"Collectifs de travail" : enjeux et stratégie de mise en place

Sous la pression du productivisme, les espaces d'échange interpersonnels au travail se sont réduits comme peau de chagrin. Or, on redécouvre aujourd'hui que ces "collectifs de travail" représentent non seulement un facteur de prévention des risques psychosociaux mais aussi un lieu de dialogue social. Il convient donc de réapprendre à les faire vivre.

Les "Rapports sociaux au travail"sont au coeur de l'étude d'avril 2011 du Collège d'expertise réuni par le Ministère du Travail dans le but de "Mesurer les facteurs psychosociaux de risque pour les minimiser". Dans le titre 4 de la section 2, les "Collectifs de travail" jouent un rôle prépondérant (pages 123 à 138). Que sont-ils ? Quels enjeux véhiculent-ils ? Comment se saisir concrètement du sujet ?

Un collectif de travail réunit des collaborateurs partageant un même espace-temps professionnel (et pas seulement un métier) avec pour objectif, dans une approche pluridisciplinaire des conditions de travail, de redonner de la place à l'écoute et au partage. Les sujets abordés sont aussi bien opérationnels (dysfonctionnements, bonnes pratiques) qu'humains (relations d'équipes). Dans des contextes de production, de biens ou de services, en flux tendu, l'enjeu est de retrouver du sens (pourquoi je fais ce que je fais) et de la sérénité (comment je peux préserver des marges de manoeuvre dans l'exercice de mon métier, sans nuire à celui des autres).
Cela constitue aujourd'hui une démarche structurée car des années d'optimisation de la production et de chasse aux temps dits "morts" ont progressivement tari des formes interpersonnelles de partage qui allaient auparavant de soi. Le consultant en conduite du changement le constate régulièrement, lorsque les pistes de progrès qui lui sont suggérées portent sur la mise en place de journées d'échanges intra ou inter-services.
Pour que le collectif de travail donne sa pleine mesure et que la pluridisciplinarité s'y exprime, il faut y associer un maximum de parties prenantes : agents, encadrement, représentants des business units et des métiers, CHSCT, comité d'entreprise, organisations syndicales, médecine du travail. Il faut également veiller à son insertion harmonieuse dans le quotidien des équipes et de leur encadrement, car le temps investi dans le partage ne doit pas lui-même devenir un facteur de perturbation.

La mise en place concrète de collectifs de travail repose sur six étapes :

1. Formuler un projet cohérent avec la stratégie de l'entreprise, mesurable en termes de produits de sortie, porteur d'une ambition réaliste et susceptible d'être affiché en des termes acceptables et motivants pour les différentes parties prenantes évoquées précédemment ;

2. Identifier des terrains d'expérimentations représentatifs de la pluralité des réalités du travail (localisation, travail de jour ou de nuit, travail posté ou itinérant...) ;

3. Recenser les systèmes d'animation des agents, formels (rendez-vous managériaux) ou informels, existants sur ces terrains et apprécier le "sens" qui s'y crée ou non : quels sont les "espaces-temps" qui permettent l'échange, la confrontation par le travail ? Sont-ils officiels ? Officieux ? Que libèrent-ils ?

4. Mettre les directeurs responsables de ces terrains en situation de prendre en charge les deux aspects cruciaux de l'expérimentation :
- La socio dynamique des acteurs (valeurs, identité, attentes, craintes et envies des personnels, mais aussi motivation ou non à s'exprimer sur leurs conditions de travail) ;
- L'accompagnement spécifique des managers de proximité qui devront faire émerger, recueillir puis exploiter ces expressions et propositions.

5. Lancer et suivre deux types d'expérimentations, en fonction des réalités locales observées :
- La réorientation vers plus de sens d'espaces-temps existants dans le cadre du système actuel d'animation des agents ;
- La création de nouveaux espaces-temps venant compléter le système actuel d'animation des agents.
Ces expérimentations supposent la présence d'observateurs pluridisciplinaires. Leur valeur ajoutée est mesurée par des indicateurs qualitatifs et quantitatifs.

6. Pratiquer un retour d'expérience et communiquer sur celui-ci. Ce retour d'expérience sera à la fois tourné vers l'analyse (que s'est-il passé) et la prospective (quelles sont les conditions d'une généralisation). La dimension managériale y tiendra une place centrale.