Julien Delhommeau (Utiq) "Les attentes suscitées par AdCP sont exagérées voire biaisées"

L'initiative AdCP, qui entend standardiser l'intégration des LLM à l'achat média digital, ne met pas fin aux intermédiaires ni à l'écosystème de la publicité programmatique, explique Julien Delhommeau, directeur de l'innovation chez Utiq.

JDN. Ad Context Protocol (AdCP), initiative open source lancée le 15 octobre par un consortium d'adtech impulsé par Brian O'Kelley, a l'ambition de standardiser la manière dont les agents d'IA vont s'intégrer à l'écosystème de l'achat publicitaire. Quel est votre avis sur cette initiative ?

Julien Delhommeau, directeur de l’innovation chez Utiq. © utiq

Julien Delhommeau. AdCP est la première initiative d'envergure réunissant différents acteurs avec l'ambition d'amener les LLM dans la publicité digitale. Ce protocole cherche à automatiser toutes les étapes qui se trouvent en amont de l'achat média et qui sont aujourd'hui gérées manuellement : prise de contact entre annonceurs et éditeurs, recherche des segments d'audiences, création des ordres d'insertion ou des deals qui seront transmis aux DSP et transmission de la créa. Bref AdCP prend en charge la planification et le set-up des campagnes en amont.

Une autre fonctionnalité d'AdCP est l'optimisation des set-up des campagnes pendant l'activation sur la base de rapports de performance : l'agent d'IA dit "d'orchestration" pourra récupérer, via le sales agent (sell side), les performances de la campagne et, en fonction, réallouer les budgets, modifier les options de ciblages, etc. Bref, c'est ce que fait aujourd'hui l'Ad Ops dans son DSP, mais de façon très manuelle, avec échanges des rapports par mail et optimisation du setup dans le DSP.

Tout cela pourra être fait en langage naturel : le professionnel n'aura qu'à donner son brief et les agents d'IA (de l'éditeur, de l'annonceur, et des intermédiaires) s'occuperont de toutes ces étapes.

AdCP n'intervient en revanche pas dans les étapes de livraison, diffusion et facturation des campagnes. Le protocole s'appuie sur l'infrastructure existante composée d'ad servers et de plateformes programmatiques (SSP et DSP). Les agents d'IA assureront le lien avec ces infrastructures pour passer l'OI, le deal ou l'ordre d'enchères sur l'open RTB.

Cette initiative est présentée par ses fondateurs comme une révolution, comme un changement d'ère. Est-ce si révolutionnaire que cela ?

La communication qui a entouré ce lancement et les attentes suscitées auprès du marché sont à mon avis exagérées voire même biaisées. On évoque la nouvelle ère de l'agentic advertising, qui sonne la fin des intermédiaires et des infrastructures programmatiques, d'un monde où tout sera géré de A à Z directement par les agents.

La réalité est bien plus nuancée : la diffusion, soit le cœur du réacteur de la publicité digitale, ne change pas, elle n'est pas remise en cause. Les LLM ne viendront pas remplacer les technologies existantes d'achat et de livraison des campagnes. Ils interviendront en amont, en remplacement et sous la supervision des professionnels qui set-up les campagnes, pour ensuite s'appuyer sur les technologies existantes afin de concrétiser l'achat et l'affichage des campagnes. AdCP est par conséquent une évolution majeure, et non pas une révolution.

Cela est marqué noir sur blanc sur la documentation technique d'AdCP, qui donne plusieurs exemples d'interaction entre les agents d'IA, soit les orchestrateurs, sorte de méta-plateformes, et les acteurs de l'écosystème actuel – les agences, les DSP, les SSP et les places de marché de segments d'audiences. Ce schéma-là a été démontré le jour du lancement. Par ailleurs, interrogé sur LinkedIn, Brian O'Kelley a confirmé que pour toute la partie livraison et facturation, c'est statu quo. Et je ne vois pas comment ils auraient pu faire autrement.

Pourquoi ?

Les contraintes en termes de temps de la livraison publicitaire, qui se fait en quelques millièmes de seconde, sont incompatibles avec les capacités pouvant être fournies par les agents. Mais cela n'est pas l'aspect le plus important. La principale raison est l'intérêt même du programmatique, qui reste entier : de permettre à l'acheteur d'avoir la main sur la diffusion de ses publicités à partir de son DSP avec notamment l'achat cross-éditeurs, la maîtrise du frequency capping, l'injection des données propriétaires pour le retargeting et de données tierces. Tout cela n'était pas possible avant le programmatique.

Par ailleurs, d'un point de vue très pragmatique, sans le programmatique, les éditeurs, notamment les moyens et les petits, ne seraient pas en capacité de facturer le même volume et diversité d'annonceurs s'intéressant à leur inventaire. C'est aussi le programmatique qui permet de renforcer la demande et d'améliorer le yield des éditeurs.

AdCP n'aura pas d'incidence sur la structure d'intermédiaires de la chaîne programmatique. Bien au contraire, dans un premier temps il y a de fortes chances que ce protocole soit déployé par des resellers qui fourniront à un package d'éditeurs agrégés des agents d'IA à même de parler avec les agents du buy side.

Quels sont les points forts d'AdCP ?

L'AdCP automatise des étapes chronophages et qui sont souvent source d'erreurs. Il optimise sensiblement l'identification des bons segments d'audience disponibles sur le marché. De ce point de vue, AdCP est très intéressant et c'est bien là que les LLM peuvent injecter le plus de valeur. Cela va sans doute permettre de dynamiser significativement toute la chaîne et tout particulièrement les ventes directes des éditeurs, plus complexes et chronophages à opérer, car tout se passe manuellement aujourd'hui. Ceci étant, l'intérêt du programmatique restera entier et je ne le vois pas perdre du terrain comme une conséquence directe d'AdCP.

Une autre vertu importante d'AdCP et pas de moindres, c'est qu'il contribuera à renforcer l'attractivité des plus petits DSP indépendants, dont les parts de marché sont très limitées face à des géants tels que Google, Amazon ou The Trade Desk. Un des facteurs qui empêche leur essor est la solution de facilité : les traders restent là où ils sont habitués, chez les plus gros, ils n'ont pas le temps d'apprendre à prendre en mains des outils avec des interfaces de set-up et fonctionnalités différentes. AdCP va sans doute enlever ce frein et permettre aux acheteurs de se servir de DSP qui peuvent parfois procurer de bien meilleures performances sur les inventaires de l'open web.