Open data : ce que va changer la Loi sur le numérique

Open data : ce que va changer la Loi sur le numérique Le projet de loi prévoit la création d'un service public de la donnée et instaure l'Open data par défaut… Mais ne va pas assez loin, selon les partisans de l'ouverture des données.

Le projet de loi pour la République numérique d'Axelle Lemaire est soumis jusqu'au 18 octobre à une dernière consultation en ligne. Dans une série d'articles, le JDN fait le point sur les différents volets et interroge les acteurs concernés pour recueillir leur analyse. Aujourd'hui, nous passons en revue les articles 1 à 7 concernant l'ouverture des données publiques.

Open data par défaut

Disposition phare de ce volet : l'open data par défaut, consacré dans l'article 1. Aujourd'hui, c'est au citoyen de réclamer à l'administration de communiquer ses données s'il le souhaite. Désormais, les organismes publics -exceptés les petits organismes et collectivités locales- auront obligation de diffuser en ligne "leurs principaux documents et données" (plus précisément, selon l'explication du texte fournie par le gouvernement sur la plateforme, ceux qui sont "pertinents pour l'open data").

Des données sous format ouvert et lisible par les machines

Toutefois, beaucoup de questions restent non résolues et notamment la question des formats des données : le projet de loi ne précise pas le format dans lequel les documents devront être diffusés. L'administration pourrait donc produire les données sous forme de documents scannés ou enfermés dans des formats propriétaires, empêchant ainsi le traitement automatisé. Pourtant, l'un des fondements de l'open data est de fournir des données interopérables. L'association Regards Citoyens, grande défenseure de l'open data, réclame elle-aussi l'obligation de publier les données "sous format ouvert et lisible par les machines".

Autre inquiétude : l'emploi dans le texte de loi de l'expression "principaux documents et données", qui permettrait à l'administration de décider de ce qu'elle diffuse ou non. Le principe d'obligation de publication de toutes les données publiques, mises à part les exceptions prévues dans la loi informatique et libertés, mérite donc d'être affirmé. Car le problème est qu'aujourd'hui, les administrations diffusent surtout les données qui les arrangent, pas forcément celles qui intéressent le plus...

Un point de vue que rejoint Regard Citoyens, à travers la voix de l'un de ses porte-paroles, Tangui Morlier. Lui regrette que n'ait pas plutôt été créé un "droit à l'Open data pour tous les citoyens". "Aujourd'hui, le citoyen peut exiger l'accès aux documents administratifs. Il devrait avoir un droit équivalent pour la publication en open data de données publiques. Il lui suffirait d'écrire un courrier à l'administration et d'écrire à la CADA en l'absence de réponse." L'association est persuadée que "l'open data part plutôt du bas que des administrations".

Le délai de mise à disposition n'est pas précisé

Les partisans de l'open data réclament aussi de préciser les délais de mise à disposition des données publiques, qui ne sont pas mentionnés dans le texte de loi. En effet, récupérer des données qui datent de dix ans n'a pas de sens. Le délai de mise à disposition de ces données doit être le plus proche possible du délai de production.

Service public de la donnée

La fusion Cnil/Cada ne fait pas l'unanimité

Si la création d'un service public de la donnée prévue dans l'article 4 du projet de loi fait beaucoup parler, c'est qu'elle devrait passer par une fusion de la Cnil et de la Cada. Certes, cette disposition n'est pas mentionnée dans le projet de loi mis en consultation, mais l'information a été confirmée mi-octobre par le cabinet d'Axelle Lemaire. Une annonce qui est loin de rencontrer l'unanimité. La fusion avait déjà été annoncée en 2012 puis abandonnée, et à l'époque le président de la Cada, Serge Daël, s'y était lui-même opposé lors d'une édition au Sénat, arguant que les deux institutions couvrent deux périmètres bien distincts, même s'il s'agit dans les deux cas de traiter des données. Surtout, les prises de positions passées de la Cnil inquiète les partisans de l'open data. "La Cnil n'est pas historiquement favorable aux libertés publiques et à l'open Data, analyse Tangui Morlier. Elle refuse souvent de communiquer ses avis et elle s'est prononcée contre l'open data sur les cadeaux faits aux médecins par l'industrie pharmaceutique ou sur les déclarations d'intérêt des hommes politiques dans le cadre des dispositions de la Haute autorité de la transparence."

Autre inquiétude : la taille des deux organisations. Si la Cnil compte aujourd'hui plus de 120 collaborateurs, la Cada en dénombre quelques dizaines. "La Cnil coûte dix fois plus cher mais émet le même nombre d'avis : un peu plus de 5 000 par an. Une fusion ralentirait le travail de la Cada en grossissant une administration jusque là efficace", argue Tangui Morlier.

Regards Citoyens réclame au contraire de rééquilibrer les pouvoirs Cnil/Cada : "aujourd'hui la Cnil doit être consultée dès qu'on touche aux données personnelles, mais pas la Cada, explique Tangui Morlier. Cela devrait être le cas."

Supprimer le droit d'auteur des fonctionnaires

Outre la problématique de la fusion, de nombreux acteurs réclament l'ajout dans cet article du projet de loi d'une disposition pour supprimer le droit d'auteur des fonctionnaires, un concept justement peu respectueux de la notion de service public. La notion introduite en 2006 n'a jamais fait l'objet d'un décret d'application, mais elle est tout de même prise en compte par les administrations puisqu'inscrite dans la loi et elle bloque la publication de bases de données. "La notion de droit d'auteur des fonctionnaires est fausse puisque le droit d'auteur est un droit privé, et que le fonctionnaire travaille pour le service public", analyse Tangui Morlier.

Autre problème : la propriété intellectuelle pour les organismes publics. A trois reprises, la justice a en effet reconnu au département de la Vienne le statut de producteur de base de données, qui lui permet de vendre et de fixer les conditions de réutilisation de ses datas. Des décisions qui ont ainsi empêché Notrefamille.com de capter ses archives sur son site. Ainsi, pour les partisans de l'open data, la propriété intellectuelle ne devrait pas être reconnue lorsqu'il s'agit d'organismes publics qui ont recueilli leurs données grâce à de l'argent public.

Des avancées saluées

Les autres articles ont reçu un accueil plutôt favorable. Grâce à l'article 2, les services publics industriels et commerciaux (SPIC) n'auront plus le droit d'interdire la réutilisation de leurs données -par exemple, l'ADEME ne pourra plus interdire la réutilisation de ses bases de données sur la performance énergétique. L'article 3 instaure un droit d'accès des organismes publics aux données publiques et aux données personnelles déjà publiées. L'article 5 ouvre les données des délégations de services publics (DSP) et l'article 6 les données des subventions publiques –Regards Citoyens réclame d'ailleurs l'ajout des données concernant les indemnités des élus. Enfin, l'article 7 permet à l'INSEE d'accéder à certaines bases de données privées lorsqu'elle en a besoin pour ses statistiques.

Regards Citoyens réclame une alternative communautaire aux redevances

Pourtant, pour les partisans de l'open data, le projet de loi ne va pas assez loin. Regards Citoyens pointe notamment le problème des redevances, qui n'est pas mentionné dans le projet : certaines données publiques sont déclarées payantes par des décrets spécifiques. Si l'association ne s'oppose pas au principe de la redevance, elle réclame la mise en place d'une alternative avec une double licence : l'une fermée et payante, l'autre ouverte mais associée à une obligation de repartage, pour "ne pas exclure les citoyens de la réutilisation des données tout en faisant payer les acteurs et clients existants qui se refusent à rentrer dans un modèle de partage réciproque de leurs données". Tangui Morlier précise : "nous voulons que les jeux de données soient ouverts aux citoyens à la condition qu'ils citent la source et qu'ils mettent à disposition le jeu de données enrichi. Par contre, les acteurs comme les GAFAM qui ne jouent pas le jeu de la contribution devront payer. Je pense par exemple à Google, qui  utilise les données de cartographie de l'IGN mais ne veut pas ouvrir ses données de Maps, et qui devrait donc dans ce cas payer la redevance."