Arnaud Créput (Equativ) "Les opérations de fusion et acquisition vont continuer dans l'adtech en 2025"

Pour le patron de la plateforme adtech Equativ, le contexte économique défavorable pèsera en 2025 sur le marché français, qui devra compter sur sa capacité à innover.

JDN. Qu'attendez-vous en 2025 en France et sur vos principaux marchés ?

Arnaud Créput, dirigeant d'Equativ. © Equativ

Arnaud Créput. Nous ne nous attendons pas à une croissance importante en Europe. En France, il est difficile de se réjouir de la situation politique actuelle, qui paralyse l'action gouvernementale et freine l'économie du pays déjà fragilisée par la fermeture d'usines, la croissance en perte de vitesse et le déficit. Après la parenthèse enchantée des Jeux olympiques, place à la morosité. Or, la croissance économique est clé pour le marché publicitaire. Pour autant, les start-up françaises continuent de se démarquer mondialement par leur capacité à innover dans notre secteur. Enfin, aux Etats-Unis, en revanche, la croissance est toujours au rendez-vous. Là-bas, l'environnement politique change vers, quoi que l'on dise, un modèle très "business friendly" au point que l'optimisme revient à toute allure.

L'année s'est terminée avec l'annonce du projet d'acquisition d'Interpublic Group (IPG) par Omnicom. Qu'est-ce que cela dit du marché publicitaire mondial ?

Les cinq principaux grands groupes publicitaires mondiaux se partagent un marché très concurrentiel avec des marges extrêmement réduites. Prenons l'exemple d'Amazon, qui a transféré ses budgets d'Initiative (IPG Mediabrands) à OMG pour les Amériques et à GroupM (WPP) pour l'Europe, l'Afrique et l'Asie. Chaque pitch est une guerre sans merci avec un impact sur les marges et sur la capacité de ces groupes à investir et à innover. La création de valeur dans ce secteur vient de la croissance organique et je ne suis pas sûr que dans cette opération 1+1 fera 2. Ce type d'opération aura également tendance à resserrer le duopole Publicis/Omnicom qui domine le marché. Ceci étant, ce mouvement ouvrira peut-être des opportunités pour les agences de taille moyenne et les indépendants. Par ailleurs, il convient de rester prudent. Souvenez-vous du projet de fusion entre Omnicom et Publicis (annoncé en juillet 2013, ndlr) qui n'a finalement pas eu lieu.

Ce mouvement indique également que les opérations de fusion et acquisitions vont continuer en 2025. D'autres opérations significatives ont été annoncées en 2024 comme entre Outbrain et Teads (qui ont obtenu le feu vert de l'Autorité de la concurrence le 10 décembre, ndlr) et Mediaocean et Innovid pour n'en citer que deux. Le marché continuera à se consolider tout en voyant naître de nombreuses nouvelles start-up innovantes notamment en France. Des entreprises comme xplain.ai, Olyzon et Greenbids, sont intéressantes à suivre et peuvent nourrir des acteurs de taille intermédiaire comme nous, voire des plus gros.

Quels secteurs seront les plus porteurs en 2025 ?

Les secteurs de la CTV et du retail media seront porteurs. En Europe, il y a encore un déficit de reach sur la CTV. Les annonceurs ont besoin d'avoir accès à la data. La data la plus riche, qui permet de fiabiliser les campagnes et d'accélérer le transfert des budgets du linéaire vers le digital, c'est la data ACR (automatic content recognition) qui vient des OS des CTV. Nous y consacrerons une attention particulière en 2025.

Un autre buzzword de 2025 sera la curation, à la suite de ce que nous avons déjà observé en 2024. Ce marché est encore balbutiant mais il se développe à toute allure. L'essentiel de nos discussions sur ce sujet se fait désormais avec les "Big 6", pour l'instant encore peu présents. Je m'attends à ce que ce mode d'achat se développe davantage en 2025 avec ces acteurs.

Il est intéressant de noter que Google, qui était assez en retard sur ce plan, a récemment annoncé sa plateforme de curation qui sera centrée sur son ad server et non sur son SSP, contrairement à tous les autres acteurs de ce marché. Je pense que c'est pour lui une manière de donner des indications aux autorités de la concurrence d'une possible intention de se séparer de son SSP à l'avenir, histoire de relâcher la pression. Or le plus critique en matière de concurrence ne vise pas son SSP, mais bien son ad server qui équipe près de 95% du marché, hors TV et CTV. L'ad server est le cœur du réacteur de la stratégie publicitaire d'un publisher. De quoi donner une grande puissance à l'offre de curation de Google.

Concernant les procédures contre Google pour abus de position dominante, qu'attendez-vous ?

Nous nous attendons à ce que les procédures en cours aux Etats-Unis et en Europe aboutissent au démantèlement de Google Ad Manager (GAM), soit l'ensemble ad server et SSP qui cristallise les conflits d'intérêt entre l'offre et la demande. L'issue de ces procédures sera cruciale pour l'avenir des éditeurs, des annonceurs, des agences et des technologies. Certes Google fera appel et cela va durer des années. De plus, il faudra également tenir compte de l'issue du procès pour abus de position dominante sur la recherche en ligne : se séparer de Chrome risque de faire beaucoup pour Google. Mais dans tous les cas l'effet positif de ces procédures est qu'elles inciteront Google à être proactif et à anticiper ces décisions de justice en structurant ses activités pour enfin prendre en considération le droit de la concurrence et faire preuve d'un comportement exemplaire en la matière. C'est ce qui lui permettra de continuer d'exploiter ses forces, qui sont immenses.