Philippe Lourenço (Mister Bell) "Les acteurs du Web ne sont pas armés pour gérer les spécificités du mobile"

Le fondateur de la régie publicitaire mobile à la performance analyse les spécificités du marché et explique pourquoi les pure-players mobiles ont une carte à jouer.

JDN. Mister Bell a levé 3,5 millions d'euros en septembre 2012. A quoi consacrez-vous cette somme ?

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Philippe Lourenço, président et fondateur de Mister Bell. © S. de P. Mister Bell

Philippe Lourenço. Cette levée doit nous permettre de continuer à alimenter notre positionnement unique de régie mobile à la performance. Transparence, tracking et performance constituent notre marque de fabrique. D'où l'importance de consacrer d'importants investissements en R&D pour renforcer notre plateforme de tracking et d'ad-serving. Le mobile est un univers encore extrêmement fragmenté, entre les différents OS, les différents smartphones et un écosystème qui doit réconcilier le browsing et l'in-app. Si nous voulons préserver notre promesse aux annonceurs - aller chercher le bon client, au bon moment, sur le bon écran - nous devons poursuivre cette démarche de yield-management et continuer à développer les outils de tracking qui nous permettent d'y arriver. Je pense notamment à notre technologie propriétaire, Metadflex, qui nous permet de travailler avec l'ensemble des paramètres du mobile. Qu'il s'agisse de l'Open UDID, des cookies, du click ID ou du fingerprint.

La promesse est belle mais paraît vaine tant que les investissements publicitaires sur mobile ne suivront pas...

Bien sûr, en valeur absolue, les investissements restent minimes, surtout lorsqu'on les met en perspective avec ceux du Web. Mais je ne partage pas le pessimisme de certains. Ce que j'observe, c'est que les budgets investis sur mobile ne cessent de croître : il y a deux ou trois ans, les annonceurs dépensaient rarement plus de 10 ou 20 000 euros dans un plan de promotion sur mobile. Aujourd'hui on atteint parfois des budgets compris entre 400 et 500 000 euros... Et les annonceurs prévoient de multiplier encore leurs investissements.

Soyons pragmatiques et observons les facteurs clés de succès. L'audience ? Elle est là. Les équipements et les usages ? Ils sont déjà aujourd'hui solidement installés. Ne manquent plus que les investissements en provenance d'annonceurs qui sont encore un peu attentistes mais qui y viennent progressivement. De quoi ont-ils besoin ? D'être rassurés et de pouvoir s'appuyer sur des garde-fous. C'est exactement ce que nous leur proposons, qu'il s'agisse de campagnes de branding ou d'acquisition. Au-delà de la notion de ROI, nous leur proposons désormais du ROE, return on engagement, qui prend en compte des éléments tels que le nombre de secondes où la publicité a été vue et le temps que le mobinaute a passé sur la landing page. Le tout en s'appuyant sur un système de clic anti-fraude qui permet d'isoler les "faux-clics" qui sont encore nombreux sur mobile et viennent polluer les analyses.

Parmi les grandes tendances de 2012 se trouvaient le drive-to-store et le real-time bidding. Deux activités qui semblent coller à votre positionnement mais que vous ne proposez pas. Pourquoi ?

Notre proposition de tracking reste effectivement pour l'instant circonscrite au monde du online. Ceci tout simplement parce que le drive-to-store se trouve pour l'instant confronté à un obstacle aussi basique que, pour l'instant, insurmontable : la nécessité d'industrialiser les dispositifs en magasin et en caisse pour pouvoir tout tracker. Si je fonde de gros espoirs sur la démocratisation du NFC, je crains qu'à court-terme, la lourdeur des investissements à consentir soit difficile à surmonter. Aujourd'hui, on reste dans du bricolage et du cas par cas.

En ce qui concerne le RTB, c'est évidemment un sujet que nous suivons avec attention, sans pour autant nous cantonner aux effets d'annnonce. Une partie substantielle des 3,5 millions d'euros levés en septembre 2012 a été allouée à de la R&D, et notamment au module RTB que nous allons tester à partir de mai et espérons sortir à la fin du troisième trimestre 2013.

Pensez-vous que le secteur de la publicité mobile va s'articuler autour de pure-players ou qu'il va être, à terme, absorbé par les géants de l'Internet ?

Le mobile est, de par sa fragmentation, un univers beaucoup plus complexe que le Web. Avant l'essor du mobile et du multi-écrans, Internet était un univers extrêmement homogène sur lequel il était facile de tracker et décliner des campagnes de publicité. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et les acteurs du Web ne me semblent, pour l'instant, pas armés pour réussir à performer. Un exemple : nombre d'entre eux se cantonnent pour l'instant aux sites mobiles, délaissant tout le trafic applicatif. Rendez-vous compte, seuls les pure-players mobiles sont à ce jour capable de traiter avec des notions de SDK et de réconcilier univers applicatif et site mobile. C'est la raison pour laquelle je reste persuadé que les pure-players mobiles ont une véritable carte à jouer.

Une chose est sûre, les groupes qui ne sauront pas communiquer avec l'ensemble des écrans ou travailler la granularité de leurs campagnes, selon l'appareil qu'ils ciblent, ne pourront pas se targuer d'avoir une véritable stratégie digitale.

La 4G va bientôt faire son apparition. Y voyez-vous un levier de croissance des investissements publicitaires ?

Tout à fait, je suis intimement convaincu que l'arrivée d'un plus haut débit permettra d'optimiser la chaine de valeur publicitaire en réduisant le temps d'affichage des landing pages et en boostant la consommation de vidéo qui est, ne l'oublions pas, prisée par les annonceurs. Je pense que l'arrivée de la 4G va avoir un effet vertueux sur les usages des utilisateurs et le comportement des annonceurs. C'est ce que l'on a observé aux Etats-Unis, où l'arrivée du très haut débit mobile s'est accompagnée d'un boom des investissements publicitaires.

Philippe Lourenço a fondé son  réseau publicitaire sur mobile à la performance, Mister Bell, en 2010. Ce diplômé d'une maîtrise en économie de Paris Nanterre et d'un master de l'ESG Paris en publicité a été directeur de clientèle grand compte chez PR Line et Ubicus Content (Publicis). En 2005, il rejoint LSF Interactive, au sein duquel il conseille les médias et comptes grande-consommation dans leur stratégie digitale.