Matthieu de Lesseux (Duke) "La grande majorité des grandes agences média n'optimisent pas assez leurs campagnes sur le Web"

Selon le président de Duke, la crise entraîne les annonceurs à couper leurs budgets télé pour se tourner vers le digital. Mais il regrette qu'ils n'effectuent pas suffisamment de post-tests de campagnes.

Comment l'agence Duke ressent-elle la crise ?

 

Matthieu de Lesseux. Nous la ressentons avant tout psychologiquement. Les clients sont nerveux et l'état actuel des choses ne les incite pas à prendre de risques. Il est clair que les appels d'offre sont moins nombreux en ce début d'année. Nous recevons moins de petits sujets, que nous ne prenons pas en général, mais aussi moins de grosses compétitions bien que les annonceurs aient les budgets. Ils attendent de voir ce qu'il se passe.

La crise peut-elle avoir des effets positifs sur le marché de la publicité en ligne ?

Tout à fait. Plusieurs même. Qu'il y ait moins de compétitions, c'est bien car nous en refusons moins. Et les annonceurs qui déclenchent d'importantes compétitions en ce moment sont sûrs de ce qu'ils font. Sans parler du fait que Duke, comme le marché en général, a frisé une crise de croissance. Cela allait trop vite jusqu'à maintenant. Vous savez, il est difficile de gérer une croissance annuelle de 25 à 30 % sur plusieurs années consécutives. Il faut recruter, former les nouveaux salariés, transmettre la connaissance client et celle du marché. C'est dur pour un métier de service où les relations humaines sont importantes. En définitive, cette crise calme la folle croissance que nous connaissions ces derniers temps. 

Pouvez-vous donnez des précisions quant aux résultats de l'agence en 2008 et vos prévisions pour 2009 ?

En matière de chiffre d'affaires, Duke a fait 27 % de mieux en 2008 par rapport à 2007. Nous dépassons les vingt millions d'euros, mais je ne peux pas vous en dire plus. Pour 2009, cette croissance devrait atteindre 12 %, puisque globalement les budgets de nos clients croissent dans le même ordre de grandeur. Je préfère vivre cette année une croissance de 12 % que de 30 %, prendre le temps de consolider l'acquis.

Pour en revenir à la conjoncture actuelle, quels sont les changements qui interviennent sur Internet du fait de la crise ? Le Web obtient-il encore plus les faveurs des annonceurs ?

La crise accélère la prise de conscience quant à l'importance du digital. Les annonceurs coupent en priorité les budgets pour la télévision car le ticket d'entrée est trop élevé. Entre les honoraires d'agence, la réalisation, l'achat d'espace, il faut bien compter deux à trois millions d'euros avant de savoir si la campagne fonctionne. Sur le Web, on vérifie avant.

Néanmoins la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 pousse les agences et les annonceurs à réfléchir différemment. Nous musclons nos présentations tant sur l'image de marque que sur les ventes de produits que les campagnes peuvent générer. Nous sommes plus tactiques, notamment en matière de mesure de l'efficacité. On tague fortement les bannières pour connaître précisément le comportement des internautes tout en sachant que le taux d'interaction avec la bannière dépend de la qualité de celle-ci.

"La crise amplifie le nivellement par le bas des créations, d'où la réapparition depuis six ou sept mois de formats intrusifs"

Quel est l'effet de la crise sur la création et les campagnes ?

Malheureusement, la crise amplifie le nivellement pas le bas en matière de création. Sur ce point, je pense que les agences média font mal leur boulot d'autant plus en ce moment. La grande majorité des grandes agences n'optimisent pas assez leurs campagnes sur le Web. Elles ne nous donnent même pas les résultats de la campagne le premier jour, ce qui ne nous permet pas d'optimiser la création, voire de renégocier l'achat d'espace. Au contraire, elles envoient les résultats un mois après. Finalement elles travaillent sur le Web comme en télévision ou en affichage. Les annonceurs français n'ont pas encore intégré la puissance et la capacité d'optimisation du Web contrairement aux américains qui subissent une crise encore plus importante et qui surveillent chaque dollar investi.

Dans ce contexte, les agences sont tout autant responsables que les éditeurs, à la différence près que ces derniers souffrent. Et comme il devient trop facile de vendre de l'espace Web aux annonceurs, les formats intrusifs du type flash transparent et pop-up que l'on croyait disparus resurgissent. Et on le voit depuis six ou sept mois, ce qui correspond bien à l'impact de la crise et à l'excès de croissance du marché en matière d'achat d'espace : ça va trop vite.

Ce qui est dommage c'est que beaucoup d'annonceurs ne mettent pas d'argent dans les post-tests de campagnes car ils estiment que les budgets Web sont loin des budgets télé. Pourquoi ? Tout simplement parce que rares sont les agences qui le proposent car elles savent que leurs créations ne sont pas de très bonne qualité et elles préfèrent donner des résultats en matière de visiteurs ou visiteurs uniques. D'où le nivellement par le bas en matière de création.

Et en matière de salaires ?

C'est la fin de la flambée des salaires causée par la forte demande du marché. Duke n'y a pas échappé : l'effectif a presque doublé en trois ans, nous sommes 180 aujourd'hui. Et à périmètre constant, Duke a enregistré une hausse de sa masse salariale de 11 % sur 2008. Rien que l'année dernière, nous avons effectué trois remises à niveau afin de réaligner les salaires par rapport au marché mais également aux propositions que nous avons faites à l'extérieur pour recruter des profils expérimentés. Mais maintenant les agences font très attention et les hausses de salaires sont terminées pour de nombreux profils. Ce qui n'empêche pas de recruter. Duke cherche actuellement quatre personnes.

Duke ne travaille qu'avec une dizaine d'annonceurs, certes importants. Mais comment l'agence a-t-elle compensé la perte du budget de Nissan Europe en 2008 ?

Nous avons peu d'annonceurs, mais également peu de turn over. Il est vrai qu'en 2008 nous avons connu plus de mouvements qu'à l'accoutumée. Nissan Europe, avec qui nous travaillions depuis six ans, a remis son budget en compétition. Nous avons décliné l'invitation à y participer et compensé cette perte en faisant plus de compétitions. L'agence a ainsi gagné celui de Levi's Europe, du Comité international olympique (CIO), de la BNP Paribas et le budget corporate de la SNCF. Ce sont également des clients très importants. Duke conserve cependant les budgets de Nissan en France et au Royaume-Uni.

En 2007, Duke est racheté par l'américain Avenue A Razorfish, groupe lui-même repris par Microsoft. Pouvez-vous donner quelques exemples concrets de synergies générées entre Duke et d'autres entités du groupe ?

Duke échange avec les autres agences du groupe en matière d'expertise, de bonnes pratiques, d'études. Par exemple, l'agence gère le budget de McDo en France depuis sept ans et nous connaissons très bien la marque. Nous avons donc aidé Razorfish à gagner le budget pour la Grande-Bretagne et l'Allemagne en 2008. Nous partageons la connaissance client, effectuons des brainstorming communs, partageons les meilleures pratiques comme les mauvaises expériences. On peut envisager également des économies d'échelle pour le client que l'on peut accompagner à l'international. Autre exemple, en novembre 2008, j'ai pu me rendre à un séminaire à San Francisco réunissant les managers des 22 agences du groupe et discuter des meilleures pratiques de chacune.

Quant à Microsoft, il faut dire que Duke pèse peu dans son actif, les interactions sont donc très limitées et la pression est nulle. Par contre, en ces moments de crise et de cotation en bourse mouvementée, c'est bien d'être chez Microsoft.

Quelle est la problématique majeure de Duke pour 2009 ?

Je dirais que la pression est importante vis-à-vis du conseil. Il y a une forte attente. Nous sommes de plus en plus écoutés chez nos clients qui prennent conscience de l'importance du Web, de ses enjeux, et des budgets importants qu'il nécessite.