La nouvelle norme : la prédominance du chômage

Le PDG de Gallup, institut de statistiques renommé, lève le voile sur les chiffres du chômage aux États-Unis. Faut-il se satisfaire du pourcentage communiqué par le gouvernement ?

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Il y a plusieurs années, alors que j’habitais à Lincoln, dans le Nebraska, je suis passé en voiture devant la maison d’un homme qui avait pris feu : son toit était en flammes. Bizarrement, le propriétaire était dans son jardin en train de tondre la pelouse alors que sa maison s’embrasait toute entière. Il s’est contenté de regarder droit devant lui et a continué à tondre comme si de rien n’était.

Cette image m’est récemment revenue à l’esprit alors que je lisais le Wall Street Journal, le New York Times et le Washington Post. Je lis beaucoup d’articles sur l’immigration, le mariage gay et l’environnement, mais aussi sur la NSA, le fameux dénonciateur Edward Snowden, le voyage de notre président en Afrique et autres sujets chers à Washington. Mais dans tous ces journaux, rien ne parlait du sujet le plus brûlant dans l’esprit de tous les citoyens américains : l’emploi et l’état de l’économie. Les hommes politiques américains ainsi que les médias tondent une pelouse métaphorique alors que l’économie du pays est en train de brûler.
Peut-être que les têtes pensantes de la politique et des médias aux Etats-Unis ont abandonné, ou tout simplement oublié, les personnes sans emploi ou sous-employées. Apparemment, la prédominance du chômage est la nouvelle norme. Certes, le président et le Congrès abordent le sujet, mais rarement de manière pressante.
Il suffit de jeter un œil au dernier rapport sur l’emploi. Selon le ministère du Travail américain, l’économie a vu se créer 195 000 nouveaux emplois. Ces résultats ne sont pas mauvais, sans non plus être exceptionnels. Beaucoup d’économistes, y compris le lauréat du prix Nobel Paul Krugman, s’accordent à dire qu’étant donné la morosité actuelle de l’économie, il était nécessaire de créer 300 000 emplois par mois, et que ce nombre ne devait pas descendre plus bas que 200 000.

L’un des problèmes majeurs repose sur le fait que les chiffres du chômage officiels communiqués par le gouvernement fédéral ne reflètent pas la sévérité de la crise de l’emploi : peut-être que ces chiffres incitent même les leaders politiques et les médias à se reposer sur leurs lauriers. Voilà pourquoi : le Bureau of Labor Statistics (BLS) définit le chômage comme le pourcentage de personnes qui cherchent un emploi sans arriver à en trouver. Par conséquent, si par exemple vous cessez de chercher un travail pour le reste de l’année en cours, vous ne serez pas considéré en tant que chômeur car vous avez arrêté vos recherches.

Une autre faille dans les mesures effectuées par le BLS est la suivante : disons que je vous engage pour laver ma voiture, cela vous prend une heure ou plus et je vous donne au moins 20 dollars pour le travail effectué. Le gouvernement fédéral ne vous comptera pas parmi les chômeurs. Et cela, même si vous êtes un ingénieur au chômage et que le lavage de voitures est le seul travail que vous pouvez trouver pour le moment.
Ces mesures sous-évaluent sévèrement le nombre de personnes sans emploi aux Etats-Unis et sont loin de refléter la véritable expérience et la souffrance de la population. Par exemple, le BLS communique actuellement un taux de chômage ajusté de 7,6 %, alors que les données de Gallup soulignent un taux de chômage de 17,2 %. Ce dernier chiffre est bien plus inquiétant car il indique que plus de 20 millions d’américains demeurent sans emploi ou massivement sous-employés.

Le taux de chômage avancé par le BLS rassure peut-être Washington sur l’état de l’emploi et de l’économie dans son ensemble, mais pas l’opinion publique. Comme Gallup l’a récemment souligné, lorsque les américains doivent nommer la chose qui les inquiète le plus à propos du futur des Etats-Unis, 34 % des participants au sondage pointent du doigt l’économie, les finances du pays, ou le chômage/l’emploi. Parmi les sujets chers aux hommes politiques et aux médias, la perte des libertés civiles ne préoccupait que 4 % des participants, tandis que l’immigration et le contrôle des frontières n’intéressait que 2 % des sondés. Et tenez-vous bien : le sujet du mariage gay et de l’environnement ne font même pas partie de la liste des inquiétudes de la population.

Les leaders politiques et médiatiques passent à côté de l’essentiel, tout comme ce pauvre homme de Lincoln qui tondait sa pelouse en laissant sa maison brûler dans son dos.

Traduction par Joséphine Dennery, JDN.
Cette chronique traduite par le JDN a été publiée via le programme Influencers de LinkedIn, où s'expriment près de 300 leaders d'opinion. Retrouvez la version originale en anglais ici.