mains occupées, le travailleur peut communiquer en exerçant des pressions longues et courtes sur la smartshoe avec ses orteils, dans un langage codé qui ressemble au morse".

Les semelles ont un volume important. Il est possible d'y intégrer facilement un nombre élevé de capteurs. "Nos chaussures peuvent être utilisées dans une quarantaine d'applications différentes pour le moment", précise le dirigeant, dont la société créée en 2009 est basée à proximité d'Aix-en-Provence.

Dans le cadre de la création du compte pénibilité en janvier 2017, les entreprises doivent désormais renseigner les conditions de travail de chacun de leurs salariés. Les chaussures d'Intellinium peuvent leur permettre de collecter facilement des informations sur le poids que porte chaque collaborateur tout au long de la journée et les températures auxquelles il est soumis. Ces boots peuvent également permettre aux ouvriers d'une usine 4.0 de communiquer avec les machines qui les entourent, même lorsqu'ils utilisent leurs mains.

"En B2B, les principaux marchés sont les Etats-Unis et le Royaume-Uni, car les entreprises collectent des informations pour des questions d'assurance"

Le distributeur d'électricité français Enedis (ex-ERDF) est un client de l'entreprise. Il utilise le produit avec des travailleurs isolés pour lutter contre les risques d'agressions. Si le salarié est dans une situation de danger, il exerce à deux reprises une pression longue avec son pouce de pied dans la chaussure afin de prévenir son employeur. Trois autres donneurs d'ordres, dont Intellinium ne peut aujourd'hui dévoiler le nom, ont signé des contrats avec la structure.

Sur les 60 millions de chaussures professionnelles qui seront commercialisées dans le monde en 2020, Mathieu Destrian estime qu'un million seront connectées. "Les principaux marchés sont les Etats-Unis et le Royaume-Uni, car les entreprises ont besoin de collecter des informations sur l'activité de leur salariés pour des questions d'assurance. L'Allemagne sera également un pôle d'activité central car les industriels du pays sont en avance dans le domaine des usines 4.0. Ils ont donc besoin d'interfaces de communication hommes/machines innovantes", détaille le PDG, dont l'entreprise va installer en 2017 un bureau à Munich. La société compte vendre directement des smartshoes à ses clients, mais n'exclut pas par ailleurs de commercialiser sa solution en marque blanche auprès des fabricants de chaussures professionnelles.