Peut-on adopter le modèle d’innovation frugale en France ?

Bien que concept connu, les spécificités de l'innovation frugale sont souvent mal appréhendées. L'objectif, ici, est de mieux les comprendre et d'identifier son possible déploiement en France.

L’innovation frugale constitue un modèle d’innovation proposé par Navi Radjou et permettant aux entreprises de toute taille et de tous secteurs d’innover dans un environnement adverse où l’ensemble des ressources sont de plus en plus rares

Connaissant un franc succès en Inde, ce modèle d’innovation se veut radicalement différent du modèle occidental et pose la question de sa possible généralisation. En effet, aujourd’hui la rareté des ressources est aussi une problématique des pays « riches »  durablement touchés par une crise financière et par la raréfaction de ressources clés pour produire (par exemple le sable, le silicium ou le pétrole) : ils doivent progressivement entrer dans un nouveau paradigme. Dans ce contexte, l’innovation frugale, peut-elle constituer  une réponse pour un pays comme la France ? Dans quelle mesure est-elle porteuse d’une autre vision de l’innovation ?

Cette étude a été réalisée selon une méthodologie exploratoire et qualitative via des entretiens semi-directifs. Notre échantillon est exclusivement composé d’entreprises françaises aux profils hétérogènes, en termes de taille, de statut (privé, public ou mixte …) et de secteur d’activités.

   

De la remise en cause du modèle occidental à l’émergence d’une nouvelle approche : L’innovation frugale

 

Initialement le modèle d’innovation occidental s’est construit sur 3 piliers : l’abondance, la capacité des entreprises à internaliser l’innovation tout en cherchant à optimiser leur production. Il repose sur l’excellence technologique, la maîtrise de la complexité, et sur des processus d’innovation encadrés, structurés par  la recherche d’optimisation (on pense par exemple aux méthodes de type Lean, Six Sigma). L’un des objectifs était de répondre à des marchés de masse et donc de standardiser les produits. Cette démarche s’est développée dans un contexte d’abondance. In fine, ce modèle hérité de la Guerre froide est aujourd’hui à bout de souffle, inadapté à l’environnement complexe des années 2000.

 

Les piliers de l’innovation frugale combinent à la fois la rareté des ressources, la flexibilité et la volonté d’inclure toutes les parties prenantes aux processus d’innovation pour répondre à des marchés de masse comme de niche.

 

Ce modèle ne peut pas s’assimiler à l’open innovation : si l’ouverture est indissociable de l’innovation frugale, celle-ci suppose aussi l’existence d’un contexte de rareté obligeant les individus à être astucieux et à jouer collectif pour  définir des usages simples et fonctionnels.

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Les modèles d’innovation frugale et  occidentale sont donc porteurs de schémas de pensée et d’action fondamentalement différents tant au niveau de la vision de l’innovation,  de leur organisation que des résultats recherchés.  Le tableau ci-dessous synthétise les différences clés entre les deux modèles.

Innovation frugale en France Pratiques existantes mais ignorées par les entreprises ….   A travers l’étude réalisée, on constate deux types de comportements :

D’un côté les start-up, les PME et les nouveaux types d’organisation comme les Fab Lab, hakerspace pour qui le modèle frugal tient plus de l’inné et est au cœur de leur fonctionnement. L’économie collaborative porte en soi les germes de l’innovation frugale « à l’Occidentale » en remettant les individus et les communautés au cœur du processus d’innovation voire de production.

De l’autre des grandes entreprises qui face aux mutations, réinventent leur approche de l’innovation. Si elles n’en ont pas toujours conscience, elles combinent de plus en plus des critères du modèle occidental et de l’innovation frugale. Les critères stratégiques pour arbitrer les projets sont donc élargis : le critère coût/bénéfice peut parfois être prépondérant quant dans d’autres cas c’est les critères d’utilité, de simplicité d’usage ou encore d’excellence technologique qui priment.

Ainsi plus de la moitié des entreprises interrogées font évoluer leurs pratiques en recherchant la flexibilité, l’inclusion des usagers tout en s’appuyant sur une économie de moyens.

En conciliant ainsi les piliers et pratiques des deux modèles d’innovation, les firmes « inventent » un modèle hybride  qui n’est pas figé : il dépend à la fois du contexte environnemental, des atouts recherchés pour le projet et de la stratégie globale de l’entreprise. Les entreprises ne superposent pas les différents modèles. Elles en combinent les meilleures pratiques de manière pragmatique en fonction des types de projets.


Co-écrit par Valentin Babillot, Sophie François et Valérie Mérindol