Hervé Laroche
© JDN / Agathe Azzis
"Garder la crainte d'être un sale con est le plus sûr moyen d'éviter d'en devenir un !"

N'y a-t-il pas certains métiers, ou certains types d'entreprise, dans lesquels on réussit mieux si l'on est un sale con ?

Certainement. On rapporte beaucoup de cas dans les métiers où la réputation personnelle est très importante, par exemple les spectacles, les médias, la pub... Les entreprises qui ont une culture très agressive qui favorise la compétition interne sont bien entendu des terrains privilégiés pour les sales cons.

De votre expérience, les sales cons sont-ils les mêmes en France qu'aux Etats-Unis ?

En gros oui. Il y a sans doute des différences, dans les racines (cultures nationales, statuts sociaux, etc.) et dans les formes d'expression, mais le point important est que la tendance me semble aller vers l'égalisation.

Qu'est-ce qu'on doit faire quand le sale con est le meilleur élément de l'équipe ?

Si vous êtes froidement calculateur, faire un bilan : est-ce que ce qu'il rapporte vaut plus que ce qu'il coûte ? Pour cela, garder à l'esprit que ce qu'il rapporte se voit souvent facilement, alors que ce qu'il coûte est souvent caché. Si vous êtes moins calculateur et si vous privilégiez le long terme, alors peut-être faut-il envisager de s'en séparer (si vous le pouvez).

Le sale con de l'un sera l'ami de l'autre, non ? (et vice versa...) N'est-on pas tous le sale con de quelqu'un ? Comment être sûr de ne pas être soi-même un sale con ?

En général il y a un certain consensus sur le sale con certifié. Pour le reste, tout le monde "a ses têtes", c'est normal. Mais ne pas aimer quelqu'un n'en fait pas un sale con, pour la plupart des gens. Quant à soi-même, il vaut mieux ne pas être sûr : garder cette crainte est le plus sûr moyen d'éviter d'en devenir un !

Y a-t-il des sales cons utiles en entreprise ?

Des études en psychologie montre qu'un sale con peut être très utile... en servant de repoussoir ! Il montre à tout le monde ce qu'il ne faut pas être.

Quelles sont les études sérieuses sur lesquelles Robert Sutton s'est appuyé ?

Je ne peux pas en faire la liste ici, bien sûr. Ce sont des études en psychologie, psychologie sociale, et dans ce qu'on appelle organizational behavior, c'est à dire l'étude des comportements dans les organisations (notamment des questions de pouvoir, leadership, rôles, coopération, etc.). Les références sont dans le livre.

Sutton emploie un vocabulaire utilisé dans la vie mais rarement dans les livres et son ton est très émotionnel. Pourquoi les sales cons génèrent-ils des réactions pareilles ? Pourquoi a-t-on autant de mal à prendre le recul nécessaire devant leurs agissements ?

Parce qu'ils touchent à des choses fondamentales - l'identité personnelle, la reconnaissance, l'estime de soi - et à des enjeux importants : travail, carrière, etc. De plus, il y a quelque chose de hors norme, de scandaleux dans leur comportement, puisqu'ils violent des règles sociales qu'on a soi-même à cœur de respecter (avec peut-être du mal parfois !)

Hervé Laroche
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"Il y a quelque chose de scandaleux dans leur comportement, puisqu'ils violent des règles sociales qu'on a soi-même à cœur de respecter"

Quand on a été victime (du genre Bisounours collaboratif) de sales cons patentés, comment ne pas rester amer, méfiant et désabusé au point de devenir soi-même un sale con ?

C'est toujours une tentation, c'est bien compréhensible. Mais tous les sales cons ne sont pas heureux et ils ne sont pas nécessairement contents d'eux non plus. Surtout , ce qu'il faut peut-être, c'est apprendre à être moins idéaliste (Bisounours...) sans pour autant se faire sale con.

Savez-vous d'où vient l'idée de ce livre ? De votre côté, pourquoi vous êtes-vous penché sur ce problème en particulier ?

C'est un problème qui grandit et représente un enjeu de plus en plus important. Peut-être qu'il y a plus de sales cons. Peut-être aussi que leurs effets sont de plus en plus dévastateurs et de moins en moins tolérés, parce que les gens sont aujourd'hui beaucoup plus engagés personnellement dans leur travail et dans leur entreprise. Ils sont donc plus exposés, plus vulnérables.

N'y a-t-il pas plus de sales cons, ou en tous cas une impression qu'il y en a davantage, avec les communications par email ? Quelle solution ?

Je ne crois pas que l'email produise des sales cons en lui-même. Mais il favorise les réactions immédiates, émotionnelles, et ça provoque des réactions en chaîne... Evidemment les sales cons peuvent en profiter.

Vous qui enseignez en école de commerce, pensez-vous qu'il pourrait exister une pédagogie qui empêcherait que certains (mais combien, d'ailleurs ?) futurs managers soient aussi de futurs sales cons ?

Oui, bien sûr, et elle est souvent pratiquée : apprentissage de la psychologie et du comportement dans les organisations, stages "sur le terrain", notamment. Je ne dis pas qu'on ne puisse pas faire davantage, mais je ne crois pas que le problème trouve sa source dans la formation initiale.

Quand on a eu un comportement de sale con, que doit-on faire pour "réparer" ?

Faire ce qu'on aurait dû faire la première fois : écouter, reconnaître... En général ça suffit, les gens font la différence entre un cas pathologique et un accident ponctuel.

Pensez-vous que la société actuelle favorise la "création" de sales cons ? Est-ce que la mondialisation les favorise ?

Par certains côtés, oui : valorisation de la compétition, récompense aux individus plus qu'aux collectifs, privilèges accordés à certains, etc. Mais d'un autre côté, elle permet aussi la prise de conscience du phénomène.

 


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