Google condamné pour contrefaçon de marque via Adwords

Google n'est pas qu'un moteur de recherche. Il ne peut donc pas invoquer le statut d'hébergeur. C'est aussi un prestataire de publicité. Quelles conséquences sur ses responsabilités ?

Le système Adwords de Google fait de nouveau parler de lui.

 

Ce dispositif permet à ses clients d'insérer des liens commerciaux vers leurs sites Internet sur les pages de résultats des recherches lancées sur le moteur Google. Le site du client apparaît ainsi dans la colonne de droite, sous une rubrique "liens commerciaux", en fonction des mots-clés consultés par l'internaute.

 

Le client d'Adwords, qui est ici annonceur, bénéficie d'une publicité et d'un lien hypertexte direct vers son site.

 

La jurisprudence a donc dû maintes fois connaître des cas où l'annonceur choisit pour mots-clés des marques d'un ou plusieurs concurrents. Plusieurs décisions, telles que "Kertel" (TGI Paris, 8 décembre 2005), "Eurochallenges" (CA Versailles, 23 mars 2006), "Louis Vuitton" (CA Paris, 28 juin 2006), avaient condamné Google pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale, voire publicité trompeuse.

 

Dans l'espèce qui a conduit à ce nouvel arrêt de la Cour d'appel de Paris le 1er février 2008, ce sont le groupement interprofessionnel des fabricants d'électroménager (GIFAM) et certains de ses adhérents qui ont attaqué Google afin d'obtenir la liste de ceux de ses clients qui ont choisi leurs marques en guise de mots-clés.

 

Les demandeurs souhaitaient obtenir réparation de leur préjudice, notamment sur les fondements de la contrefaçon de marques et de la concurrence déloyale.

 

Par jugement du 12 juillet 2006, le Tribunal de grande instance de Paris avait repoussé la qualification de contrefaçon invoquée, en estimant que Google ne pouvait être tenue responsable de l'utilisation illicite par ses clients des termes qu'elle présentait dans sa base de données. En effet, selon Google, cette base est conçue à partir de la fréquence statistique des recherches effectuées sur son moteur, et ne comporte donc aucune suggestion particulière.

 

Google, quant à lui, cherchait à obtenir la qualification "d'hébergeur" pour s'exonérer de toute responsabilité relative au contenu des messages des annonceurs, en application de l'article 6 de la Loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique (LCEN).

 

Le tribunal avait écarté cette qualification, et conclu qu'il appartenait à Google de mettre en place un dispositif de contrôle a priori du choix des mots-clés par les clients de son système Adwords, afin d'empêcher qu'ils ne visent des marques déposées (figurant dans les bases de données de Google). Mais, selon les juges, il n'y aurait pas de contrefaçon imputable à Google.

 

Le tribunal avait toutefois considéré que le libellé "liens commerciaux" provoquait ou entretenait l'illusion d'un rapport, éventuellement contractuel, entre les résultats du moteur de recherche et les annonceurs dont les sites apparaissent en tant que liens sponsorisés.

 

Ce fait caractérisait aux yeux du tribunal des actes de publicité trompeuse.

 

Le GIFAM et ses adhérents ont fait appel de cette décision, en appuyant à nouveau leur démarche sur des actes de publicité trompeuse, de contrefaçon de marques et de concurrence déloyale.

 

Google a alors repris la même ligne de défense : il n'est pas l'auteur des actes de contrefaçon dès lors que les choix des mots-clés et du contenu du lien commercial demeurent ceux de l'annonceur.

 

En outre, Google précisait que son générateur de mots-clés ne fournit qu'une liste "statistique", et pas des conseils ou des recommandations, chaque annonceur ayant la charge de vérifier qu'il est titulaire des droits nécessaires à l'utilisation d'un terme figurant dans cette liste. On voit ici ressurgir l'analogie avec l'hébergeur de contenus !

 

Google tentait enfin, par demande reconventionnelle, de présenter l'action des appelants comme une action concertée visant à bloquer abusivement l'usage de leurs marques, au détriment notamment des sites de vente en ligne (pourtant autorisés à les utiliser). L'action du GIFAM avait pour effet, selon Google, de nuire à la libre concurrence sur le marché de la vente d'électroménager en ligne. Google demandait donc un avis préalable du Conseil de la concurrence.

 

A plus d'un titre, la Cour d'appel a tranché dans le sens du GIFAM et de ses adhérents.

 

Elle a d'abord maintenu dans la cause la société Google France, qui, bien que représentant la société mère Google Inc, figure sur la page Web du service Adwords incriminé.

 

Ecartant ensuite le débat fondé sur l'entente illicite évoqué par Google, la Cour d'appel a analysé le service Adwords et constaté que Google facture cette prestation de référencement payant, en fonction du nombre de clics sur les "liens commerciaux" affichés. Google fournit ainsi une prestation de "publicité contextuelle ".

 

Service payant et service publicitaire, Adwords est donc le produit d'un prestataire de publicité, pas d'un hébergeur. Son générateur de mots-clés fournit une assistance à l'annonceur qui cherche à optimiser la visibilité de son site Internet : c'est donc bien Google qui fournit les mots-clés, dont des signes distinctifs protégés, à cette fin. Et c'est encore Google qui affiche ces marques à l'écran de l'internaute en association avec les produits ou services interrogés !

 

De la sorte, l'insertion de marques au sein de la base de données Google, bien que statistique, correspond bien à un usage "en tant que marques". La Cour énonce très clairement que "le fait ici incriminé n'est pas le choix par les annonceurs d'un signe déposé à titre de marque mais le choix de Google de reproduire, en réponse à une sollicitation d'un annonceur, un ou des signes déposés à titre de marque, ce qui constitue une captation du pouvoir attractif de ceux-ci dans le champ des produits pour la désignation desquels ils ont été enregistrés".

 

Il s'agit donc bien d'une contrefaçon de marques imputable au prestataire de publicité Google, au sens de l'article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle.

 

La Cour modère cependant : la contrefaçon réside dans l'insertion des marques dans la liste de mots-clés générés par le service Adwords, et pas dans l'affichage de ces marques à l'écran.

 

En effet, cet affichage correspond parfois à un lien renvoyant vers un annonceur "légitime" (revendeur en ligne, comparateur de prix, sites d'enchères). Il aurait fallu se livrer ici à une casuistique très complexe, pour distinguer les usages illégitimes des usages justifiés par l'activité de l'annonceur. En toute hypothèse, il incombait aux demandeurs d'appeler les annonceurs indélicats dans la cause, ce qu'ils n'ont pas fait.

 

La Cour d'appel confirme en outre la qualification de publicité mensongère, dès lors que l'apparition des liens commerciaux facilite la confusion entre la marque, recherchée dans Google Search, et l'annonceur, affiché par Google Adwords.

 

En revanche, la Cour d'appel écarte curieusement la qualification de concurrence déloyale, au motif que "'internaute ne peut se méprendre sur l'usage de ces signes par le générateur de mots-clés", qu'il s'agisse de raisons sociales ou même de noms de domaine.

 

La Cour d'appel préfère insister sur la contrefaçon du fait de Google, plutôt que d'élargir son analyse aux effets anticoncurrentiels possibles de la présence de signes distinctifs de diverses natures dans la liste de mots-clés Adwords.

 

Google est donc responsable. Le préjudice est d'autant plus grand que s'agissant de marques à forte notoriété, elles ont fait l'objet de nombreuses consultations sur le moteur de recherche, et ont maintes fois profité tant aux annonceurs indélicats qu'à Google.

 

La Cour a ainsi condamné Google à verser environ 400.000 euros à partager entre les vingt-sept sociétés appelantes. Elle a surtout énoncé très clairement que Google n'est pas un prestataire technique de stockage, mais bien un prestataire de publicité qui propose un générateur de mots-clés comprenant, sans autorisation, des marques déposées.