Soupçonné de fraude par ses soutiens Kickstarter, Lima s'explique

Soupçonné de fraude par ses soutiens Kickstarter, Lima s'explique La start-up, qui avait levé 1,2 million de dollars sur la plateforme américaine en 2013, a neuf mois de retard sur la livraison de ses boîtiers.

C'est l'une des plus grandes success stories françaises sur Kickstarter. Le boîtier destiné à unifier la mémoire de différents devices, proposé par Lima en septembre 2013 sur la plateforme de financement participatif, a fait un énorme carton. L'objectif initial de 69 000 dollars a été atteint en moins de 24 heures, et  Lima a fini par lever un montant total d'1,2 million. "Nous avons choisi le crowdfunding pour valider l'existence d'une réelle demande pour notre produit et pour nous positionner sur le marché américain", raconte Séverin Marcombes, CEO. Pari réussi.

Le boitier, qui a coûté 70 dollars aux soutiens, devait être livré en décembre. La start-up annonçait alors passer de deux à dix employés pour assurer l'envoi. Mais très vite, la date est repoussée au printemps 2014.

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Lima annonce un délai dans la livraison, le 27 novembre 2013. © Capture d'écran Kickstarter

"En lançant la campagne, nous avions prévu de financer 1 000 appareils, se souvient Séverin Marcombes. Nous avions créé une version alpha et on se disait que ces 1 000 personnes nous permettraient d'itérer et de faire évoluer le produit. Mais nous avons finalement reçu 17 000 commandes par 12 800 personnes. Une super nouvelle, qui nous a permis de passer de deux à dix-huit personnes et d'accélérer le projet. Mais quand nous avons fait un petit sondage auprès de nos soutiens, on s'est rendus compte que la majorité ne correspondaient pas au profil "geek" que nous attendions. Le problème, c'est que notre projet était en Python et difficilement manipulable par quelqu'un qui ne le comprend pas bien. Nous avons alors décidé de repousser la livraison et d'élaborer un projet et une base de code plus stables que prévus. Nous voulions aussi améliorer le hardware et le design."

En juin dernier, lorsque CGC (Cloud Corporation Guys, la société à l'origine de Lima) annonce une nouvelle levée de fonds de 2,5 millions de dollars auprès de Partech Ventures, les 17 000 boitiers n'ont toujours pas été livrés. Une nouvelle vague de pré-commandes a été lancée et Lima rappelle que le produit sera finalement livré aux backers en juillet, puis commercialisé dans le monde entier d'ici à l'automne 2014 et dans la grande distribution à partir de 2015.

La beta privée stoppée, retour en phase de développement

Pourtant, mi-septembre, un an après la campagne Kickstarter les backers n'ont toujours rien reçu. "Toute la partie développement a pris un certain temps et nous avons rencontré des blocages inattendus, explique Séverin Marcombes. Des bugs de performances, de stabilité. Nous avons aussi dû gérer des retards côté hardware que l'on n'avait pas anticipés, comme un problème avec un sous-traitant qui nous a livré de l'électronique défectueux, nous retardant de trois semaines." C'est surtout en lançant la phase de béta privée, comme prévu, en juillet, que Lima tombe de haut : "Nous avons rencontré de petits bugs classiques, mais aussi de gros problèmes auxquels on ne s'attendait pas." Résultat : la start-up est obligée de stopper la beta privée pour repasser par une période de développement. "Nous reprendrons le processus de beta en décembre, pour atteindre une beta 100 personnes [au lieu des 300 personnes prévues initialement, ndlr], et commencerons la livraison à ce moment-là", assure désormais le CEO.

Depuis des mois, la page Kickstarter de Lima fait l'objet d'un flot de critiques sur son onglet "commentaires" -elle en compte plus de 2 770. Aucune des interventions de l'équipe de Lima ne semble calmer les soutiens. "Cela concerne une grosse vingtaine de personnes sur 12 800 clients", tempère Romain Lavault, de Partech. Pourtant, sur la seule période du 1er au 22 septembre, un an après la campagne, on dénombre des commentaires mécontents de la part de près de 60 backers –ceux qui ont pris la peine de venir s'exprimer. Parmi lesquels une dizaine d'internautes extrêmement remontés qui publient chaque jour ou presque un nouveau commentaire incendiaire. "99,8% de clients sont séduits, patients, et ne se plaignent pas alors qu'ils ont à leur disposition un canal direct d'expression avec l'entreprise et le public, défend Romain Lavault. Ils ne doivent donc pas être plus inquiets que nous !"

Critiques acerbes sur Kickstarter

Il n'empêche que de nombreux soutiens critiquent le retard –certains auraient préféré un Lima moins élaboré, mais reçu plus rapidement- et plus encore le manque de transparence de la start-up. "Je pense que [Lima] doit commencer à dire la vérité, être honnête avec les soutiens qui les ont aidé à poursuivre leurs rêves, écrit un backer. Donnez-nous le vrai statut de la livraison. Montrez-nous le système (un système que vous assuriez avoir finalisé il y a plus d'un an). Comportez-vous en professionnels et permettez-nous de tester (hors de vos cercles d'amis et hors de France)." Séverin Marcombes reconnaît n'avoir à ce jour diffusé que peu d'informations sur le fonctionnement : "On a des backers très geeks qui réclament des informations très techniques, et d'autres qui attendent des visuels. Nous en avons montré quelques-uns avant la phase de béta mais le but de Lima, une fois installé, c'est d'être invisible, donc on n'a pas grand-chose à montrer, mises à part beaucoup de lignes de commandes." Une démo postée en juillet sur le blog de Lima n'a par exemple pas vraiment convaincu : elle ne montre aucune interaction entre mobile et PC, comme la suppression d'un fichier sur l'un s'affichant directement sur l'autre. Des internautes soulignent qu'il aurait été possible de remplir des dossiers avec des fichiers similaires manuellement, au préalable, sur chacun des devices, pour faire croire à une mémoire unifiée dans la vidéo de démo.

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Commentaire d'un backer en réponse à une démo vidéo de Lima. © Capture d'écran Meetlima.com

"Rien (pas même une démo ou un spécimen) n'a été montré, à moins d'être leur voisin et de signer un accord de confidentialité assurant que vous ne diffuserez aucune information aux autres soutiens", accuse un autre backer. Séverin Marcombes le reconnaît : des accords ont été signés par les trois premiers béta testeurs, " par principe, parce qu'on fait quelque chose de complètement nouveau et qu'on ne peut pas se permettre que des informations très techniques ne sortent". Et si les béta testeurs sont des proches et amis, assure-t-il, c'est "pour pouvoir intervenir chez eux, sur leur ordinateur, dès qu'il y a un problème".

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Commentaire d'un backer sur la page Kickstarter de Lima daté du 24 septembre. © Capture d'écran Kickstarter

Mais les critiques vont plus loin. Certains internautes soupçonnent Lima d'être à l'origine d'une fraude comme on en rencontre parfois sur Kickstarter (lire : " Ces campagnes Kickstarter qui sont tombées à l'eau", du 17/07/13). "Nous allons essayer de rencontrer les backers plus personnellement dans les mois à venir, explique Séverin Marcombes. On se rend compte que certains pensent que Lima est une arnaque parce qu'on ne montre pas encore grand-chose." Pour ceux qui réclament un remboursement, par contre, pas de recours possible : "Les fonds ont été utilisés pour le projet qu'ils ont backé et on ne peut pas se permettre de rembourser sans risquer de le mettre à mal." En attendant, les backers se désespèrent de ne pas recevoir autant d'informations qu'ils le souhaiteraient et déplorent la stratégie de communication de Lima.

Et pour répondre à leurs attentes, CGC vient de poster une vidéo de douze minutes à ses backers, dans laquelle Séverin Marcombes revient sur le chemin parcouru par la start-up depuis la campagne Kickstarter et les raisons du délai. Il reconnaît que "la communication avec les backers n'a pas été bonne" et promet d'organiser des rencontres à Paris, Londres, Hong-Kong, Dublin et peut-être New York et Las Vegas dans les mois à venir. L'heure est venue pour Lima de rassurer ses backers et montrer ce pour quoi ils ont investi.