Jean-Louis Missika (mairie de Paris) "Nous étudions la mise en place à Paris de transports sans chauffeur d'ici 2020"

Navettes autonomes, logistique durable, smart grids, open data… L'adjoint à l'urbanisme de la mairie de Paris dévoile les projets smart city de la capitale.

Jean-Louis Missika, adjoint à l'urbanisme de la mairie de Paris. © Julien Millet / Mairie de Paris

JDN. Vous avez présenté en 2015 un grand projet "Paris ville intelligente et durable". Parmi les chantiers, lequel est le plus avancé ?

Jean-Louis Missika. La logistique durable, avec l'objectif de 100% de livraisons du dernier kilomètre en véhicule non diesel d'ici 2020. Nous avons lancé un appel à projets d'expérimentation sur le dernier kilomètre avec 15 partenaires. Une vingtaine de propositions ont été retenues, portées aussi bien par des start-up que des grands groupes, des PME et des associations. Les solutions seront déployées dans les domaines de la mutualisation des flux, le stockage de marchandises et les consignes, la rationalisation des tournées, le stationnement et le transport. Nous avons prévu un incubateur et une plateforme d'innovation sur ce sujet, avec des partenaires grands comptes afin de faire émerger des dispositifs reproductibles.

Et en ce qui concerne les navettes autonomes ?

Pour le moment, c'est plutôt le transport de personnes que de marchandises qui nous intéresse à ce sujet. Aujourd'hui, nous travaillons sur des navettes qui viendraient s'ajouter aux transports en commun existants. Nous étudions plus précisément une liaison entre les gares de la ville par ce type de véhicule sans chauffeur d'ici 2020. Pour nous, c'est possible et réalisable. Nous sommes d'ailleurs en discussion avec les fabricants français Navya, EasyMile, Vedecom et d'autres.

Quel est le chantier que vous jugez le plus important ? Pourquoi ?

La modification de la relation entre la ville de Paris et ses parties prenantes. Il est nécessaire de modifier nos pratiques et notre méthodologie. Pour cela, il y a plusieurs outils : le budget participatif, les plateformes collaboratives, les appels à projet et les groupes de travail.

"Nous discutons avec les fabricants français de véhicules autonomes Navya, EasyMile"

Nous voulons signer des chartes thématiques avec les parties prenantes. Nous avons déjà signé celle sur la logistique durable, qui associe 90 signataires. C'est le fruit d'un travail de co-construction et une démarche multi acteurs (des entreprises, des fédérations professionnels, des chercheurs, des institutionnels). Nous avons aussi dépassé les frontières administratives en associant les territoires voisins. Nous sommes également en train de travailler sur l'urbanisme durable, le traitement des déchets, les réseaux intelligents ou encore le développement des capteurs pour la récupération de données sur l'utilisation de la ville. Les associations, les entreprises de toutes tailles, de la start-up au grand groupe, et les habitants : tous sont concernés.

Ce dispositif, nous le mettons en place avec patience. Cela prend du temps car il faut à la fois élaborer une charte et construire un plan d'actions. Ce n'est pas la partie la plus spectaculaire ni la plus médiatique du projet de ville intelligente mais c'est la plus importante. La ville intelligente passe par l'expérimentation mais aussi par l'évaluation car tester sans avoir de retour d'expérience, c'est inutile.

Le projet doit aboutir en 2020. Quelles sont les plus grosses difficultés pour tenir les délais ?

La "soft law", ce n'est pas une pratique française. Le droit de faire, d'expérimenter, n'est pas toujours évident. Et le code des marchés publics français n'est pas des plus simples à gérer. La réglementation en matière d'aménagements est de plus en plus contraignante, avec des études d'impact qui peuvent prendre plus d'un an. Le droit à l'expérimentation existe dans le droit français mais il a besoin d'être assoupli. Nous avons poussé par exemple dans le projet de loi architecture le "permis de faire" pour contourner certaines rigidités réglementaires pour tester d'autres types de réponse aux grands enjeux d'aujourd'hui. Si l'on veut passer de l'immeuble à énergie positive au quartier à énergie positive et même à une ville à énergie positive, il faut nous  donner les moyens d'aller plus loin.

Vous déclariez en 2015 avoir des projets smart grids dans les cartons. Quels sont-ils ?

La ville de Paris est très en avance dans le domaine des réseaux de chaleur et de fraîcheur. Nous avons deux sociétés à économie mixte très innovantes : CPCU, qui gère le réseau de chaleur en métropole Parisienne, et Climespace, filiale d'Engie, qui exploite et développe le réseau de froid de la capitale. La première a déjà atteint 50% d'énergie verte et la seconde a une station qui puise de l'eau dans la Seine pour rafraîchir les bâtiments de Paris, que ce soit des bureaux, des salles de spectacle, des grands magasins ou des bâtiments publics, en consommant  35% d'électricité en moins qu'une climatisation classique.

"Le droit à l'expérimentation existe dans le droit français mais il a besoin d'être assoupli"

Mais on peut faire plus et mieux, notamment sur l'échange de chaleur entre bureaux et logements car les bureaux ont besoin de chaleur le jour et les logements la nuit. C'est ce que l'on appelle les local smart grids, avec un partage dans un quartier donné, comme nous souhaitons l'expérimenter dans le quartier Clichy-Batignolles. Nous travaillons beaucoup sur la géothermie, car la métropole est un terrain propice sur ce point.

Nous expérimentons aussi, avec la start-up française Qarnot Computing, les radiateurs-ordinateurs, qui sont utilisés actuellement par la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) pour chauffer des logements dans le 15e arrondissement.

Il y a également un datacenter d'Iliad qui chauffe des logements de Paris Habitat et un projet est en cours pour l'étendre à une crèche. La ville de Paris va également s'équiper de son propre datacenter à Chapelle International, qui doit lui aussi alimenter une boucle locale de chauffage dans le quartier. Par ailleurs, un data center est en cours d'installation sous la piscine de la Butte aux Cailles. Là encore, cela permettra d'en récupérer la chaleur pour chauffer les bassins.

"Paris va s'équiper d'un datacenter qui alimentera le chauffage du quartier"

Aujourd'hui, 20% des logements sociaux parisiens se chauffent à l'électrique, il y a donc là une vraie piste. Et s'il y a un modèle économique viable, nous comptons poursuivre ce genre d'installations. Cela ne nous empêche pas de travailler aussi sur la récupération de la chaleur des égouts, ou de la fraîcheur dans les carrières ou les tunnels du métro parisien, qui sont des sujets encore en devenir.

Concernant l'appel à projets DataCity, qui fait appel aux start-ups et qui a été lancé par la mairie de Paris et NUMA, quatre thématiques ont été déterminées : Energie, Mobilité, Aménagement et espaces publics, Environnement et propreté. Pour Paris, quelle est la priorité en termes de budget ?

Il y a une priorité fondamentale : proposer une application d'intermodalité facile d'utilisation qui permette aux Franciliens de trouver les moyens de transport les mieux adaptés à leurs besoins selon leur parcours avec des informations actualisées en temps réel. Cela dépend de la ville de Paris mais aussi des opérateurs comme la SNCF, la RATP et le Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF). Pour le moment, ils ne fournissent que des données théoriques et non des données en temps réel. Nous avons d'ores et déjà un engagement du Stif qui devrait libérer ses données d'ici le printemps 2016 et nous espérons que tout le monde jouera le jeu. Il faut aussi libérer les données de consommation d'énergie car mieux informer les habitants c'est aussi les inciter à mieux consommer et à faire des économies d'énergie.

Depuis 2014, vos prestataires se voient imposer de libérer leurs données à chaque passation de marché public. Toutes les données budgétaires de la ville ont même été ouvertes à la mi-2015. Est-ce que cela a déjà donné des résultats ? Qu'allez-vous en faire concrètement ?

Nous considérons que les données collectées par les collectivités publiques l'ont été avec l'argent des citoyens donc cela doit être un droit que de pouvoir y accéder gratuitement. Et il faut en empêcher la privatisation. C'est nécessaire pour améliorer les services de la ville. Par exemple, si nous voulons mieux gérer notre programme d'isolation thermique il faut commencer par les bâtiments les plus consommateurs d'énergie et pour les identifier il faut des données de la ville mélangées à des données de GRDF, d'ERDF, notamment. Et c'est le même problème pour l'eau.

"Nous venons de nommer un administrateur général des données"

Libérer la donnée c'est une chose, la traiter et en faire un outil de gestion de la ville, c'est un changement de mentalité considérable. C'est pour cette raison que nous venons de nommer un administrateur général des données et que nous réunissons un comité data pour mobiliser tous les services de la ville pour identifier quelles données doivent être étudiées en priorité. Nous voulons également proposer un compte unique qui permettra aux Parisiens de s'inscrire sur un seul et même portail pour accéder à tous les services municipaux et administratifs.

En matière de smart city, quelles villes sont à suivre aujourd'hui dans le monde ? En France ?

Ce que font Copenhague, Amsterdam ou Barcelone est très intéressant. Rennes, Nantes et Lyon sont aussi très dynamiques en France. Il y a aujourd'hui des initiatives un peu partout. Nous pensons que des échanges de bonnes pratiques entre les villes sont très importants. Nous pouvons apprendre des succès et des erreurs des autres et ainsi aller plus vite et gagner du temps. La smart city est un système d'essais et d'erreurs.

Vous est-il déjà arrivé d'avoir une idée et pas de prestataire pour la réaliser ?

Quand nous avons voulu en finir avec le diesel, la réponse des constructeurs a été qu'il leur était impossible de faire de l'électrique, notamment pour les gros porteurs. Or depuis que nous avons annoncé l'interdiction du diesel à l'horizon 2020, des solutions ont été trouvées à la fois électrique et gaz. Aujourd'hui en France, le frein principal c'est souvent la réglementation, beaucoup plus que la technologie ou le prestataire.

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