Baisse de la publicité : les difficultés des régies françaises ne font que débuter
Témoignant à couvert, les dirigeants de régies font grise mine sur l'état des investissements publicitaires actuels. Ils observent un marché baissier que ne confirment pas les études publiées ces dernières semaines.
Si les études relatives aux investissements publicitaires en France et dans le monde dévoilées ces derniers jours, ou semaines annoncent un fort ralentissement sur quasiment tous les leviers, l'écrasante majorité montre un digital plutôt résiliant. Mais lorsqu'on s'intéresse aux principales régies françaises, et en se basant sur les témoignages à couvert d'acteurs clés du marché, la situation semble bien plus inquiétante avec des pertes considérables de leurs recettes digitales, laissant entrevoir un début d'année 2023 pour le moins difficile.
"La situation est particulièrement catastrophique sur le programmatique"
Pour les trente principales et plus importantes régies françaises, tous publishers confondus et à l'exception de l'IPTV, on observerait en réalité, en moyenne, une chute des revenus digitaux depuis au moins le mois de juin, avec notamment un été de baisse à deux chiffres. "Nous sommes tous dans le rouge et la situation est particulièrement catastrophique sur le programmatique, à l'exception du garanti mais dont la part demeure petite. Personnellement, je constate une baisse très marquée de la demande sur toutes les plateformes, y compris, chez Google. Cela va de zéro à -40%, selon le SSP. C'est dramatique, si on considère que pour la majorité des régies le programmatique pèse pour 50% des recettes et cela peut monter jusqu'à 70% pour certaines", commente un responsable d'un très important groupe publisher français.
Rappelons-nous : Alliance Digitale indiquait déjà dans son baromètre du programmatique une baisse de 5% des investissements en programmatique sur le premier semestre 2022. Mais au stade actuel, c'est du jamais vu, selon notre publisher, qui sera confronté à des recettes digitales totales en baisse de 20% cette année comparé à 2021 (alors qu'il tablait sur +16% dans ses projections faites avant le début de la guerre en Ukraine). S'attendant à une année 2023 très difficile, il se fixe comme objectif un petit +4% dans les meilleurs des cas. "J'espère au moins que rapportées à mon audience, mes recettes resteront stables en 2023, mais il va falloir se battre", conclut-il.
"Notre seul objectif, c'est le trafic et les clics. Nous achetons donc beaucoup moins"
Ce témoignage est confirmé par le patron d'un trading desk français : les budgets baissent fortement et l'exigence de résultat augmente d'autant, depuis cet été au moins. Et cette tendance devrait se poursuivre en 2023. "Face à la crise, les annonceurs souhaitent que l'on se concentre sur les impressions qui performent le mieux et qui ne présentent aucun risque de brand safety. Nous ne cherchons plus de reach, les campagnes branding sont à l'arrêt. Notre seul objectif, c'est le trafic et les clics. Nous achetons donc beaucoup moins", témoigne-t-il en précisant que si le résultat de son trading desk finira l'année stable comparé à 2021, c'est uniquement grâce à un excellent premier semestre.
Cette exigence forte des annonceurs à l'égard des budgets qu'ils n'ont pas encore coupés nous est confirmée par le responsable du digital d'un important groupe du secteur alimentaire. "Nous opérons énormément de coupes et d'arbitrages budgétaires parce que la situation macroéconomique n'est pas simple. Nous briefons nos agences afin de donner la priorité à certaines marques et à certains types de campagne. Et nous ne sommes pas les seuls : certains de nos concurrents ont coupé tous les budgets de ce dernier trimestre, nous l'avons fait en grande partie également. Aucun signe ne nous permet pour l'instant de changer de cap", résume-t-il.
Un premier semestre 2023 à l'arrêt... avant le rebond ?
Les coupes en cours en cette fin d'année n'épargnent aucun secteur : qu'il s'agisse des marques phares de l'alimentaire et des produits de grande consommation, comme l'indiquait déjà le dernier Baromètre unifié du marché publicitaire pour les trois premiers trimestres de l'année, mais également la majorité des retailers, jusque-là encore actifs. Parmi les seuls secteurs qui tiennent le cap de leurs investissements médias empêchant ainsi le marché français de s'écrouler d'après nos interlocuteurs, on retrouve des opérateurs télécom, le secteur de la tech, parmi lesquels les Gafam, le luxe et le secteur banques/assurances. Tous activent majoritairement des campagnes à la performance. "Vu l'état des recettes des publishers français c'est à se demander où passe cet argent", s'interroge notre publisher. Sans doute dans le retail media, le search, et certains réseaux sociaux comme TikTok, indiquent les analystes, sans trop de certitude.
A en croire tous ces témoignages, le premier trimestre de 2023 s'annonce quasiment à l'arrêt et le robinet des investissements pourrait ne s'ouvrir qu'au compte-gouttes au second. Tous placent leur espoir dans une reprise forte au deuxième semestre. Mais rien n'est encore figé, rappelle Olivier Baconnet, directeur des expertises et investissements médias chez GroupM France. "Les acteurs du marketing traditionnel, comme les acteurs de la grande consommation, sont en difficultés depuis quelques mois. Ils investissent moins en média et vont poursuivre ce mouvement au moins durant le premier semestre. En face, en revanche, les acteurs de la nouvelle économie, comme les distributeurs de la food delivery, les banques en ligne ou le voyage, avec des annonceurs de type Airbnb et Expedia, continuent d'investir massivement et beaucoup plus que les acteurs qu'ils remplacent et qui ont décéléré à cause de la crise économique. Nous ne voyons pas à ce jour d'arrêt des investissements de ces acteurs-là. Leur poids va croître dans les investissements médias en 2023 même s'ils baisseront un peu la voilure." L'analyste confirme en revanche "une pause" des investissements publicitaire au premier trimestre 2023, au moins.