Marc Feuillée (Le Figaro) et Louis Dreyfus (Le Monde) "Le Monde et Le Figaro lancent une place de marché privée commune"

Les deux groupes veulent reprendre la main sur la commercialisation de leur inventaire et la data qui va avec pour concurrencer Google et Facebook.

JDN.  Les groupes Le Monde et Figaro - CCM Benchmark annoncent ce jeudi le lancement de Skyline, une place de marché privée commune. Pourquoi une telle alliance entre concurrents ?

Marc Feuillée, PDG du groupe Le Figaro. © S. de P. Le Figaro

Marc Feuillée (Le Figaro). Nous avons fait le même constat : le marché de la publicité digitale a besoin de confiance. Un flux d'activité de plus en plus important échappe aux groupes de presse. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui la vente d'une simple impression publicitaire met aux prises une cascade d'intermédiaires qui captent de la valeur. Sur un euro investi en digital par l'annonceur, ce sont à peine trente centimes d'euros qui atterrissent dans la poche de l'éditeur. Le basculement des investissements vers le programmatique, qui pèsera 75% du marché à l'horizon 2020, appauvrit les éditeurs. D'où la volonté du Monde et de Figaro - CCM Benchmark (éditeur du JDN,  ndlr) de reprendre la main sur la commercialisation de cet inventaire programmatique et d'opérer en direct. Et pour peser davantage, il est plus pertinent de le faire à deux.

Que va proposer concrètement Skyline ?

Marc Feuillée. Skyline est une place de marché privée commune au Figaro et au Monde, qui permettra aux acheteurs de faire du ciblage média très fin, avec nos data socio-démographiques, comportementales et intentionnistes, au sein d'environnements premiums tels que lemonde.fr, le figaro.fr, telerama.fr ou encore le journaldunet.com. Cela sur des formats de qualité. Des formats spécifiques à Skyline vont être proposés aux acheteurs programmatiques mais également via nos régies, en gré à gré. Ce sera, nous l'espérons, un moyen d'inverser cette tendance qui voit les annonceurs investir de plus en plus au sein de Google et Facebook car ils ne trouvent pas d'alternative simple et efficace.

"On ne lance officiellement Skyline qu'en septembre, le temps de réfléchir au mieux à notre offre commerciale"

Vous allez donc cesser de travailler avec les réseaux externes qui commercialisent votre inventaire ?

Marc Feuillée. On ne lance officiellement Skyline qu'en septembre, le temps de réfléchir au mieux à notre offre commerciale. Mais on va effectivement attendre que certains contrats se terminent pour reprendre progressivement la main. Les bouquets commerciaux dont nous voulons sortir sont tractés par nos marques… sans que l'on soit récompensés en conséquence. Ces réseaux justifient des CPM élevés par la présence de marques premiums, comme Le Monde ou Le Figaro, mais les "noient" au sein d'inventaires moins prestigieux. Cela ne nous est en rien profitable. Le but de Skyline est récupérer la valeur créée par nos inventaires.

Avec l'arrivée de cette offre se pose forcément la question de l'avenir d'Audience Square et La Place Media, dont la fusion est prévue pour septembre….

Louis Dreyfus. Les inventaires que nous vendons depuis Audience Square et La Place Media, en URL non transparentes, sont pour la plupart des invendus, des emplacements moins qualitatifs que ceux que nous vendons via la régie ou notre équipe programmatique. Cela ne va donc pas impacter notre collaboration avec ces places de marché.

Vous présentez d'ailleurs votre offre deux jours après l'annonce de Gravity, l'initiative de Lagardère et Les Echos. Faut-il y voir un nouveau clivage entre marques médias, comme ce fut le cas en 2014 au lancement des concurrents Audience Square et La Place Media ?

Louis Dreyfus. S'il y a effectivement un télescopage des annonces, il n'y a pas de notre côté une quelconque volonté de construire ce projet en opposition à un autre. Nous nous sommes simplement rapprochés du Figaro il y a environ quatre mois pour discuter et faire le point sur un marché publicitaire où les intermédiaires se multiplient, mélangent nos audiences et s'arrogent au passage une part importante de la valeur créée. Il nous fallait reprendre le lead sur ce sujet stratégique.  

Ce que ne permettait pas Gravity ?

Louis Dreyfus, président du directoire du Monde. © Miguel Medina - AFP

Louis Dreyfus. L'offre de Gravity pose à mon sens plusieurs problèmes. D'abord, le nombre de ses participants ! On ne voulait pas faire d'alliance qui réunisse une dizaine d'acteurs. C'est souvent un cauchemar en termes de gouvernance. Le passé a d'ailleurs montré les limites de ce genre d'initiatives qui tiennent plus souvent de l'effet d'annonce que du projet transformateur.

J'ajoute que nous avons une exigence très forte vis-à-vis de nos utilisateurs en termes de transparence et de confiance dans l'usage qui est fait de leurs données. Je ne nous voyais absolument pas déverser leur data dans un grand tout où chacun peut venir piocher librement. C'est d'autant plus vrai que le portefeuille de nos abonnés numériques est en pleine croissance. Le constat vaut également pour Le Figaro.

L'alliance entre Le Monde et Le Figaro est une association entre égaux ! Nous sommes deux acteurs majeurs du Web français, avec près de 35,5 millions de visiteurs uniques en mai 2017. Nous réussissons à conjuguer audiences massives et univers premiums. C'est ce juste équilibre entre nos deux marques qui va selon nous faire le succès de Skyline.  

Marc Feuillée. On peut quand même noter que si les deux initiatives diffèrent l'une de l'autre, elles partent du même constat : le marché de la publicité digitale ne fonctionne pas correctement. Il est nécessaire de renouer avec les impératifs de transparence et création de valeur que demandent, à raison, les annonceurs. Par ailleurs, Le Figaro et Le Monde ont réalisé des investissements  considérables depuis plusieurs années sur la qualification de leurs données ce qui nous permet déjà de satisfaire la demande de nos clients en matière de data.

Fermez-vous la porte de Skyline à d'autres acteurs ?

Louis Dreyfus. Attendons déjà de voir comment évolue cette alliance à deux avant d'envisager de l'ouvrir. La porte n'est pas nécessairement fermée mais ça me parait compliqué d'impliquer un troisième acteur sans tomber dans les problèmes de gouvernance que j'ai évoqués.