Uber et Waze ouvrent leurs données pour séduire les villes

Uber et Waze ouvrent leurs données pour séduire les villes Le spécialiste du VTC et l'app de navigation communautaire partagent leurs données avec les collectivités pour les aider à franchir le cap de la smart city… Et se rapprocher d'elles.

Des millions de smartphones plutôt que des millions de capteurs. Au lieu de s'équiper de multiples infrastructures routières connectées, les villes ont depuis octobre 2014 la possibilité d'adhérer au programme Connected Citizens de Waze. L'app de navigation communautaire rachetée par Google en 2013 leur propose d'avoir accès gratuitement depuis une plateforme dédiée aux alertes envoyées en temps réel par les utilisateurs qui traversent leur territoire. "Nous avons aujourd'hui plus de 200 partenaires dans le monde, dont plus d'une dizaine en France, qui viennent du public comme du privé", affirme Jérôme Marty, directeur France de Waze.

Waze mise sur l'échange de bons procédés

Dans l'Hexagone, des entreprises dont les activités ont un impact direct sur la circulation, comme la Sanef, Vinci Autoroutes ou encore Eiffage et Suez, ont été séduites : "Elles partagent avec nous des data froides telles que leurs zones de travaux actuelles et prochaines, qui nous permettent d'alerter nos utilisateurs si elles se situent sur leur parcours. De notre côté, nous citons régulièrement les partenaires qui fournissent des informations, on leur fournit en échange de la notoriété."

Le programme Connected Citizens de Waze a aujourd'hui plus de 200 partenaires dans le monde

Mais les membres de Connected Citizens sont en majeure partie des territoires, comme les départements de l'Aisne, du Loiret et du Var par exemple. Waze leur ouvre les données anonymisées et agrégées remontées par sa communauté en contrepartie d'informations sur les événements prévus chez eux et qui pourraient perturber le trafic routier, notamment.

L'agglomération de Versailles Grand Parc en a profité pour améliorer l'organisation de la course pédestre Paris-Versailles en septembre dernier : "Nous cherchions depuis des années une solution simple et directe pour avertir les automobilistes des perturbations à prévoir sur les 61 kilomètres de course. Entrer le planning exact des routes fermées sur Connected Citizens nous permet d'influer directement sur le comportement des automobilistes qui utilisent Waze. En retour, en trois semaines de course, ils nous ont remonté plus d'un million d'informations", se réjouit Julie Hodez, responsable du pôle d'ingénierie territoriale de la Communauté d'agglomération de Versailles Grand Parc.

"La police municipale a connecté son poste de commandement centralisé aux données de Waze"

C'est aussi selon elle l'opportunité de devenir un territoire intelligent à moindre coût : "Cela nous coûterait une fortune de mettre des capteurs dans les rues pour remonter toutes ces informations sur les conditions de circulation."

En quelques mois, 4 des 19 communes de l'agglomération se sont connectées à la plateforme. Versailles Grand Parc réitérera l'expérience avec le prochain Paris-Nice et a déjà développé de nouvelles applications intelligentes à partir des données de l'app : "La police municipale a connecté son poste de commandement centralisé aux données de Waze et nous saisissons désormais automatiquement les arrêtés de travaux sur Connected Citizens. L'idée à long terme est de monitorer tout le trafic urbain à partir de cet échange de data", avance-t-elle.

Pour Julie Hodez, ce genre de dispositif crée une prise de conscience générale des bienfaits de l'open data. "Jusqu'à maintenant beaucoup d'élus étaient frileux sur l'ouverture des données. Cette initiative leur a montré que cela apportait une vraie plus-value", s'enthousiasme-t-elle. "Cela permet aussi de mieux discuter avec nos partenaires, comme sur le Grand Paris. Les données de Waze permettent entre autres de prévoir quelles infrastructures pourront réduire les embouteillages."

"Jusqu'à maintenant beaucoup d'élus étaient frileux sur l'open data. Cette initiative leur a montré que cela apportait une vraie plus-value"

Jean-Marc Lazard, PDG et fondateur d'OpenDataSoft, entreprise française qui conçoit les plateformes open data de nombreuses entreprises et collectivités, voit aussi beaucoup d'avantages à l'utilisation des informations remontées par les wazers. "C'est une façon objective et quantitative de mesurer l'impact d'une décision politique sur la circulation. Cela aurait pu servir pour préparer la fermeture des voies sur berge à Paris, par exemple. Connected Citizens ouvre aussi des champs infinis de croisement de données. Il est ainsi possible de mesurer l'impact de la fermeture d'une ligne de métro pour travaux sur la circulation, la qualité de l'air, etc."

C'est aussi un allié idéal pour préparer les révolutions numériques de demain à en croire Mouloud Dey, directeur de l'innovation et du business development chez le spécialiste américain du data management SAS : "Les villes peuvent imaginer à partir de ces data les infrastructures qui seront nécessaires au futur véhicule connecté et autonome, en définissant notamment des priorités pour permettre la communication vehicle-to-infrastructure, et créer un écosystème pour repenser la mobilité."

Si Versailles Grand Parc n'a pas encore suffisamment de recul pour mesurer l'impact de Connected Citizens sur la circulation sur son territoire, Jérôme Marty vante de nombreux cas d'usage positifs. "Boston a réduit de 18% les embouteillages sur ses principaux carrefours et Rio a pu identifier les axes où il fallait améliorer l'éclairage pour éviter les accidents, par exemple."

Uber tâte le terrain de l'open data

Une réussite qui n'a pas échappé à un autre géant du transport : le leader du marché du VTC Uber. La société américaine a lancé début janvier Uber Movement, un portail où les villes peuvent s'inscrire et recevoir des statistiques personnalisées sur le trafic routier dans leurs rues à partir des données anonymisées collectées par les smartphones de ses chauffeurs et utilisateurs. Présente dans plus de 450 villes, l'app a pour l'instant convaincu Boston, Manille, Sydney et Washington. "Comme Waze, Uber a atteint un tel volume d'utilisateurs que l'on peut en tirer des statistiques fiables", observe Jean-Marc Lazard.

"Uber a conscience que ses data sont pour l'instant faiblement monétisées et il a des interrogations sur l'appétence du privé comme du public pour ces données. La meilleure manière de tester cela c'est de les rendre libres", analyse Guillaume Crunelle, associé chez le cabinet de conseil Deloitte.

"Connaître les lieux d'intérêt, là où il y a le plus de passage, permet de déterminer une cartographie de la valeur dans les villes"

Selon lui, les données d'Uber comme de Waze ont un potentiel de monétisation non négligeable. "Connaître les lieux d'intérêt, là où il y a le plus de passage, permet de déterminer une cartographie de la valeur dans les villes et peut influencer la valeur du mètre carré dans l'immobilier comme l'implantation et le positionnement des commerces en fonction de la clientèle qui circule dans tel ou tel quartier", poursuit-il.

Reste encore à trouver un modèle viable : "On peut imaginer que les villes conserveront un accès gratuit et que les acteurs privés qui utiliseront les données d'Uber pour évaluer des investissements les payent au lieu de faire leurs propres études."

A en croire le spécialiste de Deloitte, Uber a tout intérêt à ce que cela fonctionne : "Rendre ce genre de services permet de compenser la disruption créée en montrant qu'ils peuvent aussi créer de la valeur." De quoi éviter des tensions avec les autorités locales comme à San Francisco où les essais d'Uber autonomes ont dû être stoppés au bout d'une semaine faute d'accord entre la mairie et la société californienne.

Dans ce cas précis, offrir à San Francisco des data utiles pour régler ses problèmes de congestion aurait pu équilibrer les échanges et rétablir le dialogue. Uber Movement pourrait ainsi devenir un puissant outil diplomatique pour le géant du VTC selon Mouloud Dey. "Pour Uber, dont l'image est en train de s'écorner au fil des affaires, s'ouvrir au monde est désormais indispensable pour retrouver une certaine crédibilité."