Le marketing, faiblesse ou force de l'Open Source ?

Les solutions Open Source disposent d'armes différentes pour se faire connaître. Elles n'ont pas les mêmes budgets marketing, mais elles sont nées avec le Web, dans les communautés, avec le buzz. Et pour certaines, le marketing Open Source est même un des fondements du business model.

Dans un monde de communication, dans un monde où chaque entreprise doit payer sa place sous les feux des projecteurs, où chaque parcelle de visibilité se monnaye chèrement, l'Open Source souffre d'un déficit de marketing. "Si ce produit est aussi bon que vous le dites, pourquoi ne l'ai-je pas vu au grand salon des solutions, le mois dernier ?"

Comme souvent, quand on parle d'Open Source, il faut distinguer les trois grandes typologies de produits et d'acteurs : fondations et communautés d'une part, éditeurs d'autre part.

Voyons d'abord, l'Open Source des grandes fondations, Linux, Apache, Eclipse, etc. Ces institutions sont à but non-lucratif, fonctionnent principalement par des dons en nature, soit de code source, soit de temps-homme. Elles gèrent de tous petits budgets, généralement consacrés aux plates-formes de développement. Elles n'ont clairement pas vocation, ni argent, pour acheter des encarts dans la presse IT.

Mais ces institutions jouissent d'une phénoménale renommée, d'une forte visibilité, et leurs sites bénéficient d'un référencement extraordinaire. De plus, le caractère non économique de leur fonctionnement, et le parrainage des plus grands acteurs du marché, leur donne une très forte crédibilité.

On a vu comment, sans budget de communication, Mozilla pouvait prendre des parts de marché à Internet Explorer, Linux à Windows ou Eclipse à JBuilder. Les produits phares sont sur le devant de la scène quoi qu'il advienne. Mais les autres ? Nous voyons par exemple tous les jours des entreprises déployer des moteurs de recherche propriétaires coûteux, dont les armées de commerciaux ont fait leur travail comme il se doit, en évitant de dire qu'il existait un produit Apache, SolR, faisant la même chose, et souvent mieux, sans coût de licence.

Ces produits Open Source de moindre visibilité, présents sur un marché où le marketing et l'action commerciale sont puissants, ne sont connus que de ceux qui peuvent et savent faire des recherches, évaluer, prendre la maîtrise des outils. Car il n'y a pas de commercial chez Apache pour vous faire une démo de SolR, et vous faire l'article.

Avec les produits de fondations, comme avec les produits communautaires, c'est en fait aux prestataires de prendre à leur charge l'essentiel du marketing. C'est la moindre des choses, d'ailleurs, puisque les mêmes prestataires récupèreront en retour l'essentiel du budget de déploiement. C'est la logique que nous avons adoptée chez Smile, avec la mise à disposition et la promotion de livres blancs, pour à la fois présenter et analyser l'offre du marché sur chaque segment de produit, mais aussi, clairement, faire le marketing des solutions Open Source en général. C'est une mission qui incombe à l'intégrateur, car nul autre ne prendra ce flambeau.

Voyons maintenant les éditeurs Open Source, ces sociétés "normales", c'est-à-dire à but lucratif, qui ont choisi de distribuer leur produit sous licence Open Source, en tout ou partie. Bon nombre de ces éditeurs sont encore des sociétés de relativement petite taille, dont l'essentiel des ressources est consacré au développement produit. La plupart n'ont pas les moyens de payer un stand de 30 m2 dans les plus grands salons professionnels, ni la quatrième de couverture de la presse magazine.

Les solutions Open Source, du moins sur certains marchés, sont un peu dans la situation des lessives de distributeurs: pas de publicité à la télé, pas de présence en tête de gondole, pas de marketing, packaging minimaliste, pas de publi-reportage... et donc un produit moitié moins cher, de qualité identique. L'analogie a ses limites, car sur bien des terrains, les solutions Open Source ne sont pas de qualité identique mais de qualité supérieure, en termes de robustesse, ouverture, pérennité, dynamique de développement, extensibilité, etc.

La faiblesse de leurs dépenses marketing pourrait réjouir leurs clients: chaque euro dépensé en contrat de support n'ira qu'à des choses directement utiles: développement produit, maintenance, assistance utilisateurs. Ils ne financeront pas sans le vouloir la prochaine Coupe de l'America. Alors que chez certains grands éditeurs de solutions propriétaires, lorsqu'ils sont en situation proche du monopole, c'est souvent plus de 60% des recettes qui passent en commerce et marketing, sans bénéfice direct pour le client.

Mais on ne peut en rester à cette analyse, en se réjouissant de la saine utilisation des revenus. Si les sites professionnels sont remplis d'encarts ventant les solutions propriétaires, si l'on ne croise sur les salons que ces mêmes solutions, et si par un effet en cascade, le Gartner et les médias professionnels parlent surtout de ces mêmes produits, alors le décideur sera tenté de penser que c'est ce qui se fait de mieux.

Or comme on le sait, le Web révolutionne le marketing comme bien d'autres aspects de nos business. Au jeu du marketing viral, du marketing social, l'Open Source a aussi des atouts spécifiques. Parce qu'il est par nature directement appuyé sur des communautés, l'Open Source n'a pas besoin de payer des boites de buzz-marketing à mettre des faux posts dans tous les blogs de la planète. Parce qu'elles sont directement appréhendées et appréciées par de vrais leaders d'opinion, les solution Open Source de qualité sont immédiatement relayées dans une nuée de twits d'influence. L'Open Source est né dans les communautés et dans les réseaux, et n'a donc nul besoin d'y payer sa place.

Et d'ailleurs, une manière purement cynique d'analyser le business model d'éditeur Open Source serait de le voir comme un deal un peu étrange :  marketing gratuit contre code source libre. Même si une majorité des acteurs adhère probablement aux valeurs profondes, philosophiques et de responsabilité sociales, de l'Open Source, il n'empêche que c'est bien la logique économique sous-jacente:  le caractère Open Source va permettre la diffusion ultra-rapide du produit – pour autant qu'il soit bon – et son adoption par une immense base d'utilisateurs.  Certains ne seront qu'utilisateurs, d'autres seront testeurs bénévoles, d'autres développeront des extensions qui nourriront un écosystème favorable au produit.  Mais tous en parleront à leurs collègues, écriront sur leurs blogs, posteront des commentaires, twitteront …  et lanceront un buzz à l'échelle mondiale. 

Le produit Magento en est une belle illustration, qui en l'espace de deux ans seulement est devenu le produit e-commerce dont tout le monde parle, le produit leader dans le monde entier, le produit qui concentre la réalisation d'extensions.  Il fallait pour cela un excellent produit, bien en phase avec les attentes du marché.  Mais il fallait aussi qu'il soit Open Source.  Jamais une solution propriétaire n'aurait pu s'imposer de la sorte, à l'échelle mondiale, même avec un budget publicitaire de dizaines de millions d'euros.   La campagne n'a pas été chère payée, le deal fondateur est évidement gagnant.

C'est tout le paradoxe, et ce sera notre conclusion :  si le marketing ordinaire est la faiblesse de l'Open Source, le marketing moderne, 2.0 si l'on peut dire, est sa force, voire son fondement.