Frank Esser (PDG de SFR) "Neutralité du Net : les éléphants ne doivent pas bloquer l'autoroute"

Lors de l'AG 2011 de l'EBG, le PDG de SFR s'exprimait sur la neutralité du Net. Frank Esser désire responsabiliser les sites à fort trafic et revoir les accords de peering.

JDN. Par qui le déploiement de la fibre doit-il être financé ?

Frank Esser. Largement par les opérateurs, ce qui ne veut pas dire par leurs clients. Il s'agit de trouver le bon équilibre. Le co-investissement entre opérateurs me semble une très bonne façon de procéder, de même que le recours à l'investissement public dans les zones moins denses.

Le PDG de France Télécom, Stéphane Richard, évoque un abonnement fibre de 10 euros supérieur à l'abonnement ADSL. Est-ce une bonne solution ?

Cet écart entre l'ADSL et la fibre est trop important. Nos clients ne sont pas prêts à payer 10 euros pour passer de l'un à l'autre. Lorsque des services tels que la télévision 3D existeront, cela permettra de mieux valoriser la fibre. Augmenter l'écart entre les deux tarifs sera alors justifié. Mais pas avant.

Craignez-vous comme Stéphane Richard l'effondrement des réseaux ?

Le mot est trop fort, mais il est vrai qu'un risque existe pour le réseau. Entre 2010 et 2011, la capacité mobile a doublé et sur le fixe elle a crû de 50 %.

Managez-vous déjà le trafic ?

Aujourd'hui non. Nous ne le faisons que pour la TV sur ADSL. Nous ne voulons d'ailleurs ni brider ni bloquer le trafic. Nous opterons pour un service géré et une qualité adaptée. Nous resterons en outre attentifs à laisser un espace sur le réseau pour les petits fournisseurs de contenus, afin que les "éléphants" que sont les sites à fort trafic "ne bloquent pas l'autoroute".

Comment garantir cela ?

Définir des classes de services me paraît trop compliqué. Il est difficile de demander 2 ou 3 euros de plus pour tel contenu ou tel service supplémentaire. Surtout que pour un acteur comme Google, il lui faudrait recommencer ce calcul dans chaque pays. A mon sens, il faut d'abord responsabiliser les fournisseurs de contenus OTT (Over The Top, qui désigne l'ensemble des services de streaming, de vidéo à la demande, et des box additionnelles comme l'Apple TV, ndlr) quant à leur impact sur le réseau et trouver un moyen de partager le financement avec eux.

Nous avons déjà des contrats commerciaux avec eux. Nous nous apercevons par exemple que sur la TV sur ADSL, certains éditeurs codent tellement mal leur signal que celui-ci prend trois fois plus de place sur la bande-passante. Nous leur apprenons donc à mieux coder. Cet aspect pédagogique est réellement important. Enfin, le financement des réseaux doit également être repensé. Le trafic sur Internet étant de plus en plus asymétrique, les anciens contrats de peering ne sont plus adaptés. Il faut en mettre en place de nouveaux, peu importe comment on les appelle.

Discutez-vous entre opérateurs pour constituer une position commune face à Google ?

Non, nous n'avons pas de discussion là-dessus. C'est une question bien trop commerciale pour cela. Par exemple, nous considérons la qualité de Youtube comme un facteur de différenciation. Il est par conséquent de notre intérêt de considérer Google comme un partenaire. Nous commençons donc à discuter avec Google, car lui aussi désire que ses contenus soient transmis aux utilisateurs avec la meilleure qualité de service possible.

Frank Esser, 52 ans, de nationalité allemande, est titulaire d'un doctorat en sciences économiques de l'Université de Cologne. Il est nommé président du groupe SFR en décembre 2002, groupe qu'il a rejoint en tant que Directeur général en septembre 2000. Il est nommé membre du directoire de Vivendi le 28 avril 2005. Il préside également la Fédération Française des Telecoms et fait partie des membres du club Le Siècle. Avant de rejoindre SFR, Frank Esser a été directeur général adjoint de Mannesmann en charge des activités internationales et du développement. Au début de sa carrière, il était professeur d'économie. Le sujet de sa thèse : "La mesure de la bonne qualité d'une production".