Publicité : l'Autorité de la concurrence inflige une amende de 150 millions d'euros à Apple pour abus de position dominante
L'Autorité de la concurrence sanctionne Apple d'une amende de 150 millions euros pour avoir "abusé de sa position dominante dans le secteur de la distribution d'applications mobiles sur les terminaux iOS et iPadOS" entre avril 2021 et juillet 2023. Rendue publique ce lundi 31 mars, cette décision était attendue depuis plus de quatre ans par l'UDECAM, l'Alliance Digitale (alors IAB et MMM) et le SRI, rejoints ensuite par le Geste, qui avaient saisi l'autorité française en octobre 2020 contre Apple pour abus de position dominante et manœuvre anticoncurrentielle matérialisés.
En cause, la politique anti-tracking d'Apple, l'App Tracking Transparency (ATT), mise en place en avril 2021 lors de la mise à jour de l'iOS, décriée depuis des années par les associations représentatives des secteurs de l'édition et de la publicité en ligne, à l'origine de la plainte. Depuis ATT, l'autorisation ou le refus du traceur publicitaire (IDFA) doit se faire au moment du téléchargement de l'application ou en cas de changement de device avec un texte standard jugé anxiogène ne favorisant pas de changement d'avis et surtout en venant s'ajouter au recueil du consentement déjà imposé par le RGPD et la directive e-Privacy. Un changement à origine d'une baisse de 50% des revenus publicitaires des éditeurs d'applications sur iOS, selon les estimations du marché.
Les associations à l'origine de la plainte se réjouissent. "Cette décision marque une victoire importante pour les 9 000 entreprises de l'écosystème des médias et de la publicité en ligne représentées par les saisissantes et pour l'ensemble des acteurs de l'écosystème mobile dont les revenus, les modèles économiques et la stratégie ont été gravement affectés par l'ATT. Dans son verdict, l'Autorité de la concurrence reconnaît l'illégalité d'Apple ATT et les effets préjudiciables majeurs liés à son déploiement sur l'ensemble de l'écosystème mobile, notamment les petits éditeurs. La décision constate également l'asymétrie de traitement entre Apple et les autres éditeurs entraînant un avantage concurrentiel certain depuis l'introduction d'ATT en mai 2021", déclarent-elles dans un communiqué conjoint.
Manque de neutralité
Dans sa décision, l'autorité française reconnaît que ce dispositif "complique excessivement le parcours des utilisateurs d'applications au sein de l'environnement iOS" et manque de neutralité. "Ces inconvénients, qui ont causé un préjudice certain aux éditeurs d'applications et aux fournisseurs de services publicitaires, paraissent d'autant moins justifiés que des modifications marginales du dispositif, recommandées par la Cnil, permettraient de les éviter."
Au cœur du sujet se trouve le rôle dominant d'Apple sur le marché de la distribution d'applications mobiles sur les terminaux iOS. "Si la sollicitation ATT n'est pas critiquable dans son principe au regard des bénéfices qu'elle est susceptible d'apporter aux utilisateurs en matière de protection de leur vie privée, l'Autorité a constaté que les modalités de mise en œuvre concrètes de ce dispositif sont abusives au sens du droit de la concurrence, notamment, en ce qu'elles compliquent artificiellement le parcours des utilisateurs d'applications tierces et faussent la neutralité du dispositif au détriment des petits éditeurs se finançant par la publicité", précise l'autorité française dans son communiqué.
"Si Apple est libre d'édicter des règles de protection des consommateurs supplémentaires à celles imposées par la réglementation, c'est à condition, compte tenu de la responsabilité particulière qui lui incombe en tant qu'opérateur dominant sur le marché de la distribution d'applications mobiles sur les terminaux iOS, de concilier cet objectif légitime avec le respect du droit de la concurrence", explique l'autorité dans un communiqué rendu publique ce lundi 31 mars. Or, le fait est que les modalités de mise en œuvre de l'ATT "ne sont ni nécessaires ni proportionnées à l'objectif affiché par Apple de protection des données personnelles", selon ce qu'a constaté l'autorité.
Plus grave encore est le constat d'asymétrie de traitement entre Apple l'entreprise elle-même et les éditeurs : "L'Autorité a constaté une asymétrie de traitement entre celui qu'Apple se réservait et celui qu'elle appliquait aux éditeurs. En effet, alors que ces derniers devaient recueillir un double consentement auprès des utilisateurs pour les opérations de suivi sur les sites et applications tiers, Apple ne demandait pas le consentement des utilisateurs s'agissant de ses applications propres (jusqu'à la mise en œuvre de l'iOS 15)."
Quelle mise en œuvre immédiate
Dans sa décision, l'Autorité de la concurrence n'impose pas à Apple de mesures correctives, uniquement l'amende et l'obligation de publier le résumé de cette décision sur son site Internet pendant sept jours. Les associations sont aux aguets : "L'Autorité de la concurrence a choisi de ne pas imposer de remèdes structurels à Apple tout en soulignant que des modifications sont nécessaires. Par conséquent, si aucun changement n'est apporté dans les prochaines semaines, l'illégalité persiste. Les saisissantes demandent ainsi à Apple de suspendre immédiatement le mécanisme ATT dans l'attente des modifications nécessaires. Dans le cas contraire, elles se réservent la faculté d'user de toute voie de droit pour faire cesser l'illégalité d'ATT et des conséquences sur l'ensemble des entreprises du marché."
L'UDECAM, l'Alliance Digitale, le SRI et le Geste incitent "toutes les entreprises ayant subi un préjudice en lien avec Apple ATT à explorer les options de recours en dommages et intérêts".
En réaction à cette décision, Apple se limite à indiquer que "Bien que nous soyons déçus par la décision d'aujourd'hui, l'Autorité de la concurrence française n'a pas exigé de changements spécifiques à l'App Tracking Transparency (ATT)". Sollicitée par le JDN sur les mesures à prendre en cas d'immobilisme d'Apple sur ATT, Me Fayrouze Masmi-Dazi, l'avocate qui représente les associations ayant déposé la plainte contre Apple sur ce dossier, a déclaré : "L'Autorité de la concurrence considère que les modalités de mise en œuvre d'ATT sont illégales. Il faut par conséquent qu'elles soient modifiées et qu'ATT soit suspendu sans délai. Plus Apple attendra et restera dans l'illégalité plus les demandes en réparation augmenteront. Un dialogue constructif pourrait être mis en place avec les associations. Mais si Apple venait à refuser de suspendre ou modifier ATT, nous pourrons solliciter cette suspension devant des juridictions de droit commun."