Economie US : le chaotique Mister Trump l'emporte sur le pragmatique Docteur Donald

Economie US : le chaotique Mister Trump l'emporte sur le pragmatique Docteur Donald Donald Trump a fait une campagne très axée sur l'économie, avec un panier de mesures suscitant pour certaines l'enthousiasme et pour d'autres la crainte des milieux économiques.

Si certains, y compris au sein de son propre parti, expriment des doutes quant au cap politique de Donald Trump, celui-ci n'en a aucun. Lors de son premier discours devant le Congrès, mardi 4 mars, le président américain a vigoureusement défendu ses (nombreuses) premières actions depuis sa prise de pouvoir. "Nous allons devenir la civilisation la plus libre, la plus avancée, la plus dynamique et la plus dominante qui ait jamais peuplé la surface terrestre", a-t-il promis.

Donald Trump a mené une campagne très axée sur l'économie, vantant son bilan lors de son premier mandat tout en débinant celui de son successeur. Il a ainsi répété à plusieurs reprises qu'il avait laissé une économie en pleine forme aux démocrates, qui l'auraient transformée en "la pire économie de l'histoire" (une très nette exagération). Ce discours a su convaincre les électeurs : les sondages ont montré l'un après l'autre que les Américains faisaient davantage confiance à Donald Trump qu'à Joe Biden pour conduire l'économie. L'élection de Trump a en outre été suivie par une vague d'euphorie à Wall Street.

Tarifs à gogo

Mais l'excitation a désormais laissé place à l'inquiétude, les milieux économiques craignant les conséquences des premières décisions de Donald Trump. Lundi 3 mars, le S&P 500, l'un des principaux indices boursiers américains, a connu sa pire performance de 2025 suite à l'entrée en vigueur de tarifs douaniers de 25% sur tous les produits importés depuis le Mexique et le Canada. Des tarifs de 10% supplémentaires ont également été mis en place sur les produits chinois, qui s'ajoutent aux 10% déjà décrétés par le président le mois dernier. Des droits de douane de 25% sur les produits importés de l'Union européenne sont par ailleurs imminents.

Trump s'est fait de longue date le champion des tarifs douaniers, ces décisions n'ont donc rien de très surprenant. Mais les esprits optimistes espéraient qu'il fasse preuve de modération à cet égard, comme lors de son premier mandat, ou qu'il brandisse ceux-ci simplement comme une arme de négociation visant à obtenir des contreparties. Le président américain avait lui-même semblé accréditer cette thèse en délayant début février d'un mois et à la dernière minute les tarifs douaniers contre le Mexique et le Canada, après que ceux-ci avaient promis des concessions en matière de renforcement de la frontière et de lutte contre les cartels de la drogue. Les milieux économiques espéraient un nouveau report qui n'a finalement pas eu lieu, et les tarifs douaniers sont bel et bien entrés en action.

Ceux-ci vont très certainement faire repartir l'inflation à la hausse, qui pourrait elle-même entraîner une baisse de la consommation et donc de la croissance américaine. Certains signaux montrent déjà une dégradation de la confiance des consommateurs américains. En janvier, les dépenses de ceux-ci ont chuté de 0,5% en termes réels par rapport à décembre, soit la baisse la plus importante en quatre ans. Un récent sondage sur la confiance des consommateurs, réalisé par l'Université du Michigan, montre une dégradation de celle-ci. Du côté des entreprises, une enquête de S&P Global souligne aussi une forte baisse en février, due notamment à l'incertitude vis-à-vis de la politique gouvernementale. Le marché du travail montre enfin des signes de faiblesse : 242 000 Américains se sont inscrits au chômage la dernière semaine de février, le chiffre le plus élevé depuis le mois d'octobre.

Le fait que la politique de Trump puisse relancer l'inflation est d'autant plus ironique que celui-ci a maintes fois accusé Joe Biden durant la campagne d'avoir provoqué une envolée des prix par ses politiques.

Le cauchemar de Détroit

Mais le risque posé par les tarifs douaniers ne se cantonne pas à la hausse des prix payés par les consommateurs américains. Les marchés canadiens, américains et mexicains sont en effet très fortement intégrés, et des secteurs clefs, comme l'automobile, ont largement profité de cette intégration. Si le cœur de l'industrie automobile américaine demeure à Détroit, tous les grands constructeurs ont réparti leur chaîne de valeur entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, profitant des forces de chaque pays. Le Canada bénéficie par exemple de sols très riches en minerais, tandis que le Mexique est une grande puissance industrielle avec une main-d'œuvre relativement bon marché. Les nouveaux tarifs de Trump risquent donc de poser un véritable casse-tête au secteur. Jim Farley, le patron de Ford, a même décrit ces derniers comme "dévastateurs" pour son industrie.

Selon Bernstein, un cabinet d'intelligence de marché, respectivement un quart et un tiers des voitures vendues par Ford et General Motors aux Etats-Unis ont leur chaîne de valeur répartie entre le Canada et le Mexique. La banque britannique Barclays estime de son côté que ces droits de douane de 25% pourraient purement et simplement éradiquer les profits des constructeurs américains en l'absence d'une hausse des prix de leur part ou d'une réorganisation des chaînes de valeur.

Trump espère naturellement que les constructeurs réimplanteront leurs activités aux Etats-Unis pour éviter de payer les droits de douane. Mais de telles restructurations s'avéreraient coûteuses et très lourdes à réaliser : il est donc possible que les constructeurs préfèrent temporiser, attendant qu'un futur président ou Trump lui-même revienne sur ces tarifs. A peine les nouveaux droits de douane entrés en vigueur, le Secrétaire au Commerce américain Howard Lutnick a du restesuggéré que le président pourrait revoir ceux-ci à la baisse.

Une incertitude nuisible aux affaires

Ce qui souligne un autre risque posé par la politique de Donald Trump : l'incertitude. Pour investir en toute confiance, les acteurs économiques ont en effet besoin de disposer d'une vision claire du futur, et le nouveau gouvernement américain, avec ses revirements à répétition, n'est à cet égard pas au rendez-vous.

Comme l'écrit l'économiste Paul Krugman dans un récent article paru sur son blog : "Imaginez que vous soyez le dirigeant d'une entreprise américaine étudiant différentes possibilités d'investissements, dont la rentabilité dépend de futures politiques fédérales. Par exemple, il serait pertinent de construire de nouvelles usines si l'Amérique respecte l'accord de libre-échange avec le Mexique et le Canada que Trump lui-même a signé en 2020. [...] Mais ces usines ne seront pas rentables si Trump choisit de ne pas respecter cet accord et applique des droits de douane élevés. [...] Dans ce cas, des investissements défensifs, visant à limiter les dommages dus au découplage avec les consommateurs et fournisseurs canadiens et mexicains, seraient préférables. Quels investissements faites-vous ? Probablement aucun. L'option la plus rationnelle serait d'éviter toute grosse dépense avant d'avoir davantage de visibilité sur les politiques futures."

Malgré plusieurs signes inquiétants, l'économie américaine se porte encore très bien, avec une croissance estimée à 2,5% sur le premier trimestre 2025 et à 2% sur l'année. Toute détérioration ne peut pas non plus être automatiquement attribuée à Donald Trump, qui vient seulement d'entrer en fonction et dont les politiques n'ont pas encore pris effet.

Une partie de son programme pourrait également avoir un effet bénéfique sur la croissance : la majorité républicaine planche ainsi sur un premier paquet budgétaire visant à réduire les impôts d'une partie des contribuables. Le président américain a également promis durant la campagne de faciliter la mise en place de nouveaux projets autour de l'énergie et de réduire les régulations pour faciliter la création d'entreprises.

Autant de propositions qui lui ont valu le soutien d'une partie des milieux économiques, qui espéraient que la partie pro-croissance du programme de Donald Trump prenne le pas sur ses choix économiques plus hasardeux. Mais c'est pour l'heure Mister Trump qui l'emporte sur Docteur Donald.