Le manager agité

En période d'incertitude, le manager, tout comme l'homme politique, doit savoir se poser. Il pourra ainsi comprendre le chaos ambiant et ce qu'il recèle d'opportunités.

Il n'est pas rare, en ces temps d'incertitude et de crise, de voir des politiciens s'agiter dans tous les sens afin de faire oublier leur imprévoyance antérieure et leur incapacité à comprendre les changements en cours. Il en est parfois de même, du côté du management, lorsque les recettes d'hier ne semblant plus avoir les mêmes résultats, les managers tentent d'intervenir à tout vent et se retrouvent pris dans le tourbillon des effets pervers des interventions souvent imitées d'autrui. Cette agitation provient principalement d'une difficulté à composer avec le chaos ambiant, de la non compréhension du changement de paradigme en cause et du recours au modèle traditionnel de planification.

Composer avec le chaos ambiant
 En référence à la théorie du chaos, il faut se rappeler que ce dernier n'est pas l'absence d'ordre mais un état qui génère ses propres mécanismes d'ordre suite à l'influence des attracteurs. Ce sont donc les attracteurs, c'est-à-dire les acteurs principaux d'un système qui font émerger de l'apparent chaos un ordre qui leur ressemble. Or si le manager, emporté par la tornade, ne peut être un attracteur principal au sein de son organisation ou de son entreprise, il ne doit guère s'étonner d'avoir le sentiment d'être à la merci des éléments. Il n'est donc pas surprenant que son premier réflexe soit de rechercher les recettes antérieures qui lui réussissaient en temps de stabilité ou encore de se lancer sur les points d'appui que semblent privilégier ses concurrents. Bref, de faire comme tout le monde et contribuer ainsi au "sauve-qui-peut" général !

L'agitation l'emporte alors sur la réflexion et la peur sur le recours à la vision. Car s'il est un temps où la vision que le manager a de son entreprise importe, c'est précisément en période de turbulence où l'insécurité générée par l'incertitude prend toute la place et incite les managers vers une fuite en avant qui n'est pas toujours salutaire pour leur organisation. En portant attention à leur insécurité, normale en cette période, les managers seraient plus à même de la contenir et d'éviter ainsi de la transférer à tout leur personnel, contribuant ainsi à l'accroissement de l'incertitude.

Comprendre le changement de paradigme
Le recours à la vision de l'entreprise que le manager aurait pris le soin de développer pour sa propre conduite lui permettrait de prendre cette distance affective d'avec le chaos ambiant afin d'être à même de mieux distinguer le type de changement auquel nous sommes tous présentement confrontés. Nous sommes à un tournant ou, dit autrement, nous devons faire face à ce qui se nomme "point d'inflexion stratégique", c'est-à-dire le moment où l'équilibre des forces passe d'une façon de faire éprouvée et connue à un nouvel ordre des choses. Ce nouvel ordre des choses émerge lentement du chaos apparent et il est encore difficile de prévoir le visage qu'il prendra. Mais, tout comme dans une relation affective, la perte de confiance modifie radicalement le jeu des partenaires, il faut s'attendre à ce que la crise que nous traversons présentement laisse des traces dans l'attitude même des citoyens envers leur gouvernement tout comme des employés à l'égard de ceux qui incarnent l'entreprise.

Le manager qui ne comprend pas bien ce changement de paradigme en gestation se positionne difficilement pour être à même de saisir les opportunités que ce nouveau paradigme fera émerger. Car au-delà de la crise financière et de la crise économique et de son caractère mondial, c'est une véritable crise de confiance dans les institutions, dont les entreprises et les organisations sont issues, à laquelle nous sommes confrontés. Il faudrait donc travailler sur la confiance plutôt que sur la réduction de l'incertitude et pour ce faire les attitudes ont plus d'importance que la somme des gestes posés.

Renoncer au modèle traditionnel
Renoncer au modèle traditionnel du planifier, diriger, organiser et contrôler représente pour le manager un défi de taille et vient le déranger dans ses certitudes. Mais force nous est d'admettre que si ce modèle était approprié en période de relative stabilité, il se révèle totalement inapte pour le management en période d'incertitude. Ce modèle nous confronte à une conception traditionnelle du temps qui masque le fait que le temps que nous prenons pour comprendre un problème et lui trouver une solution s'écoule à une vitesse telle que le problème est changé lorsque la solution apparaît ! Il nous faut donc composer avec une vision différente du temps dans laquelle le futur apparaît comme le présent répété et où la vision que le manager a de son entreprise lui sert pour décoder, dans les innombrables bruits de l'environnement turbulent, les signaux qui sont favorables à la mise en oeuvre de sa vision.

Ce faisant, le manager est moins tenté de courir dans tous les sens, de multiplier les décisions intempestives et de reprendre les vieilles recettes mais peut davantage prendre une distance affective d'avec l'environnement, favoriser les actions signifiantes et se placer en mode apprentissage pour être à même de l'exiger de toute son entreprise.

Conclusion

L'agitation est habituellement reconnue comme un signe d'impuissance. Elle peut être aussi un signe d'insécurité. À voir agir certains politiciens et bon nombre de managers dans la tourmente actuelle, force nous est de constater que cette agitation prend beaucoup de place et fait paraître l'activisme comme s'il s'agissait de grandes décisions mûries après de longues périodes de réflexions ! Devant un tel étalage qui frise l'incompétence, les citoyens comme les employés se sentent impuissants, occupés qu'ils sont à tenter de se rétablir des effets de la crise. Mais, tôt ou tard, il faudra rétablir la confiance et les managers gagneraient à s'y atteler dès maintenant.