Vincent Riss, GE Energy : "Pour retenir un salarié, le plus important est qu'il soit bien managé"

Attirer et retenir les salariés est l'objectif premier des RH de GE Energy. En découlent des politiques de marque employeur, de sourcing, de motivation, de mobilité, de diversité et de bien-être toutes orientées en ce sens. Explications du DRH.

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Vincent Riss, DRH France de GE Energy © Gilles Leimdorfer

General Electric, deuxième entreprise mondiale en terme de capitalisation boursière, a placé le siège européen de sa division Energie à Belfort, centre d'excellence européen des turbines à gaz. Si Jack Welch, considéré comme l'un des meilleurs managers de l'histoire, a pris sa retraite en 2001 après 20 ans passés à la tête du géant américain, la tradition des politiques RH respectueuses des salariés est plus que jamais d'actualité, à l'heure où la pénurie de talents oblige le secteur de l'énergie à déployer des moyens importants pour recruter et fidéliser les collaborateurs. Vincent Riss, DRH France de GE Energy, détaille les axes développés pour relever le défi.

Qu'est-ce qui guide vos politiques RH ?

Comme toutes les entreprises qui souhaitent avoir une politique RH de qualité, nous devons comprendre notre environnement. En matière de ressources humaines, l'environnement se compose des départs massifs à la retraite auxquels s'ajoute, dans le secteur de l'énergie, un vivier de candidats qui n'est pas à la hauteur des besoins. Nous sentons d'ailleurs depuis quelques mois que le marché se tend. Nos politiques RH sont donc articulées autour d'un double objectif : attirer et retenir. Un recrutement pour remplacer un départ coûte un an et demi de salaire de la personne qu'on perd : un coût considérable. Nous cherchons donc à maintenir un turnover bas.

Pour cela, sur quels axes travaillez-vous ?

Les critères qui font qu'un candidat nous rejoint, s'investit et reste chez nous ne sont pas les mêmes. Attirer, motiver et retenir repose donc sur des facteurs différents. Un ensemble de dispositifs nous permet d'évaluer notre performance sur ces facteurs. L'un d'eux par exemple évalue la perception de la qualité managériale et RH de l'entreprise. Cette enquête est réalisée au niveau groupe tous les deux ans et débouche sur un travail sur les points à améliorer localement.

Les managers doivent être évalués sur leur aptitude à développer les gens

Selon vous, qu'est-ce qui fait qu'un salarié va rester dans son entreprise ?

Il y a bien sûr son salaire, son environnement de travail, etc. Mais ce qu'il y a de plus important, c'est qu'il soit bien managé. Nous avons donc mis en place un module de formation "leader moderne" en cinq sessions de deux heures, qui aborde ce qu'on attend d'un manager aujourd'hui : connaître son équipe, l'organiser, la responsabiliser et déléguer, lui donner un feedback régulier et enfin lui apporter de la reconnaissance. Ce sont les facteurs absolument essentiels qui font qu'un individu va rester dans l'entreprise.

Il est important aussi d'aider le collaborateur à se développer. D'abord grâce à un bon manager, en mettant en place des projets et en lui confiant des tâches et des responsabilités qui peuvent évoluer dans le temps. Mais aussi par la formation. Le groupe GE investit plus d'un milliard de dollars par an en formation. Ces moyens considérables nous permettent de disposer de toute une infrastructure d'université, qui dispense des formations au leadership, des formations métier... et inclut des dispositifs à la carte. En effet, les formations sont aussi dispensées en fonction des envies du collaborateur qui n'a pas besoin, pour les suivre, de l'accord de son manager. Nous considérons que chaque salarié est propriétaire de sa carrière.

Comment encouragez-vous la mobilité de vos salariés ?

Tout d'abord, des formations sur le thème "comment construire sa carrière" sont mises à disposition par la DRH. Pour que les salariés puissent prendre connaissance des opportunités, nous avons mis en place une bourse d'emplois commune à l'ensemble du groupe. A l'instant t, les 20 à 30 000 emplois disponibles y figurent. Des fiches métiers sont aussi disponibles, ainsi que des conseils sur la démarche à entreprendre pour atteindre ces postes. Nous organisons également des journées carrière en août à Belfort, avec des stands et des ateliers pour mieux comprendre comment marchent les carrières chez GE. Toutes ces actions visent à ce que le collaborateur ait tous les outils en main pour organiser sa mobilité.

Côté management, nous tenons régulièrement des revues d'effectifs, mais nous avons aussi une gestion spécifique de la succession des postes clés - qui est capable de remplacer ce poste clé au pied levé, qui dans 2 ans, qui dans 5 ans ? - dont nous déduisons des plans de développement. Viennent s'ajouter à cela des plans d'expatriation et des programmes dédiés aux hauts potentiels, à différents niveaux dans l'organisation, qui sont de véritables accélérateurs de carrière.

Nous allons dans les collèges et les lycées expliquer que construire des turbines est un métier épanouissant pour les femmes aussi

Comment incitez-vous vos managers à laisser partir leurs meilleurs éléments ?

Cela fait partie de notre culture d'entreprise. Il faut commencer par sensibiliser les managers, puis les comportements finissent par changer. Pour cela, les managers doivent être évalués sur leur aptitude à développer les gens.

Vous menez une politique active en faveur de la diversité...

Si nous nous en préoccupons autant, c'est parce qu'au sein du groupe, c'est assez naturel : nous sommes une entreprise multiple par nature. De plus, nous considérons que la diversité des collaborateurs constitue une vraie richesse. Si vous mettez devant un problème dix hommes blancs, de 30 à 35 ans, diplômés de la même école et ayant suivi le même parcours, ils seront beaucoup moins efficaces pour le résoudre que dix personnes plus variées.

En cette période de pénurie, vous ne pouvez plus non plus vous passer des populations habituellement discriminées...

Absolument : pourquoi se priver de tout un pourcentage de la population active ? Evidemment, cela ne se fait pas sans mal non plus. Nous avons ciblé quatre types de discriminations : celles qui concernent les femmes, les personnes porteuses de handicap, les personnes issues de l'immigration et les seniors. Or à chaque fois, ce sont des problématiques très fortes et très distinctes.

Par exemple, si on souhaite recruter 50 % de femmes, le vivier de candidats ne le permet pas. Il nous faut donc aller jusqu'aux collèges et aux lycées pour expliquer que construire des turbines est un métier épanouissant pour les femmes aussi. Concernant les personnes handicapées, un des problèmes majeurs est qu'elles ne veulent souvent pas mentionner leur handicap. Nous avons donc aussi un problème de connexion avec ces personnes-là. Enfin, il faut apprendre aux collaborateurs à surmonter toutes leurs barrières inconscientes liées à la diversité. Et pour cela, il n'y a pas de solution miracle.

Des groupes de travail de salariés ont repensé le mobilier, l'organisation des bureaux, les salles de réunion...

Comment vous y prenez-vous ?

Nous avons décidé de nommer une "Madame Diversité", autonome dans son poste, pour mener ces actions. A l'issue d'un audit interne sur ces questions, nous avons organisé pour tous les managers un compte-rendu dynamique avec une troupe de théâtre. Des sketches reprenaient avec humour des problématiques vécues, caractéristiques de GE. Cela a permis beaucoup d'échanges. Or sur ce sujet-là, ce qu'il faut, c'est en parler, expliquer.

Essayez-vous aussi de retenir les seniors ?

D'une part, nous travaillons avec les partenaires sociaux sur les questions de pénibilité. D'autre part, compte tenu de notre rythme de croissance - 400 recrutements en 3 ans - il est important de bien intégrer les nouveaux embauchés. Nous responsabilisons donc les plus anciens sur leur accueil et leur intégration. Enfin, nous menons toute une réflexion sur la façon de mieux valoriser l'expertise et la séniorité dans l'organisation.

Vous avez également entrepris d'améliorer le cadre de travail...

Oui, et spécialement dans notre siège européen de Belfort où travaillent 300 cadres et employés de bureau. Depuis 2001, nous étions organisés en openspaces. Nous en avons tiré des conséquences. Pour améliorer les conditions de travail et le bien-être des collaborateurs, apporter plus de qualité et de convivialité, nous avons réfléchi avec des experts et des groupes de travail de salariés. Ils ont repensé le mobilier, l'organisation des bureaux, les salles de réunion... Nous espérons mettre en service le nouveau bâtiment à l'automne 2008.

Dans le cadre de notre démarche en faveur du bien-être des salariés, nous proposons également des services à la personne de livraison de fruits et légumes frais. Mais nous voudrions passer à la vitesse supérieure et réfléchissons par conséquent à d'autres services de type conciergerie d'entreprise.

Le retour sur investissement de notre opération Second Life est, du point de vue image, tout à fait satisfaisant

La pénurie de talents, particulièrement marquée dans le secteur de l'énergie, ne vous oblige-t-elle pas à devenir des employeurs modèles ?

Il nous faut en effet savoir nous différencier. Transmettre à l'Apec la liste des postes ouverts ne suffit plus. Nous devons séduire le candidat et lui montrer son intérêt à nous rejoindre avant de vérifier s'il a les compétences requises. Notre forum emploi du 14 juin était conçu dans cette optique d'information et de communication : les entretiens n'ont eu lieu que dans un deuxième temps. Nous mettons beaucoup l'accent sur les échanges avec les managers, destinés à montrer aux candidats que nous sommes une entreprise où il est intéressant de faire carrière.

Comment vous positionnez-vous par rapport à vos concurrents ? Alstom et Bolloré par exemple, à Belfort...

Nous sommes un groupe international de 300 000 salariés. Les opportunités de carrière sont donc infinies. GE Energy, avec 40 000 collaborateurs dans le monde, présent notamment en Espagne, en Allemagne, en Autriche et en Hongrie, est l'un des acteurs majeurs de l'énergie. Nous sommes aussi un des leaders de la technologie et de l'innovation. Dans ce domaine, on peut nous comparer à l'industrie aéronautique. Enfin, nous sommes très en avance en matière d'outils de ressources humaines. Et pour en convaincre les candidats potentiels, nous faisons parler des personnes qui le vivent de l'intérieur. Un site de recrutement avec un beau design ne suffit pas : il faut du concret.

En février dernier, vous avez mené une opération sur Second Life. Quel bilan en tirez-vous ?

C'était une opération pilote, destinée à montrer que nous savions faire ce genre de choses. Cela nous a également permis de toucher un public qu'habituellement nous touchons peu. Nous avons été en contact avec 200 personnes, par la suite nous en avons physiquement rencontré une quarantaine, pour finaliser un contrat avec quelques unes. Mais dans la mesure où nous avions surtout monté l'opération dans le but de nous faire connaître, le retour sur investissement du point de vue image est, lui, tout à fait satisfaisant.

Plus largement, notre structure dédiée au recrutement emploie toutes les méthodes, des plus classiques aux plus modernes, utilisant par exemple les sites communautaires. En 2008, nous avons 900 postes à pourvoir. Pour cela, il nous faut évidemment plusieurs canaux...