Coronavirus : le marché pub français retient son souffle
L'épidémie n'a presque pas eu d'impact sur les investissements au premier trimestre, assurent agences médias et régies. Mais les annonceurs du voyage et du luxe se désengagent peu à peu.
Alors que la France, deuxième foyer en Europe après l'Italie, multiplie les nouveaux cas de coronavirus, médias et agences retiennent, eux, leur souffle, en attendant de découvrir les répercussions qu'aura l'épidémie sur les investissements publicitaires. Dans l'Hexagone, le suspense est d'autant plus tenace que les premiers symptômes tardent à apparaître. Les régies du Figaro et de Prisma Media n'ont ainsi pas observé de coupure des budgets digitaux en ce début d'année. "Il n'y aura aucun impact sur le premier trimestre", assure même Karine Rielland-Madirossian, la directrice générale déléguée digital de Media.figaro. "Nous remplirons nos objectifs sur la période", ajoute Geoffrey La Rocca, le patron France de la plateforme média Teads. Chez les acheteurs, le chief programmatic officer de Publicis Media, Jean-Baptiste Rouet, fait lui état "d'une seule campagne annulée quand le virus était encore en Chine". C'est également "business as usual" du côté de l'agence média indépendante Values Media. "Nos clients n'ont pas pris de mesures particulières", nous indique le directeur général adjoint Emmanuel Crego.
"Une seule campagne programmatique a été annulée chez Publicis Media à cause du coronavirus"
Une autre régie média, qui explique suivre "de près l'évolution de l'épidémie et son impact sur les clients", assure également "ne pas ressentir d'effet coronavirus, hormis chez certains acteurs du voyage et du tourisme." Ces derniers, tour-opérateurs, compagnies aériennes et hôteliers en tête, figurent sans surprise parmi les premières victimes de l'épidémie, à mesure que celle-ci impacte la fréquentation des principaux sites touristiques. Le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a déclaré ce lundi 2 mars que le manque à gagner était de "1 milliard d'euros par mois pour l'industrie touristique européenne". Une perte qui aura forcément une incidence sur les budgets communication des concernés, ce poste de dépense étant le premier sacrifié en temps de crise. "Quelques annonceurs issus du secteur du voyage ont baissé leurs investissements, voire les ont arrêtés, dans les destinations infectées", note d'ailleurs Jean-Baptiste Rouet. Air France, un gros annonceur en France, a décidé, selon nos informations, d'attendre la fin de l'épidémie avant de reprendre la parole. Une campagne de communication prévue pour le marché français a ainsi été reportée sine die.
Les annonceurs du luxe devraient rapidement faire de même. "Ils nous ont déjà annoncé qu'ils allaient réduire la voilure, sur papier comme sur digital", révèle Karine Rielland-Madirossian. Le foyer de l'épidémie, la Chine, est un marché crucial pour cette typologie d'acteurs et le ralentissement de la consommation, suite aux mesures de confinement qui y ont été prises, a un impact direct sur leur santé économique. "Certains anticipent des résultats difficiles pour le premier trimestre et coupent d'ores et déjà leurs budgets médias, même en Europe", confirme Geoffrey La Rocca.
Air France a annulé une grosse campagne de communication en France
En France, rien d'alarmant pour le marché publicitaire. Mais la situation risque d'évoluer en même temps que le rythme de propagation, fulgurant ces derniers jours, du virus. L'épidémie s'est étendue à l'ensemble du territoire français, alors que le nombre de personnes contaminées est monté à 130 ce lundi 2 mars et que des nouveaux cas ont été confirmés en Bretagne, en Seine-Saint-Denis et dans le Pas-de-Calais. "Les deux prochaines semaines s'annoncent décisives", concède Karine Rielland-Madirossian. La dirigeante de Media.figaro s'attend à "un mois de mars difficile"… sans toutefois pouvoir en dire plus. Il faut dire que les régies naviguent à vue alors qu'en digital, et plus particulièrement en programmatique, les annonceurs peuvent débrancher les tuyaux du jour au lendemain. Le DBM Gate, qui avait vu Google baisser drastiquement et sans préavis ses investissements au sein des principaux SSP du marché, suite à l'entrée en vigueur du RGPD, l'avait bien démontré.
Chute de 50% du CA d'un trading desk en Italie
"C'est flou mais c'est le scepticisme qui domine en ce qui concerne le deuxième trimestre", avoue un autre patron de régie. Un sentiment corroboré par la situation du marché italien, premier foyer européen du virus. Un trading desk français, très actif de l'autre côté des Alpes, explique y avoir vu son chiffre d'affaires chuter de 50% au cours des dernières semaines. "Les régions touchées, la Lombardie, le Piémont, l'Emilie-Romagne, sont des gros pôles de business, analyse son dirigeant. Les entreprises y ont basculé tous leurs collaborateurs en télétravail, ce qui ralentit la signature des deals."
"On a des clients de la grande distribution qui sont inquiets pour la rentrée"
Reste que les régies sont habituées à composer avec les aléas de la conjoncture économique. "Fin 2018, le mouvement des gilets jaunes avait eu un véritable impact sur la consommation et, par rebond, sur les investissements médias de certains secteurs du retail et du luxe", rappelle Karine Rielland-Madirossian. Si l'on remonte beaucoup plus loin dans le temps, on peut faire un parallèle avec la crise des subprimes, crise économique qui avait, elle, fortement nuit aux investissements en pub online. Affichant jusqu'alors une santé galopante, le display avait été freiné pour la première fois, reculant de 7% au premier semestre 2009, selon l'Observatoire de l'epub de l'époque. Diminuant les lancements de produits et campagnes d'images associées, les annonceurs avaient privilégié une communication plus ROI centric, selon les analyses de l'Observatoire. La télévision avait, elle aussi, été fortement impactée. Les recettes publicitaires de TF1 avaient baissé de 27% sur un an au cours du premier trimestre 2009. Celles de M6 de 11%.
L'impact du coronavirus sera, lui, d'autant plus pernicieux que le foyer d'origine du virus, la Chine, est le principal sous-traitant de bien des marques de la grande consommation. Leur capacité de production sont mises à mal dès aujourd'hui mais les effets seront, au vu de leurs cycles de production, seulement visibles en septembre. "On a des clients de la grande distribution qui sont inquiets pour la rentrée", confirme notre patron de régie anonyme. Les investissements publicitaires pourraient donc, eux aussi, subir le contre-coup de cette récession différée.
L'Organisation de coopération et de développement économiques, OCDE, prévoit une forte baisse de la croissance mondiale sur l'année. L'épidémie du coronavirus a fait chuter les prévisions de croissance de l'organisation de 2,9 à 2,4 %. Cette baisse pourrait être encore plus notable si le virus continuait à se propager. "Tout dépendra de la durée de l'épidémie", concède Geoffrey La Rocca. Le patron de Teads France joue toutefois la carte de l'optimisme. "C'est sur le second semestre que nous réalisons 60 à 65% de notre chiffre d'affaires, ce n'est pas exclu qu'il y ait un rattrapage. D'autant que les marques n'ont pas intérêt à délaisser le marketing si elles veulent continuer à générer des ventes. Surtout en temps de crise…"