La blockchain va libérer l'IoT

La blockchain va libérer l'IoT Grâce à des contrats intelligents programmés sur ce protocole décentralisé, les objets connectés peuvent communiquer et prendre des décisions sans intervention humaine.

Il est 20 heures un soir d'hiver. Une bise glacée souffle dans le quartier où vit monsieur Martin. Un appareil intelligent, installé chez son fournisseur d'énergie, informe l'ensemble des objets connectés de sa maison que les tarifs de l'électricité viennent de monter fortement à cause d'un pic de consommation. Machine à laver, chauffages, lumières… Toute cette cohorte d'équipements pensants parlementent pour décider lequel d'entre eux peut s'arrêter pendant quelques heures, le temps que les prix reviennent à la normale. La machine à laver tournera cette nuit mais le chauffage restera allumé car il fait 3 degrés dehors. Monsieur Martin, lui, n'est au courant de rien. Il prend tranquillement son bain.

"Chez IBM, nous venons de nommer un CTO mondial blockchain et sommes en train de muscler nos équipes"

Ce scénario de science-fiction pourrait rapidement devenir réalité grâce à la blockchain. Cette technologie, qui sous-tend le fonctionnement du bitcoin, permet d'enregistrer des transactions (financières ou autre) de manière sécurisée et infalsifiable. Elle pourrait permettre à des objets connectés de négocier les uns avec les autres des opérations, sans que les informations ne remontent à un serveur central, grâce à des contrats intelligents. Ces derniers sont de simples lignes de code informatique, qui programment le déclenchement d'une action (mise en route du chauffage, par exemple), selon certaines conditions (le thermostat indique que la température est passée sous la barre des 19 degrés). Une fois ces contrats programmés, l'Homme n'a plus à intervenir, les appareils communiquent automatiquement entre eux.

De nombreux marchés pourraient être bouleversés par l'utilisation combinée de ce protocole décentralisé et des objets connectés : la domotique, bien sûr, mais également le monde de l'automobile, de la logistique ou encore de l'industrie avec ses usines 2.0. Attirées par ce nouveau gisement de valeur inexploité, plusieurs entreprises commencent à travailler sur des blockchain dédiées spécialement à l'IoT.

IBM avait lancé au Consumer Electronics Show de janvier 2015 le projet Adept. Le groupe a réalisé une série de tests en utilisant une blockchain spécialisée dans l'IoT appelée Ethereum. Il travaille désormais avec d'autres acteurs (Fujitsu, Intel, Hitachi…) sur le protocole open source Hyperledger, dont le développement est encadré par la fondation Linux.

"Nous travaillons par exemple sur le projet smartlog avec la ville de Kouvola, l'un des principaux hubs ferroviaires de Finlande. Kouvola Innovation Oy, son organisme de développement économique, a décidé de créer avec nous un logiciel de suivi des conteneurs qui transportent le bois coupé dans la région. En cours de déploiement, le système est basé sur Hyperledger et est soutenu par l'Union européenne", illustre Philippe Bournhonesque, chief technical officer (CTO) chez IBM France.

Le géant de l'informatique ne peut pas encore donner d'objectifs quantifiés sur les résultats qu'il compte enregistrer grâce à cette nouvelle ligne d'activité mais il commence à réaliser du chiffre d'affaires grâce à une série de tests à petite échelle facturés à ses clients. "C'est un axe éminemment stratégique pour l'entreprise. Nous venons de nommer un CTO mondial blockchain et sommes en train de muscler nos équipes", confirme le cadre dirigeant.

ChainOrchestra se focalise sur des cas ne nécessitant pas de transactions financières entre objets connectés

Des start-up essayent également d'investir ce nouveau champ. Créée début 2016, ChainOrchestra se présente comme un opérateur de blockchain privées. Il conçoit en interne sa propre techno, qui permet à des entreprises de faire communiquer entre eux leurs objets connectés, en bénéficiant des propriétés de ce système (traçabilité, inviolabilité des transactions…). La jeune pousse, qui compte boucler sa première levée de fonds en septembre 2016, se concentre sur des cas d'usages concrets. "Nous ciblons avant tout des industriels pour des usages internes. Les problèmes réglementaires sont bien moins importants que dans des situations qui impliquent deux parties", souligne Nicolas Merle, CTO de l'entreprise basée à Montpellier.

"ChainOrchestra a également décidé de se focaliser, du moins au début, sur des cas ne nécessitant pas de transactions financières entre objets connectés, comme la fluidification des opérations de maintenance dans les usines. Les pièces d'une machine pourraient par exemple se commander toutes seules lorsqu'elles sont usées", poursuit-il. Objectif : éviter les probables blocages légaux qui risquent de s'abattre sur les entreprises qui se lancent dans les échanges monétaires entre appareils intelligents, un champ que l'Etat ne manquera pas de vouloir contrôler.

Pour séduire les entreprises, ChainOrchestra développe des blockchain privées. "Nous voulons rassurer au maximum nos clients. Pour un industriel, savoir qu'il est le seul à pouvoir accéder à la chaîne informatique sur laquelle les objets connectés font tourner son usine est essentiel", affirme Nicolas Merle.

Pour ne pas encombrer leur blockchain avec des informations inutiles, les entreprises créent des systèmes de filtrage des données

D'autres acteurs du secteur ont un point de vue différent. Ethereum, déployée en août 2015, est une blockchain publique. "Lancer un protocole privé n'a pas beaucoup d'intérêt car les informations qui y circulent peuvent être codées. Elles ne sont alors accessibles qu'aux acteurs qui disposent de la clef nécessaire pour les décrypter", fait valoir Simon Poltrot, avocat fiscaliste qui a créé Ethereum France, un site d'information décrivant cette nouvelle plate-forme.

La start-up aeChain, en cours de création, développe une blockchain mi-privée mi-publique, qui s'adaptera au bon vouloir de ses clients. La future entreprise cherche à lever un million d'euros pour industrialiser son protocole, encore en phase de test, et le rendre disponible pour les entreprises dès septembre 2016.

Pour ne pas encombrer la blockchain avec des informations inutiles, l'ensemble des données collectées par les objets connectés ne transitent pas sur le protocole décentralisé. Les entreprises créent des systèmes de filtrage des data pour ne conserver que celles qui sont utiles. Leur circulation sur le réseau est ainsi plus rapide.  "Dans la logistique, nous ne conservons pas l'ensemble des suivis de positions d'un conteneur. Nous pouvons par contre enregistrer ses coordonnées GPS tous les 100 kilomètres, ou à chaque fois qu'il change de mode de transport, passant du train au bateau par exemple", illustre Philippe Bournhonesque, CTO d'IBM France.