Les éditeurs allemands s'allient face à Google et Facebook
Outre-Rhin, les principaux médias mettent en commun leur data Web pour bâtir une alternative aux deux géants. Une initiative qui pourrait faire écho en France.
A eux deux, Facebook et Google ont capté près de 65% des revenus digitaux du marché publicitaire online américain en 2015, selon Pivotal Research. Une part de marché impressionnante qui s'explique par le cocktail inédit d'audiences massives et de capacités de ciblage très fines que le duo est capable de proposer aux annonceurs. Une concurrence écrasante pour les éditeurs qui voient leurs revenus papier s'éroder et peinent à jouer à armes égales sur le Web. "Le sujet était sur toutes les lèvres du côté des Cannes Lions où étaient notamment présentes une quinzaine de places de marché médias", confirme d'ailleurs Arthur Millet, le patron de La Place Media.
En Europe où la domination de Google et Facebook est tout aussi palpable, la résistance s'organise. C'est notamment le cas en Allemagne où quatre des dix plus grands groupes médias allemands (Axel Springer, Gruner + Jahr, Bertelsmann Group et le groupe Der Spiegel) viennent de réunir leurs forces et la data récoltée sur plus de 1 000 de leurs sites Web fixe et mobile pour optimiser la commercialisation de leurs espaces publicitaires.
La data, stockée au sein d'une plateforme tierce baptisée Emetriq y est triée, qualifiée et segmentée pour permettre la création de clusters d'audience dans lesquels les éditeurs peuvent venir piocher pour proposer à leurs clients des bundles media + data. Chacun étant facturé entre 4 000 et 15 000 euros par package.
87% de taux de réussite de ciblage selon GFK
Dans le lot, un melting-pot de data (socio-démographique, loguée, comportementale, achat) mais aussi du ciblage sémantique et contextuel. Et pour s'assurer de la qualité du filtrage, la plateforme fait appel à un tiers, GFK, qui valide la pertinence des packages grâce à son panel de consommateurs online. De quoi permettre à l'ensemble d'atteindre un taux de réussite de ciblage de l'ordre de 87%, affirme le groupement.
Une initiative qui va plus loin que les places de marché médias que l'on a vu fleurir dans le monde. Et un partenariat entre anciens concurrents qui, à en croire le chief digital officer d'Axel Springer, Carsten Schwecke, s'explique par le défi inédit qui se pose à eux. "Nos concurrents ne sont plus les éditeurs traditionnels. Nous devons combiner nos forces contre Google, Amazon, Apple et Facebook", expliquait-il récemment à Digiday.
"C'est un début de réponse à grande échelle à l'hégémonie des GAFA, confirme le directeur général d'Audience Square, Erwan Le Page. Ces groupes vont pouvoir proposer une data normée à leurs clients annonceurs, une data susceptible de devenir une nouvelle monnaie d'échange, l'équivalent du GRP en TV."
Etre prêt pour les gros annonceurs TV
Une analyse qu'Arthur Millet partage : "C'est d'autant plus stratégique que le gros des investissements en pub TV va basculer vers le digital, en particulier du côté des acteurs de la grande consommation." Des acteurs qui voudront appliquer au Web le même raisonnement qu'ils tiennent en TV où ils savent que s'ils achètent tant de GRP sur telle cible, ils livreront tant de palettes.
L'initiative se cantonne toutefois à l'univers des cookies, sur fixe comme sur mobile. Résultat, pas de partage des bases de données issues des abonnements papier ou de remontée des données in-app. Des informations qui auraient permis d'augmenter sensiblement les capacités de ciblage de la plateforme en associant des adresses mails et des informations socio-démographiques à une identité numérique, grâce à l'onboarding de data. Difficile dans ces conditions de satisfaire les attentes des annonceurs à la recherche d'indicateurs de performance sur leurs campagnes de notoriété sur tout le haut du tunnel d'achat (la période où il prend connaissance des différentes offres susceptibles de l'intéresser).
"C'est sans doute plus simple de commencer par les données de navigation Web mais c'est insuffisant sur le long terme, commente Arthur Millet. La vraie richesse des éditeurs réside dans leurs bases de données offline." Même son de cloche du côté d'Erwan Le Page qui s'appuie sur l'expérience Audience Square pour trancher : "Les annonceurs qui viennent acheter chez nous délaissent aujourd'hui le comportemental pour la donnée socio-démographique."
La vraie richesse : les bases de données offline
Les éditeurs de presse seront obligés de partager ce magot pour espérer rivaliser avec une pointure comme Facebook. "Facebook c'est un peu cette solution miracle qui vous permet d'avoir de la data socio-demographique à grande échelle avec ses près de 23 millions d'utilisateurs logués en France et un format in-feed, pas intrusif et très efficace sur mobile", explique Arthur Millet.
Le tout nouveau PDG d'Emetriq, Daniel Neuhaus, n'en pense pas moins, avouant tout de go : "Même en regroupant nos ressources au sein de ce pool, nous sommes encore très loin des deux géants mais nous nous rapprochons tant en termes de qualité que de quantité de data." Il faut dire que les obstacles sont nombreux, du côté la technologie mais aussi des mentalités qu'il va falloir changer. "Certains ont sans doute peur de se faire léser alors que tous les éditeurs ne sont pas aussi bien pourvus en matière de données offline", illustre Arthur Millet.
En France, pays précurseur en matière de lancement de places de marché médias, aucune initiative de ce genre n'a encore filtré mais à en croire Erwan Le Page, Le Monde, Le Figaro et les autres devraient s'inspirer de leurs voisins. "C'est le prolongement naturel d'un projet tel que le nôtre et un passage obligé pour atteindre cet effet d'échelle que les annonceurs recherchent dans leurs campagnes." Arthur Millet se contentera lui d'avouer que "la réflexion est en cours mais rien n'est arrêté".
Reste à voir quel rôle pourraient également jouer les opérateurs télécoms dans un tel projet alors qu'en Allemagne, Deutsche Telecom va lui instiller de sa data. "Vu le nombre de box installées et le nombre de portables associés à une offre triple-play, les opérateurs ont clairement un coup à jouer même s'ils peuvent être limités par les problématiques de protection de la vie privée et exploitation des données personnelles", note Erwan Le Page.
On peut également penser qu'un acteur comme Patrick Drahi, qui pousse autant que possible son nouveau pôle SFR Presse, pourrait être tenté de lancer la manœuvre. Tout comme un Bouygues, actionnaire de TF1, y verrait également son intérêt. Une certitude, "la réponse des opérateurs à Facebook sur ce terrain peut être encore meilleure", conclut Arthur Millet.