Dj Patil (Greylock Partners) "Les entrepreneurs doivent apprendre à tirer profit des données des services qu'ils développent"

Expert en Big Data pour l'investisseur américain, Dj Patil explique en quoi consiste sa profession inédite et quels seront les enjeux d'un monde numérique confronté à un afflux de données sans précédent.

JDN. Greylock Partners est une société d'investissement connue pour être actionnaire de LinkedIn, Facebook, Pandora ou encore Airbnb. Mais quel est votre rôle précis dans la structure ?

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Dj Patil, second "data scientist" le plus influent de la planète derrière Larry Page (Forbes) © S. de P. Greylock Partners

Dj Patil. Mon titre est celui de "data scientist" en résidence, une fonction inédite à l'investisseur en capital risque Greylock Partners qui considère que de plus en plus de start-up du Web souhaitent profiter des données pour les aider à prendre des décisions, à designer des produits et des nouveaux services. Mon travail consiste à aider les entrepreneurs à prendre conscience du potentiel de certaines innovations de rupture puis à réfléchir à la manière dont ils vont tirer profit des données produites par leurs services Web, leurs applications ou leurs produits. Cette approche permet alors à Greylock d'avoir un rôle plus important que celui d'un simple investisseur et de se muer en structure d'accompagnement en amorçage, tout en ayant une longueur d'avance sur les problématiques Big Data.

Quel est pour vous le principal enjeu de l'essor du Big Data ?

"Tous les produits que nous connaissons seront demain en mesure de nous donner des informations, mais ce n'est pas suffisant"

Qu'elles soient privées ou publiques, les données redéfinissent nos systèmes d'informations, collectifs et individuels. L'Internet des objets joue un rôle fondamental dans l'appréhension du Big Data puisque l'omniprésence des capteurs produit un nombre exponentiel de données. De manière générale presque tous les produits que nous connaissons seront demain en mesure de nous donner des informations, mais ce n'est pas suffisant. Les entrepreneurs doivent apprendre à tirer profit de leurs données et à en faire profiter leurs utilisateurs notamment en produisant des indicateurs pertinents qui, eux, vont les pousser à réaliser les actions les plus justes et meilleures pour eux, que ce soit en conduisant, mangeant, dormant etc.

Nos comportements vont-ils donc être progressivement dictés et dépendants des applications Web ?

Notre environnement connecté va créer une dépendance certainement identique à celle que nous avons déjà établie avec les smartphones, c'est à dire une dépendance utile pour des usages choisis par les utilisateurs. Quand les individus réalisent qu'ils ont accès à de nouveaux services qui facilitent leur vie, ils ont l'impression d'avoir accès à des superpouvoirs dans le sens où ils disposent de nouveaux moyens d'améliorer leur quotidien comme par exemple éviter les embouteillages ou être simplement plus productif au travail. Les technologies ne vont donc pas dicter nos comportements car elles vont développer chez nous de nouvelles habitudes et nous conseiller de manière de plus en plus objective sur nos actes et ce notamment dans le domaine de la santé, l'un des secteurs où les objets connectés se développent le plus vite.

Les utilisateurs ne sont-ils pas trop frileux pour laisser une place à ce type de produits et services dans leur quotidien, notamment au regard des questions de confidentialité ?

"La question de la confidentialité est-elle réellement appropriée si nous disposons de terminaux connectés capables de sauver nos vies ?"

L'un des arguments fréquemment soulevé par les utilisateurs est que ces derniers souhaitent reprendre la propriété et le contrôle de leurs données. Prenons le cas d'un examen médical comme une Imagerie par Résonance Magnétique (IRM), que va faire l'utilisateur avec ? Rien, mais on peut lui laisser le choix de le détruire ou non, de le partager ou non mais le plus juste est de trouver un moyen intéressant de valoriser ces données, pour lui et peut-être pour la collectivité si elles sont pertinentes pour le corps médical. Par ailleurs est-ce que la question de la confidentialité est réellement appropriée si nous disposons de terminaux connectés capables de sauver nos vies ou de nous dire qu'il est impératif de nous reposer sans quoi nous allons être malade toute la semaine ? J'estime que la frilosité des utilisateurs va s'estomper quand ils se rendront compte de la valeur ajoutée de ces services.

Pensez-vous que les gouvernements sont légitimes pour réguler l'usage que font les éditeurs de services des données personnelles ?

"La régulation du numérique restera perpétuellement obsolète"

Il y a un décalage total entre ce qu'un gouvernement doit faire et ce qu'il estime judicieux de faire car les usages des institutions en matière de nouvelles technologies ne sont pas modernes, ce qui explique pourquoi leurs notions de confidentialité et de respect de la vie privée ne sont pas adaptées et donc que les règles en la matière soient obsolètes. Les gouvernements se retrouvent donc face à un impératif de ressources humaines compétentes en la matière. Or en face d'eux, les entrepreneurs et utilisateurs souhaitent aller de l'avant. Je suis convaincu que quoi qu'il en soit, la question de la régulation du numérique restera perpétuellement obsolète mais je conçois que les institutions politiques ont un rôle à jouer dans la définition de l'écosystème numérique de demain. Mais elles ont avant tout besoin de s'équiper, humainement et techniquement.

Titulaire d'un doctorat en mathématiques appliquées de l'Université de Maryland College Park, DJ Patil est considéré par Forbes comme le second "data scientist" le plus influent de la planète, tout juste derrière le cofondateur de Google, Larry Page. Dj Patil a débuté sa carrière en 2004 au département de la défense américaine et a travaillé jusqu'en 2006 dans différentes institutions publiques avant d'intégrer eBay en tant qu'analyste stratégique. En 2008, il devient directeur scientifique du réseau social professionnel LinkedIn qu'il quitte en 2011 pour rejoindre Greylock Partners.