La santé des salariés, l'énorme marché promis à l'IoT

La santé des salariés, l'énorme marché promis à l'IoT Les troubles musculo-squelettiques coûtent des milliards aux entreprises. Des start-up leur proposent des wearables pour limiter les risques... et les dépenses.

Les personnes âgées ne sont plus les seules à se plaindre de douleurs au dos. Ce problème touche de très nombreux salariés, dans les usines agroalimentaires ou métallurgiques, sur les chantiers du BTP, dans la logistique et même dans les bureaux, au grand dam des entreprises. Plus d'un million de travailleurs se sont blessé le dos aux Etats-Unis en 2015, ce qui a coûté plus de 70 milliards de dollars aux sociétés installées dans le pays, selon le ministère américain du Travail.

La problématique pour les entreprises est même plus large : elle concerne l'ensemble des troubles musculo-squelettiques (TMS). Ces lésions articulaires liées au travail répétitif sont devenues les maladies professionnelles les plus courantes en Europe et outre-Atlantique. Selon l'Institut national de recherche et de sécurité tricolore, les sociétés françaises débourseraient en moyenne un peu plus de 21 000 euros pour chaque salarié touché par l'une de ces affections. En 2012, les TMS indemnisés ont entraîné en France la perte d'environ 10 millions de journées de travail et 1 milliard d'euros de frais couverts par les cotisations d'entreprise.

Les sociétés françaises déboursent en moyenne un peu plus de 21 000 euros pour chaque salarié touché par un trouble musculo-squelettique

"C'est une très grosse opportunité de marché qui n'a pas échappé à certains entrepreneurs. Ils ont créé des start-up IoT pour diminuer les risques de blessures des salariés et aider les entreprises à faire des économies", souligne Deepak Puri, chief solutions architect chez SkilledAnalysts, une entreprise de conseil spécialisée dans l'Internet des objets basée à San Francisco.

Ces jeunes pousses développent des wearables capables d'enregistrer les mouvements des salariés tout au long de leur journée de travail et de déterminer quand ils ont des comportements à risque. Ces appareils sont généralement équipés d'un altimètre, pour mesurer la hauteur du corps, mais aussi d'un gyroscope pour déterminer sa position angulaire. "Grâce à la généralisation du smartphone, le coût des capteurs à nettement baissé. Les start-up peuvent proposer des objets connectés très abordables à leurs clients. Le retour sur investissement est immédiat pour les entreprises", poursuit Deepak Puri.

La société australienne ViSafe, fondée il y a 8 ans et désormais cotée en Bourse, s'adresse principalement aux entreprises de manutention. Elle fournit aux salariés deux capteurs, qu'ils placent sur leur dos si leur employeur veut lutter contre les lombalgies, ou sur le haut des bras pour les douleurs des épaules. Ces employés sont suivis tout au long de leur journée de travail par des caméras.

"Nous croisons les données que nous collectons grâce aux capteurs avec les images que nous enregistrons, pour bien comprendre dans quelle situation se trouve un salarié qui est dans une position à risque. Cela nous permet de proposer à nos clients une éventuelle réorganisation des postes de travail pour diminuer ces risques", explique Zoe Whyatt, directrice des opérations et directrice du commercial chez ViSafe.

Les problèmes de dos des salariés de Vinci ont chuté de 84% depuis que le groupe de BTP a fait appel aux services de ViSafe

La démarche convainc : ViSafe compte une cinquantaine de clients dans le monde, principalement des grands groupes. La firme s'est lancée sur le marché européen l'an passé et y compte déjà 15 clients, notamment l'entreprise de BTP tricolore Vinci, qui a vu les problèmes de dos de ses salariés chuter de 84% depuis qu'elle a fait appel aux services de la société. Même résultats pour la chaîne de supermarchés australiens Woolworths.

La start-up new-yorkaise Kinetic s'adresse elle aussi aux entreprises de manutention. Elle a développé un boitier qui se fixe au niveau de la ceinture. Lorsque le salarié est dans une mauvaise position, il vibre pour l'avertir du danger et qu'il corrige sa posture. Un petit écran est positionné au-dessus de ce petit ordinateur de bord portatif. Si besoin, l'employé peut le consulter d'un simple coup d'œil, sans avoir besoin de lâcher ce qu'il a en main. "Notre appareil fournit aux travailleurs un feedback en temps réel mais c'est surtout un outil capable de fournir des statistiques de risque des activités des salariés sur le long terme, grâce au machine learning", complète Selim Youssry, data scientist de la jeune pousse fondée il y a un peu plus de deux ans.

Lumo Bodytech a levé 10 millions d'euros pour se développer

Kinetic a également développé un outil de gaming, pour booster la motivation des employés équipés. Répartis en équipes, ils doivent réaliser le moins de mouvements risqués possible pendant une session de travail pour gagner des points. La jeune pousse compte déployer les 1 000 premières unités de son boitier intelligent d'ici la fin de l'été 2016. Elle a levé 1 million de dollars auprès de l'accélérateur R/GA-Techstars en 2015 et prépare une nouvelle levée de fonds.

Mais ces objets connectés visant à améliorer la santé des salariés ne s'adressent pas qu'aux entreprises de manutention. Ils peuvent également éviter aux salariés du secteur tertiaire, assis toute la journée derrière leur ordinateur, de souffrir de TMS. La start-up Lumo Bodytech, basée à Mountain View, a décidé de s'attaquer à ce segment de marché avec son Lumo Lift. Ce petit capteur se clipse au niveau de la poitrine grâce à un aimant. Lui aussi vibre lorsque le salarié n'est pas dans une position adaptée. "Nous avons levé en tout 10 millions d'euros pour soutenir notre projet", se félicite Andrew Chang, chief technical officer et cofondateur de l'entreprise, créée en 2011. "Nous avons lancé un projet pilote avec Axa il y a un an et demi, et ce projet intéresse de nombreux assureurs", poursuit-il.