Nicolas Rieul (Criteo) "En France, les nouveaux produits pèsent pour 21% du business réalisé par Criteo avec ses plus gros clients"

Cnil, cookies tiers et retail media… Nicolas Rieul, directeur général de l'adtech en France, s'exprime pour la toute première fois, six mois après son arrivée.

JDN. La Cnil enquête sur les méthodes de collecte des données de Criteo, a écrit cette semaine l'association Privacy International sur son site Internet. Que répondez-vous ?

Nicolas Rieul est directeur général France de Criteo. © S. de P. Criteo

Nicolas Rieul. Que ce n'est pas vraiment un scoop puisque nous avions déjà annoncé faire l'objet d'une investigation lors de la publication de nos résultats annuels en février. C'est d'ailleurs une procédure des plus classiques, à laquelle sont confrontées beaucoup d'adtech. Nous sommes confiants dans notre conformité. Pour rappel,  Criteo n'exploite pas de données sensibles ou permettant d'identifier directement  les internautes comme le nom, le prénom, l'adresse ou les informations bancaires. J'ajouterai que Criteo a, dès sa création, fait de la réglementation française et européenne, la base du traitement de ses données, dans le monde entier. Nous avons d'ailleurs proposé aux internautes de cliquer sur les publicités pour obtenir plus d'informations, via l'onglet Adchoice, leur permettant d'exercer leur droit de façon pratique bien avant que le marché se décide à faire de ce service un standard.

Criteo a connu, pour la première fois de son histoire, un recul de son chiffre d'affaires en 2019. Pour renouer avec la croissance, il lui faut accélérer le développement de produits complémentaires au retargeting. Où en êtes-vous de votre stratégie de diversification ?

Tout l'enjeu est de faire de Criteo une société multi-produits qui répond à l'intégralité des problématiques des annonceurs. Cela comprend, bien sûr, la génération de ventes e-commerce mais aussi la gestion des campagnes branding, l'optimisation des ventes en magasin ou celle de téléchargements d'applications. Cela comprend également toute notre activité retail media, grâce à laquelle nous permettons aux e-commerçants de monétiser leur inventaire via des résultats sponsorisés ou des bannières display sur site. Tous ces produits mis bout à bout nous permettent de multiplier le marché adressable par 10.

"Le chiffre d'affaires réalisé par Criteo avec ses 50 plus gros clients a crû de 13% sur un an en France"

Quel est aujourd'hui leur poids dans votre activité ?

12% de notre chiffre d'affaires global en 2019. Cela représente donc déjà 263 millions de dollars de revenus et une croissance annuelle de 54%. La France est un cas intéressant car c'est notre marché test. On y co-développe toutes nos innovations publicitaires en partenariat avec nos plus gros clients. Au dernier trimestre 2019, 21% du chiffre d'affaires réalisé dans l'Hexagone avec la cinquantaine de nos plus gros clients qui provenaient de ces nouveaux produits publicitaires, contre 13% au troisième trimestre. Cela représente une croissance de 63% d'un trimestre à l'autre et c'est ce qui explique que notre activité française se soit si bien comportée en 2019. Les revenus réalisés avec les 50 plus gros clients y ont crû de 13% sur un an alors que, comme vous l'avez rappelé, le business a décliné au global. Je trouve que c'est de bon augure pour nos performances en 2020.

Vous dites vouloir vous attaquer au branding. Le branding sur le Web, c'est surtout un format, la vidéo, et une typologie de partenaires, les agences médias. Ce ne sont pas vraiment les points forts de Criteo…

Nous y remédions. Nous testons une offre beta en France qui permet aux annonceurs de diffuser leurs campagnes vidéos, instream ou outstream, via les principaux SSP du marché dont Freewheel et Teads. Notre principal atout, c'est de pouvoir adjoindre à l'optimisation de ces campagnes de la donnée transactionnelle et intentionniste. En clair, de concilier branding et performance. Car ce sont près de 800 milliards de transactions en ligne qui transitent par notre solution chaque année.

Si historiquement Criteo traite plutôt avec les annonceurs en direct, car notre cœur de cible, les e-commerçants ont internalisé l'achat média, nous nous ouvrons de plus en plus aux agences médias. C'est effectivement indispensable pour nous diversifier. En France, nous avons même mis sur pied une équipe de cinq personnes dédiées à cette cible. C'est l'un de nos gros enjeux pour 2020…

"Nous avons lancé une offre vidéo instream et outstream en beta en France"

En matière de retail media, les ambitions des mastodontes du secteur, Carrefour Media, RelevanC ou encore Valiuz, ne contrecarrent-elles pas vos projets ?

Absolument pas car notre offre retail media s'adapte à tous les besoins. Nous pouvons travailler en marque blanche avec les acteurs les plus matures et gérer l'aspect commercial pour ceux qui sont les moins avancés. Nous avons déjà signé de belles références parmi lesquelles Carrefour, Auchan, Intermarché, Leclerc, Fnac - Darty ou encore Boulanger.

L'autre sujet brûlant, c'est la disparition annoncée des cookies tiers de Chrome. Comment Criteo s'y prépare-t-il alors même que ces derniers sont cruciaux pour son business de reciblage publicitaire ?

Nous n'avons pas attendu l'annonce de Google pour nous y préparer. Cela fait maintenant plus de deux ans que nous nous efforçons de diminuer notre exposition aux cookies tiers. Je pense que l'annonce de Google est une chance pour le marché et Criteo, ne serait-ce que parce que ces outils, qui existent depuis le début du Web, n'ont pas été conçus pour la publicité. Au contraire des ID mobile comme l'IDFA et l'Android ID. A nous de réfléchir conjointement au standard de ces prochaines années. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes rapprochés d'associations professionnelles comme le 3WC et d'initiatives type Rearc, le projet de l'IAB Tech Lab, ou Privacy Sandbox, celui de Google.

Vous avez également recours à la méthode du Cname, soit l'obtention d'une délégation de sous-domaine par le site avec lequel vous travaillez, pour vous affranchir des cookies tiers…

"A peine 5% de notre ID graph repose uniquement sur des cookies tiers"

C'est effectivement une solution que nous proposons aux éditeurs et marques partenaires depuis six mois. Nous avons une relation directe avec plus de 3 000 éditeurs dans le monde, ce qui explique qu'une majorité nous fasse confiance sur le sujet. Toutes ces actions font qu'aujourd'hui c'est à peine 5% de notre ID graph qui repose uniquement sur des cookies tiers. Preuve que la disparition de ces derniers ne portera pas atteinte à notre business model.

Vous mentionnez Privacy Sandbox. On retrouve au sein de cette boîte à outils pensée par Google une API, baptisée Turtledov, qui permettrait aux annonceurs de passer par le navigateur pour faire du retargeting. Une nouvelle menace pour Criteo ?

Privacy Sandbox nous semble être une bonne initiative dès lors que Google en a fait une plateforme ouverte à tous. Pas question donc de lui faire un procès d'intention. Cela ne veut bien évidemment pas dire que nous ne serons pas vigilants mais je doute que ce soit dans l'intérêt de Google d'en profiter pour favoriser ses solutions. Les autorités guetteront le moindre faux pas. Rappelons également que Privacy Sandbox est un projet certes ouvert à contributions mais qui a, pour l'instant, uniquement été nourri par les ingénieurs de Google. Rien de définitif donc.

Concrètement, Turtledov se présente comme une solution pour réengager les prospects chauds. Effectivement ce que propose Criteo. Mais ce n'est qu'une partie de notre offre. Car je rappelle que les trois-quarts des produits mis en avant dans nos bannières sont des produits jamais consultés par les consommateurs. Notre moteur repose sur cette recommandation. Par ailleurs, il me semble compliqué d'intégrer directement dans le navigateur toute la logique de bidding qui va de pair avec Turtledov. Il n'est pas possible de faire tourner un modèle de bidding performant dans un tel environnement.