Dans les coulisses des Cannes Lions, l'industrie de la pub prépare sa révolution IA

Dans les coulisses des Cannes Lions, l'industrie de la pub prépare sa révolution IA Loin des annonces rassurantes des plateformes, c'est l'impact de l'IA sur toute la chaine publicitaire qui anime les coulisses de cette édition du festival international de la créativité. Avec une certitude : chaque maillon devra revoir sa copie.

L'édition 2025 de Cannes Lions a été rythmée par des annonces concentrées là sur les pans en croissance du marché publicitaire : la CTV, le social et le retail media. Mais dans les coulisses, l'ambiance à la fois festive et très business-centric n'a pas caché les inquiétudes quant à l'avenir du secteur sous l'impact de l'IA. "L'IA est un outil puissant pour la connaissance client, la personnalisation de la communication et la réalisation de l'idée créative. Bon nombre de questionnements planent cependant sur son impact sur les médias et la manière d'opérer et de mesurer les campagnes. Ces interrogations font bouger tout l'écosystème de la communication et de la publicité et sont au coeur de cette édition de Cannes", déclare au JDN Jean-Luc Chetrit, directeur général de l'Union des Marques et président de l'ACPM. 

Désormais, c'est vers la structure même du marché publicitaire digital que les regards se tournent, avec la certitude qu'il va changer et un défi majeur : anticiper les conséquences de l'entrée en jeu des agents d'IA dans toutes les étapes de la chaîne publicitaire, y compris dans le media trading, pour dénicher le chapitre d'après, revoir son modèle et se positionner. Question de survie. Car si l'IA est vue comme une incroyable opportunité, elle peut représenter une sacrée menace aussi bien pour les éditeurs que les agences, et même les technologies publicitaires.

"Je m'interroge même sur l'avenir des agences médias"

Car c'est le modèle même des places de marché qui est en train d'être intégralement repensé à l'aune des agents d'IA. Les initiatives restent encore confidentielles, mais les spécialistes ne parlent que de cela. "L'IA agentique dans l'adtech est un sujet qui s'accélère à toute allure : son usage va révolutionner le rôle des adtech et des traders du programmatique", estime Arnaud Créput, CEO d'Equativ, qui prévoit de lancer un outil d'IA agentique end-to-end dès début 2026. "Au lieu de paramétrer leur stratégie de ciblage de manière manuelle, les acheteurs s'appuieront sur les agents d'IA pour le faire avec la promesse d'améliorer sensiblement la qualité des résultats. C'est naissant, mais cela va progresser très vite", ajoute-t-il.

"Il y a trop d'ad requests sur le marché, des trillions par jour, rendant la tâche de les qualifier correctement impossible. L'IA c'est la réponse idéale pour fluidifier le trading media et faire en sorte que ses résultats soient à la hauteur des attentes avec l'apport précieux de la data", analyse Gilles Chételat, CEO de Mediarithmics. "Nous sommes à l'aune d'un changement en profondeur dans la manière d'opérer l'achat média qui améliorera la mesure des performances des différents canaux. Je m'interroge même sur l'avenir des agences médias dans ce contexte", poursuit-il.

Scope3, pionnier sur ce sujet, a annoncé dès le mois de mars une première étape dans cette direction : le contrôle de la brand safety et suitability par les agents d'IA. Ces derniers analysent les contextes de diffusion en tenant compte du prompt de l'annonceur, qui fixe ses critères. Fini donc les listes d'exclusion par mot-clé. Depuis ce mois-ci, c'est le ciblage des impressions qui est désormais boosté par les LLM avec Scope3. "L'IA et internet sont en train de devenir la même chose, chacun de nous dispose d'une IA dans sa poche. C'est un changement majeur qui impose à toute l'industrie de se réinventer", analyse Paul-Antoine Strullu, head of EMEA chez Scope3, lors de son passage à Cannes. "Nous pouvons appliquer à l'achat publicitaire la même logique : se servir de l'IA pour cibler les inventaires, en plus de s'assurer de la brand safety."

Le constat des dégâts de l'IA sur le trafic des sites

Le constat est rude : l'impact de l'IA se fait sentir dans le trafic des sites d'éditeurs et annonceurs sur l'open web, la baisse serait de l'ordre de 20% à 30% depuis un an selon certaines de nos sources à Cannes. De quoi impacter les médias en ligne, déjà fragilisés par la concurrence frénétique des plateformes sociales, la baisse du search et la difficulté à tirer des revenus de la publicité. "La menace de l'IA poussera les éditeurs à construire des communautés de lecteurs encore plus fortes autour de leur marque et contenus et également à interagir davantage avec les partenaires du retail media et de la CTV", analyse Arnaud Créput. 

Côté annonceurs, il faudra mettre le paquet sur le branding, analyse Cécile Lejeune, CEO de Kantar. "L'agent d'IA choisira, proposera voire achètera les produits à la demande du consommateur. C'est pourquoi il faut impérativement que les annonceurs se mettent tout de suite à travailler sur leur image de marque et à construire leur puissance. Or, pour le moment, ils font l'inverse, en se concentrant sur des logiques ROIstes."

L'IA générative partout sauf dans les campagnes

Alors que les Big 6 et les plateformes sociales ne jurent plus que par l'IA générative, que la plupart des agences et adtechs affichent l'utilisation des outils d'IA générative dans la production d'assets créatifs, les campagnes en compétition pour les Lions n'intègrent pas encore l'IA. "L'IA a sans doute servi à des retouches et à la présentation des idées aux clients, beaucoup moins à l'exécution", observe David Leclabart, coprésident de l'AACC, au sujet des campagnes short-listées aux Lions, dont il a visionné quasiment l'intégralité. "L'IA n'est pas visible dans cette édition du Cannes Lions", confirme Pierre Harand, co-CEO de fifty-five. "Mais aux Etats-Unis un spot entièrement fait avec l'IA générative et sans aucun personnage réel et d'une qualité bluffante a été diffusé pour les finales de la NBA. La technologie progresse à une vitesse folle, mais l'industrie de la pub telle qu'elle est présentée ici à Cannes résiste encore au changement", analyse-t-il.

La CTV poursuit ses efforts pour attirer les annonceurs

Côté annonces, la CTV est peut-être le secteur qui a été le plus servi pendant Cannes. Ce marché florissant, mais encore très fragmenté, cherche à attirer utilisateurs et annonceurs en leur facilitant l'accès. En témoignent les annonces tout d'abord du côté de la distribution des chaînes, dont le plus emblématique pour le marché français est l'accord entre TF1 et Netflix, une première mondiale. Côté publicité, c'est au tour de Sky, Channel 4 et ITV d'annoncer le lancement en 2026 d'une place de marché publicitaire commune pour simplifier l'accès aux inventaires de CTV au Royaume-Uni.

Le retail media met le paquet sur l'extension d'audience… mais pas que

Pendant Cannes, les plateformes publicitaires ont renforcé leurs efforts de communication sur l'extension d'audience. L'annonce d'Amazon DSP est en ce sens très significative. Les annonceurs se servant de la plateforme d'achat pourront  accéder directement aux inventaires de Disney+, ESPN et Hulu avec, entre autres signaux de ciblage, ceux issus des shoppers d'Amazon. C'est également le cas de Triplelift, qui fort de son partenariat mondial avec Amazon DSP pour de l'extension d'audience auprès de son réseau de publishers, joue la carte de l'offsite.

Mais il est question aussi de projets ambitieux de ce côté-ci de l'Atlantique… "Le retail media a permis au marché de prendre conscience de l'efficacité de la data first party déterministe. Cependant cette data ultra qualitative est encore sous-exploitée sur le marché de la publicité car les sources d'inventaires sont encore beaucoup trop disséminées et cloisonnées. Personne n'a encore trouvé l'équation pour les agréger", déclarait au JDN Gilles Chételat, CEO de Mediarithmics. Une ambition sans doute dans le viseur de Mediarithmics, qui dispose d'une position intéressante pour cela, vu qu'elle équipe des acteurs tels que Valiuz et Intermarché mais également des médias dont certains avec une base d'abonnés solide, comme Canal+ ou Leboncoin. Affaire à suivre.